Qu’est-ce que c’est, « dégueulasse » ?

Ce billet est dédié au jeune Diego Duarte, mort à quinze ans enseveli sciemment par la police sous des tonnes d’ordures du côté de Buenos Aires : entendre ici si l’on veut ce qu’en relate Alicia Dujovne-Ortiz

 

(il en est aussi de retraite, de fous, ou de santé, ou d’arrêt ou de redressement (ça ne se dit plus), mais de jeux ou de tolérance (non plus, non : FO mr. Claudel) closes ? non, fermées, d’autres, et beaucoup ville/banlieue/campagne/maître/ et cetera mais parfois je préfèrerai vivre au grand air, sous une tente ou je ne sais quelle yourte -c’est la mode, ces temps-ci, les yourtes- mais non, je continue sur mon erre, mercredi c’est cinéma, c’est vrai, mais moi je fatigue-parfois j’ai des réminiscences de ces temps-là, – heureux ? ni plus ni moins j’en ai peur- où le mercredi, vers dix et demie, il fallait prendre le métro à Reuilly Did (tiens mon pote tape les 60 aujourd’hui….) pour foncer à Franklin D. Roosevelt, ou Georges Vé je ne sais plus exactement, mais l’immeuble était sur les Champs-Elysées- « Jean Mineur Publicité Balzac zéro zéro zéro un » avec l’abruti de petit mineur et son piolet (je pense à Lénine, moi, et à Ramon Mercader) monter  au troisième, choisir son film et sa salle, récupérer ses exos et sa feuille rose tout en rapportant la précédente, dire au revoir et merci)

C’est un classique, ou du moins cela s’appelle-t-il ainsi : le cinéma art jeune s’enorgueillit de posséder très vite des classiques (va pour cette catégorie), le film commence par deux ou trois plans situés à Marseille, Michel Poicard (Jean-Paul Belmondo, dans cinq ans, après avoir tourné « l’Homme de Rio » (Philippe de Broca, 1964) il sera le « Pierrot le fou » du même), petit voyou voleur de voitures a sans doute un contrat pour en voler une américaine ou quelque chose, la ramener à Paris, en tirer quelques billets, et courir chercher d’autres emplois. Il s’acquitte du pan marseillais de son contrat, envoie paître son amante de la nuit précédente (ce n’est pas, dit, mais on s’en doute), court la route numéro 7 et nationale, ne prend pas des autostoppeuses « ah non, dit-il élégamment, elles sont trop moches » puis se fait courser par la police (il va trop vite), refroidit un motard, court, et arrive : premier plan de Paris

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ce café du coin du quai (du Marché Neuf dans l’alignement de celui des Orfèvres) où je rencontrais parfois mon oncle, le Poicard en question court chez une de ses maîtresses nouvellement script-girl , lui vole l’argent qu’elle ne veut pas lui prêter tandis qu’elle met sa robe (une sorte de dignité masculine) court encore, cherche à rejoindre celle qu’il aime (Patricia alias Jean Seberg), la trouve (les quatre cent trois garées là, noires, ou bleu nuit)

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lui n’a qu’une chose en tête : coucher avec elle (c’est parce qu’il l’aime tu comprends) , tandis qu’elle, elle ne sait pas trop si elle l’aime ou si elle doit poursuivre ses études, il la laisse travailler, regarde un cinéma

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reproduit le gimmick (passe l’ongle de ton pouce sur le bord de tes lèvres) de son héros peut-être favori (Humphrey, ah plus dure sera la chute certes)

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le héros est plutôt sympathique mais un vrai salopard, appelant ses amis « fils », on en rirait si c’était burlesque (c’est année 60, des dates un peu partout-29 août 1959- des références aussi, comme aime en saupoudrer Jean-Luc Godard, afin de faire savoir qu’il est cultivé) mais on apprend qu’un oeuf plat jambon se négocie à 180 à l’époque et au bar (zeugme) (des anciens francs…) (pour moi, c’est magnifique : les quatre cents trois, les journaux, Paris comme si on y était) ou que le journal est édité huit fois par jour… Malheureusement, Patricia, elle, ne sait pas exactement s’il faut aimer ce voyou, ou ce journaliste (la Tour Eiffel en fond c’est d’un chic; non ? Tout à l’heure on aura droit à un survol… mais pas à un générique, tu comprends ça ferait trop ancienne vague probablement)

