Ah, le dur…

 

 

 

(fait beau hein, la nuit) (debout)

Toi qui entre ici laisse à la porte tout espoir de revanche, toute velléité de colère, toute rancoeur et toute amertume, je reviens sur ces six derniers mois de résidence et comme de juste et notamment, sur la réception de ce qui a tenu lieu de clôture. 

Pourquoi ici, je me le demande bien : sans doute parce que j’aime le terrain, et qu’ici est le mien (entre autres, évidemment) (par exemple j’aime quand le vendredi arrive et que je vais chercher quelque part quelque chose et quelqu’un) (quelque part c’est ici, aussi) (c’est un exemple parmi cent) (mais j’aime ce terrain qui n’est pas que le mien) (je fais remarquer à l’assistance publique et lectrice que cette dernière parenthèse abrite un alexandrin de la plus belle eau).

Il y a surtout sans doute qu’avant d’être maison ici est un témoin. Numérique et virtuel, d’abord. Peut-être.

Ici commençons par une photo déjà publiée (je dis ça pour DH) prise (on prend les photos tu sais bien, on n’attend pas qu’on nous les donne) juste avant le début de la clôture (le début de la clôture est-il un oxymore ?) (et aussi la clôture, pour le thème des frontières, ça vous a quelque chose de tombant sous le signe). Il est dix huit heures, c’est le 2 (ou le trente trois) avril (ou mars).

dehors 020316

Et puis ça a été, merci. L’avant veille j’avais pris sur moi de prévenir quelques un-e-s de mes ami-e-s par short message service : c’était « comme vous le savez peut-être le collectif termine sa résidence de six mois au fin fond du 77-une joyeuse clôture est organisée ce samedi 2 avril à 18h- c’est à la bibliothèque de Vernou train gare de Lyon 16.19 ou 17.19 -un peu juste…-changer à Melun un peu galère mais simple aussi-dites moi si vous voulez venir je viens vous chercher à la gare vers 18… bises » : pour des ami-e-s lesquel-le-s ne sont pas (tou-te-s) venu-e-s. J’ai reçu entre autres et en retour ce court message de service : « Merci pour le rappel. Par contre si vous venez en train dans notre « fin fond de Seine et Marne » pas besoin de changer à Melun, le train qui part de Gare de Lyon va à Moret sur Loing sans changement. Je serai à Paris la journée et rentrerai exprès pour venir voir le résultat de votre résidence à Vernou » c’est signé, c’est intitulé.

Sait-on que durant peut-être quinze ans, trois dimanches et fêtes sur quatre (treize-vingt, une demie-heure de pause, oui merci) j’ai officié aux renseignements téléphoniques de cette société ferroviaire et nationale ? (c’était au Pont Cardinet, il faut bien gagner sa vie d’étudiant puis d’enquêteur écrivant n’est-ce pas : tout le monde ne vit pas dans les beaux quartiers). Et donc bien sûr Vernou-la Celle-sur-Seine n’est pas en ligne directe de Paris : j’aurais du me méfier, je n’y pensai pas alors mais le « merci du rappel » avait quelque chose, un sens, quelque chose, je pensais à des ami-e-s, je me suis fourvoyé, tant pis pour moi. Une affaire de classe, pourtant, ce sont des choses que je connais bien, je les sens, souvent, et d’ailleurs, c’est exactement ce qui est arrivé.

Mais ça a été, merci, très bien, je n’ai pas bafouillé (certes mon pull neuf a déteint, un beau bleu sur une chemise blanche, je n’avais pas lu sur l’étiquette, écrit en tout petit comme dans les contrats d’assurance ou autres, le « laver avant premier usage » : tant pis pour moi). Les diverses interventions, très bien, le pot, le retour en auto sous la pluie, les chansons et la joie de vivre, les rires et le week-end, pas de ciné mais tant pis on avance, on travaille on fait ce qu’on doit (on  a été voir l’exposition « Frontières » du musée de l’histoire de l’immigration, parfaite et recommandable : elle continue jusqu’au 29 mai…) .

Lundi (quatre quatre seize) vers treize (13) heures, après le billet ultime, je me souviens, j’avais écrit ce message : « Vous êtes partie trop vite- comme un peu tout le gratin mais enfin…- ça vous a plu ou bien ? Vous me direz… (pour venir à Vernou en train, faut le vouloir… et changer à Melun… :)) Cordialement. PCH ».

