La concierge est dans l’ascenseur

J’ai constaté avec une soudaine stupeur que la maison témoin n’a pas d’ascenseur. Vous me direz, elle n’en a pas besoin, attendu qu’elle n’a pas d’étage (toute information entrant en contradiction avec cette affirmation et provenant d’un autre texte de cet espace doit être considérée comme nulle et non avenue). Mais depuis quand le besoin est-il une condition nécessaire pour acquérir un objet quelconque ? L’ascenseur est un signe d’ascension sociale, les immeubles avec étant plus prestigieux que ceux qui n’en sont pas pourvus. Ou plutôt, l’ascenseur est devenu, comme le bac, quelque chose qu’il faut avoir parce que sans, c’est encore pire. Donc, hors de là, point de salut… Maintenant, on pourrait envisager (NB : inscrire ce sujet à l’ordre du jour de la prochaine réunion de copropriétaires) l’installation d’un ascenseur horizontal, qui ne ferait ni monter, ni descendre, une sorte de cellule sur trottoir roulant qui amènerait de l’entrée à la cuisine – où l’on saisirait en passant une bouteille de bière dans le frigo – et de là au salon où l’on se laisserait tomber sur le canapé avec ladite bouteille. On pourrait avantageusement accompagner cet ascenseur à plat d’un chariot non-élévateur pour le transport des bagages, sacs de courses alimentaires ou non, animaux de compagnie, enfants en bas âge et autres impedimenta. Des options supplémentaires (diffuseurs de musique, de parfums, de suggestions d’occupations, de poèmes surréalistes…) viendraient compléter l’installation. Il est opportun, en outre, de définir le circuit desservi par cet engin, selon qu’il devra passer par toutes les pièces de la maison ou seulement par certaines d’entre elles (NB : et dans ce cas déterminer lesquelles et pour quels motifs).

Il y a une faille

Il y a une faille. Dans la toile bleue de l’univers. Un accroc vivant et inquiet comme un regret impénitent. Il y a cette béance à travers laquelle je respire, ces jours de trop grande affluence  où les portes me tiennent lieu de douane. Et je ferme la frontière du monde pour m’agripper à cette issue. En ce moment, je la repasse. Vois comme elle soupire sous le fer, la vapeur s’éprend de ses fibres et je m’applique sur les lisières, précisément là où, de temps en temps, l’étole rebique, se rebiffe, crolle.

Je le raconte aux oiseaux. Des corbeaux au plumage humide, qui picorent le linge défait, ratatiné dans l’odeur de frais émanant de la malle. Je me contente de leur présence. Depuis que j’ai perdu le sillage des anges qui traversaient quelques fois jusqu’à moi. On n’est jamais digne d’un verre d’eau et j’ai osé le refuser.

https://youtu.be/Jk0TbvNHhxg

Souvent, je regarde au-delà. Partout, à tout moment. Bien sûr, les souris me voient refaire les lits de ces gestes amples, avatars d’une liberté publicitaire. Elles ne soupçonnent pas un instant que je déploie un horizon, une prairie, un lac, un mont.

Je me confie au léopard, souple chaleur au pied du lit. Je veux bien qu’il lèche mes mains, mais juste le soir, en ronronnant. Les griffures d’ambre sur son pelage me réjouissent. Je sens des tenailles et des crics  bourdonner dans mon ventre sec. Et je fourrage dans ses poils pour deviner l’odeur des jungles bruissant sur le plafond éteint.

J’envie cet autre côté, je le regarde fébrilement, parfois sous les yeux de l’orque de baignoire – Comment fait-il pour vivre dans un si petit espace ? -. Je le projette dans mon miroir et là les océans grignotent des remords d’îles et de fjords efflanqués.

Dans ma malle, les torchons s’accumulent, les serviettes de bain s’empilent, un oiseau trône sur la colonne, petit stylite  impassible. La table se couvre de mouchoirs, damier de couleurs variées. Ils n’ont en commun qu’un serrement, une chiffonnade, un épanchement. Ils ont le compte des sanglots. Je les efface à coups de fer.