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ce journaliste qui l’envoie faire un papier sur cet écrivain probablement fort célèbre

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(mais moi jm’en tamponne de Jean-Pierre Melville alias Barbulesco ou quoi que ce soit d’autre, ce qui m’intéresse, c’est le Super Constellation, derrière lui, tu comprends) qui répond du tac au tac aux journalistes ses divagations machistes séparant/couplant amour et érotisme, la jeune femme (Jean Seberg bien sûr adorable dans le rôle de cette Patricia Francheschini-la liste des noms des rôles (soit la distribution) vaut son pesant de sémiologie, mais je passe) : tout de même dans ce film, on peut voir les yeux de Jean-Pierre Melville (une rareté pour nous autres, pauvres cochons de payants, de spectateurs)

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et aussi un caméo du réalisateur (rien que d’entendre le ton avec lequel il réclame son journal, on a envie de le baffer) qui fait dire (je crois) à son héros que les plus belles femmes on les voit à Lausanne ou à Genève comme s’il parlait d’objets quelconques voitures montres paires de pompes ou pipes en bois/terre/fer

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(je ne te parle même pas de sa pipe, là, mais je passe) enfin toujours est-il qu’on en finit, la police retrouve la trace du fuyard meurtrier par l’entremise de cette silhouette godardienne (dedicated to l’Employée notre agent sur rive gauche mais ici en chambre d’amis…) et de Patricia qui veut se séparer de cet homme qu’elle sait en avoir tué un autre, et le film se termine par cette image où l’héroïne dit : « dégueulasse, mais qu’est-ce que c’est dégueulasse ? »

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adoptant le gimmick de son amant qu’elle vient de livrer à la police, tout en l’ayant averti de son geste. C’est vrai, qu’est-ce  que c’est, « dégueulasse » sinon de faire endosser à cette jeune femme la trahison ?

Et puis, qu’est-ce que c’est « dégueulasse, » aujourd’hui, me disais-je, regardant ce film de cinquante cinq ans d’âge, aujourd’hui, qu’est-ce que c’est aujourd’hui, où voilà un an mourait d’une grenade offensive lancée dans son dos un type (Remi Fraisse, ni oubli, ni pardon) de vingt et un ans, du côté de barrage de Sivens ? Ou, en voilà dix, ces deux enfants, Zied, Bouna, Clichy-sous-Bois ?

Qu’est-ce que c’est « dégueulasse » aujourd’hui où en Hongrie, en Pologne, on élit cette peste brune ?

Et non loin d’ici à Béziers ou ailleurs où on monte contre les uns les autres sous prétexte qu’ils fuient la guerre, la misère, la haine ? Qu’est-ce que c’est « dégueulasse » aujourd’hui, me disais-je

 

 

 

 

 

Quand je vais les voir

Quand je vais les voir, j’aime encore mieux me payer l’hôtel. Au moins je dors en centre ville – enfin tout est relatif, c’est un trou. Evidemment, il faut qu’ils m’y conduisent et ça ne les réjouit pas de ressortir une voiture. Les trois-quarts du temps leur porte automatique de garage déconne : je ne sais pas comment ils supportent toutes les malfaçons de leur maison. Je vois bien que derrière leur souriant « mais bien sûr Tantine, quand tu voudras te coucher, tu nous le dis, on t’emmène »  ils se font des signes (pas si discrets) pour savoir qui s’y colle, elle ou lui ? Le bus qui passe toutes les heures dans le lotissement s’arrête à 20 heures et j’ai beau avoir l’âge que j’ai, je ne me couche pas comme une poule. La première fois, j’ai dû trouver une excuse : mes neveux ne voyaient pas pourquoi leur chambre d’amis ne me convenait pas « idéale pour une célibataire, juste à ta taille, fais comme chez toi ». Ils insistaient lourdement. Je leur ai dit que je me levais quatre fois par nuit et que je réveillerais toute la maisonnée. Les bruits d’eau, la lumière pour atteindre les toilettes à l’autre bout du couloir. Des mètres carrés, ils en voulaient, ils en ont, mais une chambre d’amis sans sa salle d’eau, c’est mesquin. J’en ai rajouté : ma vessie tient encore très bien le coup, merci. Ce que je ne supporte pas du tout chez eux c’est qu’au bout du couloir, là où est relégué l’ami au singulier, leur wifi n’arrive pas. Pas comme dans les chambres de l’hôtel, qui n’a pourtant rien d’un palace, où la wifi fonctionne cinq sur cinq. Je commence à y avoir mes habitudes : mes neveux m’invitent régulièrement, des invitations à crédit différé escompté, si vous voyez ce que je veux dire. Quand j’aurai cassé ma pipe j’espère au moins qu’ils arriveront à revendre leur baraque et à se payer un appartement digne de ce nom dans le vrai centre d’une vraie ville. C’est tout le mal que je leur souhaite.