Un message un peu convenu, je reconnais, qui tente un peu d’humour sur la société et ses changements…

Je reçus, vers 21h, ce message en réponse ou retour : « Je suis partie en effet très rapidement car assez excédée par les regards « méprisants et quelque peu hautains que vous avez portés sur le sud de la Seine et Marne. Arrivée depuis 18 ans ici, après 36 ans en plein Paris bobo, rue de Babylone, j’ai été, contrairement à votre équipe, séduites par les belles énergies d’ici. L’humain, totalement inexistant dans votre présentation, m’a au contraire, permis de belles aventures artistiques. Assoce Renc’Art où pendant huit ans nous ouvrions les ateliers d’artistes avec comme « devanture » le musée Provencher sur le pont de Moret, lieu prêté pour l’expo collective, mon ami musicien a monté un groupe de rock celtique Transpher qui maintenant tourne de façon quasi professionnelle. Et je m’arrête là car la liste est longue.  Dans votre montage, je n’ai vu que solitude, désespoir, lieux abandonnés et sordides, un no man’s land qui pour moi n’est que le reflet de vos regards bien déprimants. Certes, je suis peut-être encore un peu en colère, donc si vous revenez de votre lointain Paris par ici, je me ferais une joie de papoter avec vous en buvant un kawa au soleil… ps : faites un saut sur le site veneuxlessablons.fr/passerelle pour y voir notre 19 septembre 2015 après les discours… »

C’est signé. Le lendemain matin, un autre message, court et service, m’est parvenu à 7h20  : « Autres pensées d’une amie photographe que je vous transfère : « nous sommes une région avec beaucoup d’artistes hétéroclites tous autant que NS sommes qui aimons partager leurs passions avec les gens pour susciter des émotions sincères et nous aussi NS prenons le train pour monter « à la CAPITALE » et chaque fois que nous rentrons chez nous, on savoure la chance d’habiter ici car nous savons apprécier ce qui NS entoure ». Bonne journée. »

Celui-là n’est pas signé.

Probablement le train. Bizarre, vraiment, les majuscules ; c’est des nues que je suis tombé : « humain inexistant » c’est faux – car, comme on sait, c’est de sa porte que chacun peut contempler le soleil – et inutilement blessant – j’ai pensé à ce réalisateur – je ne l’aime pas à cause de cette scène de « Nous ne vieillirons pas ensemble » (Maurice Pialat, 1972) particulièrement abjecte à l’égard des femmes – qui levait le poing, après avoir reçu sa palme, en 1987 – mais ça m’a fait marrer, parce que c’est vrai que j’ai recours au robot très fréquemment (j’adore ça

1.10 péniche GSW2

j’y peux rien, j’aime ça

1.18 Montarlot horizon lignes électriques GSW

c’est comme une sorte de passion) :

1.12 bisrestaurant l'avenir tizy

c’est une affaire qui m’intéresse, et qu’on veuille bien me pardonner, non, vraiment, je ne suis pas un artiste

1.20 églisegenevraye GSW2

en tous cas pas comme certaine l’entend

1.26 Hermès GSW

la dernière photo de l’Hermès, d’été et du robot (zeugme) : encore merci à tou-te-s de votre accueil, monsieur Mariage et Luc pour cette dernière photo, mais aussi à toutes les personnes des bibliothèques -magnifiques, adorables- les élèves de Gregh (à ceux de la SEGPA : ne désespérez jamais !) et les gens de l’ERPD, sans compter toutes les autres magnifiques rencontres (spéciale dédicace : je pense à ceux qui sont en Islande) faites dans le cadre de cette résidence.

 

billet rédigé le 37 mars 2016.

 

 

Sur la réserve

 

 

 

(après tout, il n’y a pas que le cinéma dans la vie) (cependant on tient à indiquer que la palme d’or cannoise a été attribuée cette année à Ken Loach –qu’on aime– lequel laisse libres les droits sur ses films, qu’on peut donc regarder, voir et visionner comme et autant qu’on veut ici par exemple) (il faudra accepter avant d’être suivi à la trace par les wtf algorithmes gafa mais comme on n’en a -ainsi que l’Edith Cresson première ministre nous le faisait savoir- rien à cirer -elle c’était de la bourse-, on verra) (il y a aussi la littérature et la peinture) (jte parle même pas de la musique)

 

la grande réserve

« Il existe un tableau de Caspar David Friedrich nommé La grande réserve qui représente une partie de la réserve d’Ostra, au nord ouest de Dresde, sur la rive sud de l’Elbe, en 1832. Le fleuve est bordé d’arbres agglutinés sur la gauche en orée, tachant à droite l’arrière plan au flanc d’une longue colline lointaine, ensuite vient l’horizon, enfin le ciel, un énorme volume de ciel froid qui envahit la moitié du tableau jusqu’à paraître émaner de lui, s’interposer entre l’oeil et lui.