De l’autre côté, un chat danse. Ses pattes sont dorées comme ce rire, le tien peut-être, qui sonne l’angélus dans ma tête. Je voudrais tant le caresser, je l’attire avec du lait et des senteurs de cuisine rousse. Jambe de sable d’Italie. Mais il ne vient jamais ici. Alors, je lisse les plaies de la faille. La cicatrice est toujours vive. Comme moi, te souviens-tu que je t’aimais ?

Florence Noël

Dans les arbres

 

(Que mets-je/mettre en cette maison(s)témoin ? Des fantômes, comme on(je) les aime, ceux qui hantent un peu nos(mes) rêves, ceux qu’on aime retrouver même s’ils ont un peu vieilli (Bernardo Bertolucci commence à taper les soixante quinze quand même, mon ami)… Que posé-je en ces pièces en ces murs ? Des objets (ou des pièces) appartenant à des films que j’ai aimés, ou que j’ai assez détestés, n’importe des histoires qu’on raconte aux enfants avant ou pour qu’ils s’endorment, des histoires, l’humanité et ses histoires… Le drame, la tragédie, la comédie, je m’essaye à raconter, je crains la lourdeur, je tente l’ironie, je me souviens de cette chanson -je sais pourquoi elle me revient, c’est que je l’aime- « Charpie de chapka » qui n’a rien à voir mais ça ne fait rien, elle fait partie de ce qui tourne toujours (Etienne Roda-Gil) comme certains films – celui-ci n’en est pas un mais depuis quarante six ans qu’il est sorti (1970) je ne l’avais jamais vu. Voilà tout : l’histoire est jolie parce que je l’ai vu (le film, pas l’histoire) dans un cinéma nommé Le Brady (boulevard de Strasbourg, à Paris, lequel boulevard fait suite au Sébasto de Jean-Roger Caussimon cher à « Ruelles« ) où pour la première fois j’allai… J’aime ces conjonctions, j’aime Paris au mois d’Avril comme je l’aime au Portugal, enfin, des chansons, des films, de la musique et de la conscience. Que fais-je dans cette parenthèse italique ? Je m’explique, vu que cette maison a l’audace de changer (de l’audace, toujours de l’audace)  (j’adore ça) : je continue mon attitude, j’essaye de comprendre ma façon d’agir. J’écris, je prends des photos des films annonce qui tourne sur mon écran d’ordinateur, j’illustre) 

 

C’est une histoire d’arbres

conformiste 1

en vrai c’est en forêt que ça se termine (ça pourrait aller au jardin, s’il y en avait un, et s’il y avait des arbres ). C’est l’histoire assez horrible de l’Italie d’avant la deuxième guerre (mondiale, juste avant, en 38), celle de l’ordure et de l’infamie, expliquée par le traumatisme sexuel subi dans l’enfance. C’est aussi l’histoire du fascisme : comment le devient-il, fasciste, ce héros au sourire si doux (Jean-Louis Trintignant, qui interprète le rôle d’un Marcello Clerici) (et lorsque sa femme à l’écran -interprétée par Stéfania Sandrelli qui tient fort son rôle, dirigée magnifiquement- l’appelle par son prénom, on a l’impression que c’est Marcello Mastroianni qui va apparaître) ?

Stéfania Sandrelli confessionnal

C’est un couard, un lâche – ça ne ferait rien s’il n’était aussi avide de pouvoir, tu comprends…

conformiste 2

Ici c’est la scène d’ouverture, le trio  chnte, lui est avec son ami aveugle dans la coulisse, dans la cabine peut-être de sonorisation, d’enregistrement, ils parlent et il explique qu’il veut être comme tout le monde, avoir une  « bonne épouse » – i.e un peu conne- une vie normale, il sera donc dans les affaires normales de l’Italie d’alors, on lui confiera une mission afin qu’il prouve sa loyauté au Duce, il faudra qu’il tue quelqu’un, son ancien professeur de philosophie devenu opposant au régime, et il le fera par meurtriers interposés, lâchement comme il sied à des hommes de cette trempe…

conformiste 3

Contrefaits, arrogants, sévères, monomaniaques, les hommes qu’il servira seront à l’image de ce qu’il deviendra sans doute  mais le film raconte ces journées-là où il va faire tuer d’une façon horrible (des dizaines de coups de couteau) son ex-professeur qu’il fera mine, tout au long du film, d’admirer. Ca se passe un peu dans un Paris reconstitué d’avant guerre (le musée d’Orsay est encore la gare dans laquelle on a installé un grand hôtel, les images sont magnifiques).