Seulement pour ça

 

 

Il y a des jours où les choses ne vont pas comme elles devraient : si j’avais dans l’idée de trouver quelque chose (une chose pour la poser quelque part) dans le film « Quai des Orfèvres » (Henry-Georges Clouzot, 1947) c’était à cause Louis Jouvet (c’est un type que j’aime beaucoup) (et que le film est vraiment bien aussi, évidemment) mais je n’y ai pas réussi. C’est un film policier, et force y reste à la loi. Comme il se doit ? Probablement. A la fin, l’inspecteur chef-adjoint dit (ou pense) « on croit qu’on va être dans une grande affaire de passion et tout se termine dans une misérable petite affaire... » : c’est sans doute toute la vie de flic qui est mise en mots.

Mais cependant, les scènes de cabaret magnifiques

cabaret

Suzy Delair (Jenny Lamour alias Marguerite Chauffournier) chante « Avec son tralala » dont on se souvient la trivialité, oui, Bernard Blier, qui joue son mari, le Maurice Martineau qui a composé cette chanson (on entend Lino Ventura, dans le « Garde à vue » de Claude Miller (1981)), c’est tout dire, ici en homme si timide (à ses heures…) et si dominé, et Simone Renant magique (Dora Monnier, photographe aux moeurs diverses et cette réplique que lui lance Jouvet/Antoine : « dans le fond, vous êtes un type dans mon genre, avec les femmes vous n’aurez jamais de chance… »)

simone renant et bernard blier

la cruauté des sentiments tranchants, et la foule des seconds rôles  : par exemple le magnifique Pierre Larquey le chauffeur de taxi qui dit

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« je SUIS un bon citoyen, la preuve c’est que moins  je vois les flics et mieux je m’porte…« , Charles Dullin ou Jeanne Fusier-Gir, des merveilles, une distribution de dingue, tout est vrai comme disait Louis Jouvet (alias Lambertin, légion d’honneur respectée par les imbéciles

entrée des artistes

dans « Entrée des artistes » (Marc Allégret, 1938)-d’une autre facture d’un autre âge – et Jouvet dans la dernière scène : « la vie est une farce, c’est vrai, mais il faut y croire… Vous ne croyez pas à la sincérité de Rodrigue ni à l’amour que Mélisande porte à Pélléas mais il faut y croire… Rien n’est faux, il suffit d’avoir un peu la foi et tout devient réel… Mais ne l’oubliez pas, c’est lorsque le rideau se lève que votre vie commence, il ne tient qu’à vous qu’elle continue le rideau une fois baissé... » (la farce advint ensuite, ont-ils eu à y croire…) et donc, le métier de comédien, oui, certes, celui de chanteuse

avec suzy delaire

tout cela a quelque chose à voir avec cette maison(s)témoin de cinéma, oui, mais surtout, lorsque ce commissaire (Louis Jouvet, inspecteur chef-adjoint Antoine dont on connaît encore le théâtre aujourd’hui) qui dit ici à Suzy Delair « oh vous, je vous connais, vous êtes une petite arriviste » et plus tard, dans son bureau « moi aussi, on m’attend« , lorsque ces mots avancent et qu’en effet, pour un soir de Noël, on l’attend, c’est parce que seulement il se penche sur le lit de son fils, et uniquement pour ça sans doute

qui dort

qu’on aime tant le cinéma.

