Vivre

(Reprendre, ne pas lâcher, rien, reprendre et continuer)

 

Il s’agit de quatre femmes, des sentiments, des choses qu’elles mangent, comme cette tartine de pain de mie couverte d’alevins cuits, il s’agit d’une famille, un père qui meurt -tu sais, ce genre d’histoire, moi, finit par me poser des questions, depuis longtemps déjà, soixante dix ans serait ma limite mais plus j’en approche et plus il me semble que c’est peu : c’est que j’aime la vie, au fond – on assiste à des funérailles (le film instruit de la culture japonaise -mais ce mot de « culture » depuis qu’on y a consacré un ministère moi je ne l’aime plus), la musique les trains qui passent, quatre femmes dans une ville au bord de la mer (au début elles ne sont que trois, vient l’enterrement où ces trois-là rencontrent leur demi-soeur si j’ai compris mais qui devient vite d’une certaine manière et en un certain sens leur soeur tout court, elle se nomme Suzu, c’est (en effet) un trésor), des sourires et des fleurs, la douceur de vivre (c’est ce dont on prétendrait nous priver ? pfff), la vérité des sentiments, celle des sourires

NPS 1

voici que les trois soeurs repartent, laissant là la quatrième (gauche cadre dans le cadre de l’écran, sa tête vue de dos – j’ai perdu mes outils depuis ce 31 (même s’il est intitulé ici onze), je ne sais plus me servir de cette machine personnel computer je ne sais plus capturer, je suis fatigué c’est ce que j’essaye d’expliquer sans y parvenir), il y a l’aînée infirmière (au centre gants blancs, dans l’image, Yokuro), la deuxième qui travaille dans une banque (tout sourire bras nus à gauche, Sachi) et la troisième si joyeuse (Chika, adorable), mais ces trois-là proposent de venir avec elles à cette nouvelle petite soeur

NPS 8

« je viens…! » dit-elle, le train s’en va, elle court

NPS 6

court encore (c’est cette joie-là, oui)

NPS 5

elle viendra, jouera au football (mixte ici), parlera criera rira mangera avec ses soeurs, ses nouvelles soeurs, tant d’autres choses encore et l’extrême élégance de tout ce film, mise en scène simple sans effet (le cinéma, ce ne sont que des effets, les réduire au minimum, c’est une des difficultés), des sentiments vrais, des gens des amis des sourires

NPS 4

une pure merveille…

NPS 2

Onze novembre deux mille quinze

 

Mercredi, c’est férié (et c’est cinéma), j’ai manqué mon rendez-vous de la semaine dernière, j’ai eu des ennuis, gros, chiants, horribles, et le cinéma est passé à l’as : je n’y fus point, et je n’en regardai point non plus ; au Royal, ils donnaient « Amy » (Asif Kapadia, 2015) mais on n’a pas réussi à trouver l’envie je suppose (il y en avait aussi un autre, « Lolo » (Julie Delpy, 2015) ça n’a pas pris non plus) . On doit à la vérité de dire que je ne suis allé nulle part, sinon bosser et faire le journal, et avec ce chamboulement, j’ai perdu l’énoncé du mot de passe dans cette maison.

sacrifice 5

J’ai gardé à l’esprit la pyramide que construit le héros du Sacrifice (Andreï Tarkovski, 1986), tout s’en est allé, il faut bien qu’on l’illustre. Je vais perdre mon temps, et mes idées heureuses, à établir pour que l’assurance, en argent, me les rembourse, des listes des objets disparus (livres, meubles, vêtements, vaisselles casseroles…).

J’ai gardé au coeur l’existence de cette maison-là (vingt deux années et toute l’enfance, la jeunesse et l’adolescence des enfants). En fumée, sans l’ombre d’une raison ou du moindre sens : non, évidemment, rien à dire, arracher les objets de la mémoire pour les réduire en cendres, en bouillies, les couvrir de suie, d’eau et de suie, un peu comme ces billets de banque tachés lorsqu’on veut les voler.

J’ai gardé le son tranquille des 4 ou 5 heures du matin, des pages tournées, ce sont les livres qui me manquent, les objets aussi, cette valise dans laquelle on aurait trouvé un fil, électrique et orange, ces chaussures, qui bruissaient aux pas, celui de la radio fondue sur le frigo dans un même état, impossible à ouvrir (« il y avait des choses dans le frigo ? » demandait l’expert : mais comment dire ? oui, du beurre probablement, je ne sais plus, je ne sais plus), les cloisons qui laissaient passer les notes du ukulélé, du violon, du clavecin, du piano, la guitare j’en jouais, elle est là noircie, je me souviens du jour de l’achat, en septembre soixante dix huit, mais du prix ? du prix d’il y a trente sept ans ?

Du cinéma ? On me demande des dates, des valeurs de remplacement, des chiffres, non point de descriptions, ni de littérature.  C’est du cinéma, on a coutume de dire ce genre de choses : dans « le Sacrifice » l’anecdote raconte que ce plan (l’avant dernier, qui dure plus de six minutes) de l’incendie de la maison a été tourné deux fois et qu’il a fallu reconstruire la maison afin de la refaire brûler (c’est du cinéma : Visconti aurait-il exigé qu’on mît dans les tiroirs les mouchoirs, et dans les armoires vêtements et chaussures, à nouveau, qu’on en cherchât ? ) : tout est-il à remplacer ? Comment faire sans dictionnaire ? Comment donner valeur à ce livre d’artiste si précieux mais à présent grisé ?

En réalité, c’est difficile de vivre sans ses objets familiers : quand on sort, on prend le nécessaire, on garde ceci en poche, bizarrement un parapluie, cela aussi, un petit bocal qu’on ferme d’un couvercle bleu. On sort, derrière soi, à clé, deux tours, on clôt la porte. Ce soir-là, vers vingt et une heure trente, c’est ce que j’ai fait. J’avais écouté ce que je racontais sur L’aiR Nu qui venait de paraître. L’employée aux écritures m’avait envoyé  (qu’elle en soit à nouveau ici remerciée) un texto pour m’en féliciter ce soir-là, minuit passait, le trente et un commençait à peine. 

Le cinéma continue, je n’ai pas vraiment d’idée, mais il continue (j’ai vu passer quelques plans de « All abour Eve » (Joseph Mankiewicz, 1950), quelques autres de « Jackie Brown » (Quentin Tarantino, 1997), et puis j’ai lu une critique de « Fatima » (Philippe Faucon, 2015) qui m’a bien fait rire). Le cinéma continue oui, mais je ne sais pas exactement quand.