Trintignant tour eiffeil

C’est ce double langage qui est à la base de la réalité qui est montrée – et on ne doute pas, à voir la politique menée ici (en Pologne ces temps-ci) ou là (en Hongrie, au hasard par exemple aussi), de la réalité de ces agissements, car cette extrême-droite-là existe encore de nos jours. Voir ce film aujourd’hui donne un sale goût dans la bouche.

conformiste 4

L’homme, Marcello donc, se marie et pour ce faire, est obligé de se confesser, n’en a cure puisqu’il le faut, il se constitue ainsi : une mère opiomane qui trompe un mari aliéné, avec le chauffeur nommé « Arbres » -traduction du nom du chauffeur asiatique.  Tout est assez transparent – abusé quand il était enfant par le chauffeur de son père, le petit Marcello tuera son violeur -ou pensera le tuer – et durant toute sa vie, ce traumatisme le hantera. Devenir normal, tendre vers la normalité à travers son adhésion à cette idéologie (pourrie), voilà le but ultime du héros. De l’empathie pour lui, non, mais l’acteur est formidable, le film superbe (une image de Vittorio Storaro nuancée sensible douce claire, une merveille), doublé d’une musique de Georges Delerue, magnifique…

conformiste 5

Et à la fin, il finira par encore trahir son ami… Déliquescence, horreur, indignité : itinéraire à ne pas emprunter.

Les rideaux.

Joë Fernandez maison témoin 

Dessin: Joë Fernandez.

 

Ce n’est pas demain la veille que je me donnerai la mort !

Parce qu’il faut voir comment ça vit ici !