 

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_ Ici la cuisine, totalement équipée, vous avez vu tout cet espace ? ici, et ici, et je ne parle pas du débarras. Pour les placards, l’entrée, les chambres, il y en a vraiment partout, avec un côté penderie, des étagères de l’autre, tout a vraiment été pensé ici.

_ Et ici ?

– Ici aussi.

_ Et ici ?

_ Aussi.

_ Et ici ?

_ Aussi.

(ensuite, ils ne s’arrêtèrent pas, la maison les avait piégés, ils continuèrent à se répondre sans s’écouter,   Et ici ?   /   Aussi
ça se rythmait, ça s’entonnait comme une musique intempestive,  un son à écouter plus tard, dans l’hypnotisme,    Et ici ?   /   Aussi           les relents d’une vieille rengaine qui aurait fait vaguement sourire, une Félicie, le tempo suspendu un temps, toujours le même, entre Et ici ?      et Aussi, comme une marche à monter ou descendre, comme un décrochement ou un point de bascule qui aurait pointé sans arrêt, subrepticement, qui aurait attendu, tapis, coincé entre Et ici ?      et Aussi, mais serait resté silencieux, un moment vide qui ne pouvait pas se remplir, qui esquissait même une grimace de recul, comme un vertige, comme se penchant par-dessus une balustrade très haute, ne sachant plus comment s’enfuir, ça continuait, et à chaque fois, avec chaque parole portée, c’était un coup d’épaule, un sourcil écarté, un geste d’évidence, levant la main, la déviant de sa route initiale, temps de surprise, comme une chorégraphie rejouée et répétée, vertige, surprise, vertige surprise continuellement, et bientôt au dehors, alors qu’ils reprenaient sans fin leurs déhanchements secs et leur chant à trois temps, ça s’est affiché sur les murs en lettres majuscules, sur les panneaux publicitaires, sur les panneaux routiers, les sorties de métro, les rubans défilant aux frontons des immeubles qui déversaient les news,  ça s’allumait en lettres capitales fluorescentes   … ET ICI ?   …    AUSSI   …   sertis de points en ribambelle, puis c’est entré dans les vitrines des pharmacies, des vendeurs de pianos, des épiceries, des salons de coiffure, ça s’est infiltré entre les boites de pansement et les savons, les laques colorantes, les dés à coudre, les chopes de bière, puis ça a pris la route, ça s’est collé sur les bennes des camions, les camionnettes d’électriciens, de transporteurs,  sur les plaques minéralogiques qui servent d’habitude à donner le prénom sous le pare-brise (DIEGO, CLAIRE, PASCAL, ADALINE), on pouvait voir les lettres   ET ICI ?     AUSSI    moulées dans le métal, en relief, puis quelqu’un a pensé ou a dit d’une voix forte (je ne sais plus exactement) qu’ici aussi on était victorieux, et perdants aussi, qu’ici aussi on avait de la peine à ne pas savoir quoi, ni où aussi, et ni comment, qu’ici aussi on était mains liés et dégoutés et débordants d’ardeur, et insouciants et déprimés aussi, ici aussi, qu’ici aussi on avait peur de l’autre et de la maladie, et de la mort aussi, ici, et d’être seul, aussi de perdre sa conscience, qu’ici aussi quand il faisait très beau on avait l’impression de voler, voler dans tous les sens du terme, voler en l’air sous tant de joies, voler aux autres de l’attention, voler l’espace, voler la place à tous ceux qui n’en avait pas, ils étaient des milliers partout à ne pas avoir de place, à être coincés dans l’angle mort, coincés dans les entrefilets, en fin de paragraphes, en fin de ligne et en toutes petites lettres, et ceux qui parlaient le plus fort et par-dessus tout le monde n’avaient pas de colonne vertébrale, pas ici, et pas d’enveloppe charnelle, que du tissu sous des cravates, qu’à force de les désavouer ou de les suspecter, ou bien d’en rire, on en perdait des plumes, mais on gardait les yeux ouverts, les yeux ouverts ici, les yeux ouverts aussi, mais ça ne servait pas, non pas tellement, parce qu’il y avait du temps passé, et des bagages, plein d’arriérés, on ne pouvait pas en faire le tour, trop à payer et trop à rembourser, on n’avait pas assez de tous ses bras de toute sa volonté pour tout résoudre, et qu’est-ce qu’il fallait faire à ton avis ? trop de questions, trop de questions, et une fois cette voix élevée (ou seulement pensée je ne sais pas) dans son très petit périmètre, il y a eu comme un soulagement, un souffle d’air, un repos, une respiration, et les deux hommes dans la maison témoin ont repris leur visite, l’un vantant la parfaite étanchéité de la porte-fenêtre pendant que l’autre l’examinait, pensif, et que les lettres s’évaporaient,   partout,    ici aussi)