A première vue, depuis la maison de Bernard Calvert, le paysage que surplombait Georges ne ressemblait en rien à celui d’Ostra. »

Il s’agit ici des premières phrases du chapitre vingt cinq, reproduites du livre – qui en compte trente deux – (des chapitres, pas des phrases) « Cherokee » (1983) de Jean Echenoz, lu dans sa version de poche (2003), exemplaire achevé d’imprimer le dix décembre deux mille quinze dans les ateliers  de Normandie Roto Impressions à Lonrai (61 250) (France) (suit un numéro d’éditeur, 5902, et un autre d’imprimeur, 1505485). Elles ne rendent que très peu compte de la parfaite et magnifique prose joyeuse et simple qu’il emploie.

On a reproduit ici aussi le tableau en question où la description n’a pas tenu la péniche pour sensible -il s’agit d’un bateau à voile, qu’on aperçoit voguer sur l’Elbe (donc).

S’il se pouvait, autant que de faux livres, que sur les murs d’ici figurent aussi quelques reliques fantomatiques et hâves de peinture, ce me serait (peut-être) agréable (on les mettrait aux couloirs)

 

 

Jazz

 

 

(en tout cas, on reste debout) (la nuit, oui) (le jour aussi, dlamerde) (il y aurait pas une vague odeur de révolte, ces temps-ci avec le minuscule numéro deux autocrate aux commandes – et son N+1 de chef, le roi de la médiocrité synthétique ? il semble, il semble…)

 

(Voici un an que cette maison(s)témoin est ouverte à qui veut y entrer, et voilà une quarantaine de billets produits pour ici, qui prennent pour personnages principaux des films et des acteurs, des techniciens qui font vivre ce cinéma industrie divertissement ou art et les trois réunis on n’en sait rien -on s’en fout presque-  c’est Cannes – et on avance quand même en âge) (tu sais, je suis fatigué : depuis que tout a été pris par les flammes, je ne parviens pas à me remettre dans les clous, je vaque et je divague, je marche dans les rues sans trop savoir ce qu’elles sont pour moi -elles ne me sont plus des adresses, juste des décors – je passe sur la place, on parle on se sourit, on avance aussi vers quelque chose, mais moi, je suis las) (ça ne m’empêche pas d’aller au ciné, heureusement, et de repasser par le pont qui domine les voies du chemin de fer qui va au nord par sa gare

gare du nord 14 5 16

ça ne fait rien, j’erre, j’estime et j’encombre)

Alors voilà, comme c’est la déprime, on va faire quelque chose avec un film à Woody -son quarante septième – Allen rigolo comme tout, hollywoodien mais new-yorkais (ce type aime cette ville comme d’autres aiment Paris) (je veux dire moi) (et d’autres, allez), il y a le héros, celle qu’il aime mais qui en choisit un autre (son oncle), puis celle qu’il épouse (adorable :

café society

on ne comprend pas bien pourquoi il s’entiche de l’autre assez godiche mais ça ne fait rien, on ne la met pas en photo) (c’est petit en même temps, mais tant pis -d’ailleurs le type est petit comme Woody je suppose), et partout à tous les plans, sur toutes les images, cette musique de jazz formidable… (il est bon d’entendre, même dans ce décor d’artifice mais témoin, cette musique qu’on adore)

Le type a une famille

café society la famille

(ici la mère, le père en marcel, et le frère assez voyou, qui sentant venir sa mort prochaine, se convertira au catholicisme), le type a des amis

café society les amis

et c’est magnifique. Même si le scénario est peut-être fait d’assez grosses ficelles (il rappelle ce film de Francis (ex-Ford) Coppola  « Cotton Club » (1984) ou cet autre de Martin Scorcese « New York New York » (1977) mais les pathos en moins…), les acteurs sont formidables (pour le type et celle qu’il aime mais qui le jette mais qui l’aime -enfin c’est compliqué le cinéma, tu sais bien- mais qu’il aime, je suis réservé mais c’est rien), la musique en parfaite, l’émotion sensible et généreuse, et on se marre.