Il y en a des pages et des pages, de la vie : plus vous les tournerez, plus il y en aura. Et si vous tournez dans le bon sens, vous pourrez même y comprendre quelque chose. Comprendre, par exemple, comment ça déborde quand on pense trop fort. Quand on est debout, ça déborde par la bouche. Et ça déborde par les mains quand on est assis. Ça laisse même des traces. Au bout d’un moment, il y en a même partout, des traces. Certains s’acharnent même à les effacer. Mais rassurez-vous, ils font le ménage par pure faiblesse. Ceux-là, ils lavent même leurs rideaux. Moi, je n’ai pas de rideaux. Ainsi, tout le monde me voit. Vous savez comme moi la difficulté d’avoir une marche naturelle quand on sait que tout le monde nous regarde. Quand je suis chez moi, je ne sais jamais s’il faut que je lance le bras en premier ou si c’est la jambe qui doit ouvrir la marche. Le balancement entre le bras et la jambe est primordial. C’est ce qui fait le naturel. Je ne sais pas ce que mes voisins en pensent, mais je trouve que je m’en sors pas mal. Ce balancement est bien sûr adapté à mon métier : rythmé, coulant, gracile et réfléchi. Évidemment, la démarche, chez soi, quand on sait que tout le monde nous voit, s’accompagne d’une tenue irréprochable. Il faut toujours être tiré à quatre épingles et rasé de frais. On ne sait jamais, si l’on vient à plaire à quelqu’un. Moi, c’est : Pantalon et cravate verts, chemise orange et veste noire. Je me défoule sur les dessous : je mets vraiment n’importe quoi. Une voisine a l’air d’apprécier. Je vois son ombre derrière ses rideaux. Elle passe son temps à m’observer. Je sers au moins à quelque chose. Les trois fenêtres de nos appartements respectifs sont exactement les unes en face des autres. Elle peut donc me voir : à mon bureau, sur le canapé, dans mon lit. Elle en a pour vingt-quatre heures si elle veut. Du coup, elle me connaît par cœur. Un jour que je m’installais sur mon lit avec un livre (j’avais enlevé ma veste pour ne pas la froisser, la veste), en levant les yeux pour tourner la deuxième page de mon livre, j’ai remarqué qu’elle était partie. Mais là, c’est son voisin qui m’observait. Il faut savoir que le voisin de la voisine se promène toujours à poil. Mais, il a une grande excuse : il a des rideaux ! Mais, ses rideaux sont toujours grand ouverts. Donc, l’excuse des rideaux lui permet de faire balancer ses couilles comme il veut, le plus naturellement du monde. Et, j’ai remarqué qu’une marche inconsciemment naturelle est autrement plus efficace que la mienne. Agile, souple, féline, elle permet de passer partout sans jamais se cogner. Il faut voir comment il navigue dans son appartement. Le fait que je ne voie pas ses pieds ne fait que rajouter du merveilleux. Et il fait ça en couple. Parce que sa femme c’est pareil. Nue et féline, elle se trimballe merveilleusement d’une pièce à l’autre. Cette femme-là, elle a dû inventer quelque chose un jour. Il y a très longtemps. Le souple, la grâce ou la poésie. Nue, elle est habillée de beaucoup plus de choses que moi avec mon costard. Une fois, je l’ai vue habillée. C’était quelque chose. J’étais tellement gêné qu’elle a ressenti ma gêne et a tiré les rideaux. Je suis retourné, penaud, m’assoir à mon bureau.  J’étais bouleversé. Ce jour-là, je me souviens, je n’ai pas pu travailler. Le fait d’avoir violé son image publique ne me permettrait plus de la regarder en face. On ne se rend pas toujours compte de ce que l’on montre aux autres. Maintenant, je ne peux m’empêcher de l’imaginer habillée, fondue dans une foule, à faire des choses banales, avec des gens ordinaires. C’est indécent. Une autre fois, elle a été indécente avec son mari. C’était un jour d’été. Toutes les fenêtres de la ville étaient grandes ouvertes. Elle a dit comme ça à son mari qu’il était adorable. J’ai bien entendu par la fenêtre l’air se remplir de « tu es adorable ! ». On ne se rend pas compte parfois de ce qu’on laisse couler vers les autres avec la parole. Le pauvre vieux. J’imagine qu’aujourd’hui encore il doit s’efforcer de rester adorable. Elle lui aurait dit « tu es un vieux con ! » il aurait pu changer, y faire quelque chose. Il aurait tout fait pour évoluer. Mais là, qu’est-ce