 

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Mère fils

 

(quel froid) (on ne sait jamais : les choses avancent comme elles vont, ici c’est du cinéma, ailleurs du quotidien, là d’autres choses encore, la réalité s’abolit et pourtant les gens sont là, ils vivent tout autant, respirent, leurs yeux bougent encore, regardent passer le temps, il fait froid à présent, sur le faubourg Saint-Antoine,  un peu plus loin sur la place, les crèmes des crèmes attendent, après avoir entendu et écouté Dieu sait bien quel air – Rameau, Schönberg, Berlioz…- (encore que, pour « la Damnation de Faust » de cet Hector, ce 8 décembre 15, places à 912 euros, cravate et robe de soirée, champagne à l’entr’acte puis dîner en présence des artistes, on se retrouvera entre amis, je pense : ça c’est Paris, oui) en file indienne elles et ils attendent dans leurs habits moirés les taxis soyeux qui, noires et clamant leurs lumières blanches au xénon, petit à petit, les emporteront vers leur 8 ou 16, triangle d’or ou ailleurs encore)

On a attendu un moment et elle est tombée… Une capsule, style Apollo ou Soyouz (la petite chienne Laïca je crois, ou Gagarine je ne sais plus, Youri), aussi bien aurait-elle pu le faire dans le petit jardinet un peu boueux mais allées droites et nettes, plantes malingres et lumières à diodes luminescentes de cette maison, mais non, le titre du film (pour le film-annonce) s’imprime de rouge (« matériau fermé ne comportant pas ou peu de vide » dit la chronique)

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un Etazunien (je me souviens de ce magnifique -magnifique- « Soldat de Papier » (Alexei Guerman Junior, 2008), l’URSS d’alors, soixante et un, une sorte de désespoir dans ce qui s’y déroule aujourd’hui comme hier) un jeune type (John Mc Kenzie, interprété par Michaël Pitt)(ce n’est pas qu’il prenne la place du fils, non, mais enfin dans l’imaginaire…)

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qui déboule chez madame Hamida (Tassidit Mandi, trop mignonne) laquelle visite son fils en prison – la première fois : scène magistrale -plan fixe, rien du tout mais tout le cinéma est là – où jamais on n’aperçoit l’employée pénitenciaire, seulement en voix off, une femme, mais reste à l’image cette mère

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(peut-être aux traits un peu outrés, mais une interprétation douce et vraie, quand même), cette femme qui vit au dixième étage d’un immeuble aux trois quarts déglingué. Un peu plus bas répète une actrice peut-être un peu alcoolique (on entend « quand ton coeur est faiblard » : bah, aujourd’hui près de 4 millions de clics)

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dans le rôle d’Agrippine (dont on sait qu’elle mourut sous la main de Néron son fils disons maudit, vois-tu, à cause de la dispute qui les opposèrent à propos du mariage de l’empereur avec Poppée…), Jeanne Meyer filmée par un jeune type qui se prend d’amitié pour elle

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(Jules, le fils du réalisateur, ou alors Charly ou n’importe-dont on sait par ailleurs, la mort brutale de la mère, dans la « vraie » vie), ils voient ensemble quelques plans (le film en entier mais en ellipse) de la dentellière rebaptisée « la femme sans bras » – moi je ne sais pas mais j’aurais bien vu qu’il ait été le fils  de l’infirmière –