Donc tout va bien. Le monde est le meilleur possible, on y tue, on s’y blesse, on danse on boit on rit…

On demande autre chose au cinéma ? Oui, certes, sans doute. Parfois. Mais dans un autre film alors…

 

Les vibrisses

Là, campée dans ses pantoufles, le tablier gras qui dessine ses seins ancestraux, les naseaux gonflés par tant de haine que quelques vibrisses tentent d’en sortir, avec sa bouche pleine de crocs vomissant chacun de nous, avec ses courtes pattes avant tenant des côtes que jamais personne n’a caressées, son corps et son être déshumanisés par un enfermement volontaire, elle me dit : « faudrait voir à enlever la trottinette de votre fille du couloir, pasque le couloir, c’est commun, et dans les communs, y faut rien d’personnel, alors faut la monter la trottinette!! J’ai appelé le propriétaire, il est d’accord!! ». J’acquiesce en lui répondant: « mais je l’ai acheté pour tout le monde vous savez, vous pouvez l’utilisez si vous voulez, n’hésitez pas, elle est commune! ».
Elle fulmine, se tape les hanches, puis finit par s’en rentrer chez elle. Tandis que je monte chez moi, je l’entends s’enfermer à quintuple tour.

Et en buvant mon café, je l’imagine sur la trottinette tandis qu’elle m’imagine étranglé de ses mains en se torturant de ne pouvoir le faire.

 

Jean-Claude Goiri

Juste une cave

 

photo cave

La première fois que j’ai pénétré ici, il y avait un monde fou qui visitait.

C’était le jour de l’inauguration et je suis entrée en suivant le flot des visiteurs. Personne n’a remarqué ma présence. J’ai trouvé cette maison très belle et je me suis immédiatement imaginée dans de tels murs. Bien sûr, pour pouvoir accéder à ce genre de demeure, il faudrait que j’aie un travail à plein temps et une famille. Il y a beaucoup de chambres. Si elles restaient vides, la maison serait triste. Un toit est fait pour abriter la vie et des cris d’enfants.

Ma mère qui m’a eue par accident, rirait bien de moi si elle savait que mon rêve serait d’avoir une famille avec beaucoup d’enfants et de les élever dans une petite maison tout ce qu’il y a de plus bourgeois. Elle la rebelle, la farouche soixante-huitarde, l’anarchiste. Si elle savait qu’elle a nourri en son sein une pauvre fille comme moi qui rêve au prince charmant assorti d’une ribambelle de mômes hurlants, je crois qu’elle en ferait une crise cardiaque. C’est pour cela que je suis partie d’ailleurs, j’étais trop différente, trop « standard » pour elle. Je dois ressembler à mon père, même si elle ne sait même pas qui c’est. Moi, je l’imagine très bien à l’aune de mes désirs, il devait être un petit bourgeois, fils de famille bien cadré, bien propret. C’est de sa faute si je suis comme ça. C’est parce que je lui ressemble que ma mère ne m’aime pas !

Peu importe, pour l’heure j’ai trouvé un bel abri ici. Dans la cave. C’est juste une cave, mais pour moi c’est un paradis.

Personne n’ayant remarqué ma présence, j’ai pu attendre qu’ils soient tous partis et me laisser enfermer dans la maison. Dans la cave, je me suis installé un petit coin assez douillet. C’est important que je puisse dormir au calme et que j’ai un endroit pour faire un brin de toilette avant de partir travailler. Je dois être là-bas tous les matins à six heures, fraîche et bien réveillée. Si je reste dans la rue et que je me présente le matin sale et épuisée, ils ne voudront plus de moi au bout d’une semaine. Le travail est difficile, mais il paye les factures, mais quand le propriétaire a voulu reprendre son studio pour sa fille qui venait faire ses études à Paris, je n’ai rien trouvé d’autre qui soit dans mes prix. Plus de toit, plus de travail. C’est l’équation infernale, alors je n’ai rien dit à personne et j’essaye de me débrouiller, un jour par ci, un jour par là.

Ici au moins, personne ne me demandera de payer en nature mon droit de respirer. Il faut que je reste ici, dans cette cave, jusqu’à ce que j’aie gagné assez d’argent pour pouvoir de nouveau me payer une chambre quelque part à l’abri. S’ils me trouvent, ils vont me remettre à rue. Il faut que je me fasse toute petite, il faut que j’arrive à rester là sans qu’on me voie. La rue c’est l’enfer, viol à tous les étages, froid, nuit, peur. Je ne veux plus y retourner.  Je suis courageuse, je ne demande qu’à travailler, je ne demande rien à personne, juste le droit d’exister et de dormir sans avoir peur. Ici je me sens bien !

Pourvu que personne ne me trouve dans cette cave, au moins le temps que je me remette à flot…

 

Marie Christine Grimard