que vous voulez qu’il fasse ? Il ne peut que s’enterrer sous  sa stèle « adorable ». J’ai un autre exemple : la puberté faisant pointer ses premiers poils, mon amie intime de l’époque me dit « tu as trois poils sur les couilles, c’est trop mignon ! ». Autant vous dire que quand j’en ai eu plein, des poils, je ne me suis plus jamais déshabillé devant elle. J’avais peur de ne plus être « assez mignon ». J’ai rompu notre relation. Je ne pouvais plus supporter son regard. Quand je la croisais dans la rue, je changeais de trottoir. Puis, plus tard, j’ai fini par changer de ville. J’ai même changé de pays pendant un an. Je ne l’ai plus jamais revue. Je ne dis pas que le voisin adorable devrait rompre avec sa femme, mais ce serait la solution la plus raisonnable pour lui. Et pour elle aussi. Elle pourrait se remettre en couple avec un connard et tout faire pour qu’il évolue. Ça ferait bouger sa vie. Peut-être même que ça mettrait du beurre dans ses épinards, parce que les connards, en général, ils ont des métiers qui rapportent. Ils savent ce qu’ils font ceux-là. Au lieu de les critiquer, il faudrait peut-être leur dire qu’ils sont « adorables » pour qu’ils n’aillent pas plus loin. Qu’ils s’enterrent et qu’on n’en parle plus. Elle pourrait s’en payer des habits, la voisine, avec des zigotos pareils. Moi, je la verrais bien avec une robe toute simple en noir ou en blanc. Pas avec ces habits qu’elle portait le jour où je l’ai surprise habillée. Elle avait une jupe orange et un chemisier vert, couleurs qui ne riment pas du tout avec ses longs cheveux noirs, et, qui riment encore moins avec sa grâce inconsciemment naturelle. J’ai pu admirer cette grâce un autre jour encore : lui, était à poil sur le lit, au repos, tranquille. Je l’ai vue glisser à travers tout l’appartement, nue, comme sur un nuage. Elle est arrivée directement entre les cuisses de son mari et a fait quelque chose avec sa bouche. Je n’ai pas bien vu mais les gestes étaient d’une douceur innommable. Puis, elle s’est installée sur lui et a commencé une danse véloce et aérienne. La cavalcade terminée, elle s’est allongée aux côtés de son homme. Lui, il s’est levé illico et, est sorti de la chambre. Et c’est là que toute sa grâce à elle a jailli. Il y avait comme un halo tout autour d’elle. Son corps s’est éclairé d’un coup. Elle était allongée sur le dos, les bras en croix et une jambe repliée. Quand elle a tourné la tête vers moi, j’ai même pu voir que la bombance de ses lèvres s’était accentuée, ce qui donnait à la bouche une valeur d’épiphanie du corps. Elle a dû remarquer mon admiration car elle m’a fait un petit signe de la main. Alors que je lui répondais, le mari revenait avec DEUX verres de vin. Et c’est là qu’elle l’a enterré. Quel a été mon rôle dans cet acte irrémédiable ? Je ne sais pas. Moi, je ne faisais qu’admirer. Ou alors elle fait ça parce que j’ai fini par lui plaire, et, elle enterre son mari avant de venir sonner à ma porte. On verra bien. En tout cas, si elle vient vivre avec moi, il faudra qu’elle s’habille en noir ou en blanc, histoire que ce soit raccord avec mon métier. Moi, si je m’habille en couleur, c’est parce que je ne veux pas que les voisins sachent le métier que je fais. C’est un boulot honteux. La voisine, non seulement je lui demanderai de s’habiller en noir ou en blanc, mais aussi de changer son vocabulaire. Quoique, ce n’est peut-être pas utile. Car moi, je ne suis pas adorable. La preuve : je n’ai aucun ami. Ceci est bien sûr adapté à mon métier. Je m’accapare l’intimité des autres. Je la triture, je la mâche, je l’expose. Tous ceux qui ont voulu devenir mes amis se sont retrouvés à poils sur la place publique. Démunis, penauds et sans voix, ils n’ont rien trouvé pour me combattre. Il y en a bien qui ont essayé d’exposer mon intimité pour effacer mon être. Mais je n’ai pas d’intimité : je viens de partout et je vais partout. Je m’immisce. J’explose l’écran, l’écrit, le creux. Tout est bon à manger pour moi. Même ceux qui font mon métier ne peuvent rien contre moi. Parce qu’ils ne peuvent tout simplement pas me reconnaître. Pantalon et cravate verts, chemise orange et veste noire. Rythmé, coulant, gracile et réfléchi.