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quoiqu’il en soit, sans doute celle-ci s’éprend-t-elle du type qui vit au premier, et qui fait semblant d’être photographe pour la séduire

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je t’assure que ça ne fait rien, les gens vivent et avancent dans le monde comme il vient, lui a sans doute perdu sa mère comme il a perdu l’usage de ses jambes à un moment, ça ne fait rien, l’hélicoptère (c’est le stéréotype de l’Amérique étazunienne depuis le Vietnam) viendra chercher l’astronaute, et le vent fera s’envoler ailleurs toutes ces bribes de papier

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tu la vois heureuse ? Oui ? Eh bien, écoute, elle l’est

Un film, paraît-il, difficile à produire à réaliser à sortir, mais le voilà. De là à le sélectionner pour Cannes, il y a peut-être, sans doute, un pas qu’il n’était pas nécessaire de franchir (je suppose et je revois Claude Beylie, son studio, les chiffres et les lettres, Cannes, oui, pourquoi pas, finalement ? c’était quoi, déjà, la palme cette année ?)

 

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(six mois de maison, ça commence à faire) (elle reste témoin, mais en toute logique-comme d’ailleurs l’ont souligné ChG « dans les murs » et d’autres– il n’y a pas loin d’ici à la zonzon qui privent les humains de toute liberté) (le bien le plus inaliénable dont on peut encore disposer – peut-être – en restant dans une certaine forme de clous) (je n’aime pas la tournure que prend le billet de ce mercredi mais je ne dispose pas non plus de facilités pour ne pas dire ce que je pense) (en tous cas, six mois, ça fait un moment : qu’est-ce qu’on dit ?)

Dans  l’entrée, on posera sur cette sorte de perroquet idiot (« toi qui entres ici abandonne tout espoir ») ce chapeau de cow-boy, en amorce sur l’image, blanc, le chapeau d’un type qui fait du rodéo (c’est lui qui est à l’image : c’est l’un des frères de Jashuan) parce que ses parents en faisaient – son père surtout, leur père, lequel vient de disparaître dans l’incendie de sa maison

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(le chapeau est grand pour la tête de la jeune fille, Jashuan, peut-être onze ans : la voici )

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c’est elle, cette septième génération, c’est elle qui apprend des chansons

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c’est le titre du film; point de chansons apprises pourtant, mais simplement des personnages , des histoires, des sensations, des émotions, avancer dans le cours du film qui présente plus que sa vie, à cette jeune fille, d’ailleurs, celle aussi de son frère Johnny

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qui nous informe, en ce début de film ici, que « priver un cheval de sa liberté pourrait lui briser l’âme », ce qui nous cueille un peu à froid, on ne sait pas, on avance avec lui, dans ses petits trafics d’alcool dans une réserve indienne du Dakota, dans des paysages somptueux, dans ses histoires de coeur, à lui, et puis aussi, lorsque l’annonce de la mort de leur père les prend, de leurs histoires de famille

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les rôles tenus parfaitement, images et cadres sensibles, des films comme celui-là, on en redemande (c’est un premier film : on pense à « Mustang » (2015, Deniz   Gamze Erguven) qui est dans la même veine, un peu (on pense à ces femmes cinéastes, oui, la relève, oui) : comment avec l’aide de sa famille réussir à vivre quand même et malgré tout, et aussi des amis – ici l’ami de Jashuan, tatoué comme personne, qui la prend à son service pour tenir la comptabilité de son petit commerce ambulant de fringues), amitié gentillesse complicité

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sans simplisme, sans manichéisme non plus, une vraie réussite d’un cinéma indépendant mais étazunien (produit entre autres par Forest Whitaker), qui met en scène comme rarement la vraie loyauté que devrait, toujours et partout, adopter l’humanité.

 

C’est vrai, nous sommes peu de choses : on est là, dans cette vie et sur ce monde, on avance les yeux heureux de ce soleil, on respire cet air doux, frais, cette odeur de lavande ou de magnolia et cette caresse du vent, nous les sentons, avançant (?) dans l’éther vers Vega de la Lyre disaient mes cours d’astronomie, cosmos peuplé de noms et de figures indécidables, la nuit en voiture dans les rues filent les lumières, longuement très longuement debout sur le vaporetto numéro un on parcourt le canal dit « grand » doublant hôtels de luxe et palais princiers, alors que meurent des milliers et des milliers d’autres, c’est vrai mais un seul être décède et tout est décimé… Ce billet, comme tous les autres de cette maison(s)témoin qui parle de cinéma, est dédié à Chantal Akerman, cette femme magnifique, pourtant tellement heureuse quand on la voyait défendre ses actes, ses films ou ses oeuvres yeux brillants et sourire ravageur : allez, tournez et tournez encore, grandes roues, levez-vous encore astres, constellations, Harpe Altaïr Déneb, liguez-vous et construisez notre avenir, vers vous, qui sait si elle s’en est allée…

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Un tableau à déménager

Juste avant de déménager, j’ai pensé qu’il ne fallait pas que j’oublie de décrocher du mur de ma chambre ce tableau de Magritte (reproduction avec le titre lui-même « Not to be reproduced », 1937) afin qu’il puisse continuer à m’accompagner dans la nouvelle résidence.

Le jeu de miroir que cette image déroule m’a toujours fasciné. J’imagine qu’on en ferait maintenant un « selfie » de dos.

Ce qui est étrange, c’est que la même œuvre de Magritte peut être repérée dans le film intemporel de Georges Perec et Bernard Queysanne, Un homme qui dort (1974), quand le héros, joué par Jacques Spiesser, se réveille (séquences 1:36 puis 1:59).

J’avais oublié ce point du décor mais j’ai pu revoir récemment le film mis à nouveau en ligne par François Bon à l’occasion de son « atelier d’été 2015 ».

Dans la maison-témoin, je pense que Magritte a quelque chose à nous chuchoter sur l’envers et l’endroit des choses, leur surface et leur profondeur, la toile qui s’évade de son cadre.

Plus qu’à

Toutes les maisons témoins sont différentes, toit orange, jaune ou gris, une véranda ou pas, et les buis dans leurs pots ne sont pas disposés de la même manière.

Toutes les maisons témoins portent des noms, il suffit de feuilleter un catalogue : « maison individuelle Argus », « Sagesse », « Noctuelle pourpre », « Grand nacre », « Perle », « Labry »,  « Aurore azuré », « Ambiance », « Noir jaspée », « Histoire », « Jouvence », « Vert doré ».

Les visages du couple prêt à remplir la demande d’information sont souriants, incrédules.

_Grand nacre, chérie ? Crois-tu que c’est dans nos moyens ?

_Quelle sera notre vie en Noctuelle pourpre ?

_Ambiance possède des volets verts et une balançoire.

_Tu as vu cet onglet « qualités des maisons » ?

_Et celui d’à côté, « qualité du bâti »…

_Car ce n’est pas la même chose, une maison sans qualités peut être bâtie comme un pied.

_Ou le contraire.

_Dans la rubrique « Pourquoi construire ? », je note beaucoup d’avantages.

_Mais quand même un inconvénient : « L’architecture contemporaine peut parfois ne pas plaire à certaines personnes »

_Hum… « certaines personnes »… Ces gens-là ne sont pas comme nous. Certaines personnes sent l’anormal, l’inadapté. Ça frise le gauchiste, le révolutionnaire. Ça peut avoir des mœurs étranges, voire étrangères. Comme être homosexuel ou libanais.

_Ah, par exemple !

_Comment, en toute conscience, être certaines personnes ? Pourtant ce constructeur est magnanime. Il se penche sur leur cas. Il ne les ignore pas.

_C’est généreux.

_Il dit « Certaines personnes, chez nous, on s’en occupe, ne craignez rien. On les matera. On leur mettra deux buis en parallèle et à plusieurs endroits ».

_Comme tu y vas !

_C’est que je veux des voisins propres. Des voisins comme moi. Avec des volets bleus, des balançoires, des entrées de garage immaculées Perle ou Ambiance ou Noir jaspée.

_CONTACTEZ-NOUS… ?

_Plus qu’à cliquer.

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