Je n’aurai jamais dû vous dire tout ça : vous allez me reconnaitre maintenant. Je n’ai plus qu’à m’habiller comme tout le monde. En noir et blanc. Le mouvement naturellement raide. Consciemment naturel.

Habillé comme ça, je resterai dans le même métier, mais je m’occuperai de violer l’image publique.

À voir.

 

Jean-Claude Goiri

 

 

(ici la douche)

salle de bain 1

salle de bain 2

salle de bain 3

Ici la douche ne fait pas fonction de douche, ni la baignoire de bain.  Ses remous ne sont que des promesses de remous au futurs, ultérieurs, les canalisations sont vides. Le lavabo est courbe, les robinets sont courbes, les sels de bain scintillent dans des fioles courbes, larges ou oblongues, tout est courbure et confortable, sans risque de coupures. On reste intact en entrant dans la douche qui ne fait pas fonction de douche, en caressant le bord de la baignoire qui n’est pas bain, et même la glace renvoie une image courbée, le miroir légèrement convexe amincit les silhouettes aux hanches, on reste intact, identique à l’image mentale qu’on se renvoie soi-même, plus mince que l’autre (celle de nous étrangère, dans les vitres d’immeubles intransigeantes).

Des serviettes de bain sont suspendues, moelleuses et douces éternellement. Les serviettes ne sèchent pas, les gants ne mouillent rien, parfaitement assortis au décor de galets qui ne connaissent de la mer que sa reproduction, image renvoyée sur du verre, photographiée, l’intensité, la luminosité réglées, et reproduite sur du papier, glacé, mat, satiné, une mer déclinée de l’image d’une autre, elle-même produite par une autre, une mer fractale. Et la forêt n’est pas une forêt d’arbres.

Ici on peut amener des questions simples : combien ? quand ? quels paramètres ? (dimensions, options, coloris) Ce sont aussi des questions courbes, caressantes, confortables, qui n’auraient jamais vu la mer. Des questions fluides et sinusoïdales, complexes (coloris nuancés, options listées,  des dimensions décroissantes ou croissantes et les prix), questions qui reproduisent l’image courbe et douce d’autres questions, elles-mêmes convexes, amincies, contrôlées (une fois que les questions entrent dans une aire fractale elles ne demandent plus rien).

On sort d’ici avec des questions douces, moelleuses et courbes, confortables. Ici l’eau ne coule pas des robinets, ce qui évite les questions pièges ou harassantes, on ne se demande pas si quelqu’un quelque part a soif. Si quelqu’un quelque part fait naufrage. Si quelqu’un quelque part ploie, tombe et se noie. On ne peut pas se le demander car les joints ici sont étanches.

Et si la nuit quelqu’un venait taguer les murs, tracer en rouge des lettres sur le carrelage blanc, en noir des lettres sur le carrelage gris, des lettres coupantes, tranchantes, par exemple un message qui dirait « Quelqu’un quelque part a soif »,  ou « Quelqu’un quelque part fait naufrage », ou « Quelqu’un quelque part ploie, tombe et se noie », il est fort possible que la texture particulière du revêtement saurait dissoudre toute tentative de rébellion massive, tout inconfort, déséquilibre dans les options, nuances et coloris, prix croissants, décroissants et les courbes. C’est comme ce mot « témoin » dans une maison témoin, ce qu’il nous force à ne pas regarder,  comme si le miroir qui renvoie une image déformée, la douche qui ne fait pas fonction de douche ni la baignoire de bain s’étaient fait pousser de grandes mains courbes et moelleuses qui venaient enserrer nos tempes et nos mâchoires pour que nos têtes se tournent en direction d’images d’images, leur intensité et luminosité en règle, reproduites sur du papier glacé, mat, satiné (pas de chute, pas de risques, rien qui tombe).

Ici la douche mesure l’écart, elle fait fonction de référent. C’est le modèle à reproduire, le quadrillage où glisse la translation. Et sa dictature est très douce, tout en courbes, confortables (pour trouver les images uniques, intransigeantes, on traque les reflets).

salle de bain 1 prim

salle de bain 2 prim

salle de bain 3 prim

 

 

Une pièce manquante

 

(où sont les gogues ? ) (enfin, les cabinets ?) (enfin,je veux dire les commodités ?) (les chiottes, le petit coin, les vécés eaux-fermées à la turc ou j’en sais rien ? dans la salle d’eau ?) (c’est pas facile, la vie : voilà près d’un an que cette maison fait son témoin -notamment de cinéma mais aussi de bien d’autres lieux comme la littérature- et on n’y trouve point de toilettes -seraient-elles sèches…) (tout ça est d’un trivial, j’en ai peur) (et en même temps c’est le thème alors) (toujours est-il qu’il fait beau la nuit) (debout)

 

C’est venu à cause des sorties de cette semaine, j’ai regardé et je n’ai rien trouvé (on est dimanche quand même hein).

On dira d’aller voir autre chose, un ancien film comme celui de JC Chandor « Tout est perdu » (2013) (aka « All is lost« ), sans dialogue dit-on, mais avec le RobertR Redford

(il est un peu plus jeune que dans le film, si je ne m’abuse mais ça me va, je l’aime bien dans cette posture qui fait souvenir de « l’Arnaque » (Georges Roy Hill, 1973) et comme il y a dedans Paul Newman

P Newman et R Redford

(là c’est dans un autre film, sans doute dans « Butch Cassidy et Sundance Kid » (Georges Roy Hill, 1969) ça me fait penser à « l’Arnaqueur » (Robert Rossen, 1961) et donc à Martin Scorcese qui lui fait dire « I’m back » dans son « Les Couleurs de l’argent » (1986).

Je brode, donc, et laisse aller les choses parce que les sorties de la semaine me fatiguent, si j’avais été critique de cinéma, j’aurais détesté avoir été tiré au sort pour aller voir quelque chose cette semaine, ou la précédente je ne sais pas. Je déplore de ne pas avoir exercé ce métier (ou si peu). Mais on ne refait pas l’histoire (on fait seulement en sorte de la faire changer, et debout, la nuit).

Comme c’est assez peuplé de fantômes ici, c’est la vérité, on lui doit de dire qu’il y a un « Truth » (James Vanderbilt, 2015) avec le même et l’australienne Blanchett qui vient de sortir quand même et qu’on ira peut-être voir (dans la dimension de « Spotlight » sans doute (Thomas Mc Carthy, 2015) film de genre comme il en existe sans doute quelques centaines, et qui m’entraînerait plutôt vers « Le gouffre aux chimères« (alias « The big carnival » Billy Wilder, 1951) (c’est sa photo en haut, là), une vraie merveille celle-là…)

On en dira plus peut-être. En tout cas, j’ai placé en italique ce qui a donné lieu à ce billet, mais en fin d’icelui, histoire de faire tourner un peu la machine, je dois aussi à la vérité de dire aussi que ces italiques-là avaient pour destinée d’illustrer un autre billet, mais les choses étant ce qu’elles sont, je l’ai repoussé à une diffusion plus tardive disons si jamais elle se réalise

 

 

 

« il tue ce mur »

La maison est vide en ce moment. Comme c’est un printemps un peu frais, que le ciel est grisé, les ombres ne se découpent pas sur le carrelage de la cuisine, sur les dalles claires du salon, au seuil des portes neuves, comme si ici était un lieu hors sol, hors pesanteur – car que pèse-t-on, débarrassé de l’ombre –, comme si les pièces étaient les membres ramenés entre eux d’un grand corps accroupi qui attend, la maison témoin qui écoute.
Il y a des voix de femmes, des rires, des cris. Beaucoup de musique, quand leurs fantômes traversent le couloir, les chambres, et on entend parfois « coupez ! », mais on ne coupe pas, il y a des liens indéfectibles. Il y a ce qui reste des visites, un morceau de papier plié avec un bout de téléphone ou le début d’un nom. Des produits ménagers sous l’évier, des prospectus. Un des faux livres décoratifs de la bibliothèque est écorné – un enfant qui voulait vérifier que c’était une boîte, que ça ne s’ouvrait pas cette mystification, l’a arraché en douce avec son ongle pendant que les adultes parlaient. Il fallait bien qu’il réalise que c’était vrai ce mensonge.
Dehors le trottoir est sale devant le panneau d’affichage qui rappelle les horaires de visites, il fera bientôt nuit.
La nuit arrive, comme elle résonne dans les murs vides, de cris, de rires, qui viennent de loin, plus loin que le trottoir, c’est un vacarme vague, actif et concentré, de qui se réunissent, ne veulent pas dormir, veulent rester debout. La maison est inquiète. Plus légère sans son ombre, elle y prend goût à ce printemps. Elle aimerait bien ne plus entendre « coupez ! » – et elle a cette idée que les fantômes ne sont pas morts. Elle voudrait des slogans qui s’allument et clignotent sur l’écran imité de la fausse télé du salon. Que les fruits en plastique du saladier se talent, mûrissent, pourrissent même, qu’on puisse les jeter sur ce qui avilit, ce qui violence, ce qui monstre d’aveuglement. Elle en a marre d’être témoin peut-être ?

il tue ce mur

faites le mur