Elles deux

 

 

 

 

 

qu’est-ce qu’on devient ? je me souviens que lors de la séance de cinéma (une séance de cinéma, tu te souviens ?) il y a au début un souvenir – quelqu’un, une amie, qui disparaît – et je me disais ce mail (une espèce de jardin, je crois vers, Mulhouse quelque chose je ne sais plus) (pas un courrier, un genre d’avenue ou de promenade) il faudra que je le retrouve aujourd’hui puis dans les années passées, ou les saisons autres – il n’apparaît pas dans le film annonce, mais l’histoire a quelque résonance avec cette disparition – on nous conte l’histoire de deux amies, l’une (Madeleine, interprétée par Martine Chevallier)

est grand-mère et mère de deux enfants

mais elle n’arrive pas à parler avec eux de la relation d’amour qui l’unit à l’autre (Nina, c’est Barbara Sukova)

laquelle ne comprend pas pourquoi ces atermoiements, il suffit de dire c’est pourtant simple –  Nina n’a pas d’enfant, c’est pour ça – ça a l’air simpliste (et ça l’est) mais c’est aussi vrai que simple – elle se fâche, s’en va

(elles doivent partir toutes les deux, si on ne dit rien aux enfants ça risque de compliquer le bazar, Madeleine ne comprend rien, combien de temps encore va durer la mascarade ?)

et puis et puis

rien d’autre que la vie, finalement, peut-être

une attaque comme on disait dans le temps – des péripéties (des immondes salopards aussi) – ici Nina arrive à l’hôpital

une sorte de drame, peut-être que l’amour seul

et puis revenir quand même (le film donne de l’espoir)

si on en manquait, on en retrouvera

les préjugés des enfants n’importent pas, on danse

et encore et encore

et pour le reste… (dans les couleurs chaudes)

 

Deux, un film de Filippo Meneghetti

 

 

les fenêtres allumées, les alarmes et les courageux protecteurs

 

j’ai mal dormi
sommeil entrecoupé
à chaque fois que je reprenais pied dans le monde semi-réel de la nuit, même pour quelques secondes, je pensais à des choses pragmatiques, des bricoles, le jour, quel jour ? le nom du jour et la lumière de la salle de bain des voisins dont la fenêtre fait face à la fenêtre de notre chambre, allumée, encore allumée ou déjà allumée ? je pensais, je me disais que ce qui se voit (la lumière venant de la fenêtre de la salle de bain des voisins) ne se limite jamais à ce qui se voit, car derrière cette lumière, à cet horaire, il y avait peut-être un sommeil entrecoupé là aussi, ou un réveil difficile, besogneux, une difficulté à s’extraire des draps, car je sais qu’ils travaillent (les voisins) tous les deux au contact, réellement au contact, cas contact, il y a une inquiétude sur ce qui fait contact et qu’on peut contacter, ça se devine aussi entre les fentes des volets la nuit
un autre moment j’ai pensé aux concours pour chiens
ils sont présentés côte à côte, tous de la même race, tous les mêmes poils, la même silhouette et la taille au garrot identique, on compare leur allure, celle au repos et celle au trot, on mesure l’écartement entre leurs yeux, le retombé de leurs oreilles, la tonicité de leur queue, la clarté de leur globe oculaire et on décerne un prix au chien dont les qualités, musculature, vivacité, correspondent à ce qui est inscrit sur la fiche officielle, la fiche de référence avec le tarif officiel qui décrit la norme officiellement admise et j’ai pensé que s’il n’y avait pas de prix pour les feuilles d’automne ou pour les flocons de neige ou pour les astéroïdes c’était sûrement un oubli, car si les feuilles d’automne les flocons de neige et les astéroïdes pouvaient être réunis dans une grande salle des fêtes pour être triés répertoriés mesurés comparés on trouverait très vite le meilleur flocon de neige, le plus beau, le plus méritant, celui qui correspond le mieux au standard officiel avec son décor officiellement admis, et au lieu de penser que c’étaient des divagations de 04h37 du matin ce que je pensais, j’ai pensé que c’étaient des alarmes, des signaux, peut-être des signaux de détresse, enfin j’ai surtout pensé que le jour où il n’y aurait plus de concours pour chiens, même si cette nouvelle peut paraître au premier abord assez périphérique, ou anodine, donc ce jour où, faute de participants, ou faute de volontaires pour les organiser, il n’y aurait plus de concours pour chiens, ce serait peut-être le symptôme, le symbole, la petite preuve cachée entre les fibres du tapis qu’on est passé à autre chose, nous tous, nous tous je veux dire en tant que société, ça voudra dire que nous serons passés à quelque chose de plus vorace, de plus déterminé, de plus monumental du verbe vivre, de plus plus, de plus précieux et infiniment apaisé que ce médiocre, que le médiocre des comptes d’épicier qui tuent
parce que j’y crois, il y a des liens entre les choses, la façon de penser débouche sur des actes débouche sur des décisions débouche sur des organisations et des distributions de paillettes, de rance, de tristesse des encombrements
ce sont des encombrements, ça encombre la tête ces récompenses fardeaux, ces rubans premier prix de vaches charolaises et j’ai même envie de dire, mais c’est cocasse, que dans un monde comme ça nous sommes toutes et tous des vaches charolaises, un peu
lorsqu’on comptabilise, organise, labellise, hiérarchise, lorsqu’on fait du pyramidal, lorsqu’on met en avant dans la vitrine cette norme au lieu d’une autre, on oublie totalement les astéroïdes, ce qui est contre-productif, je veux dire contre-inventif puisque c’est d’eux qu’on vient
et les flocons, il faut juste prendre quelques secondes pour regarder, mais regarder vraiment, réellement, à quoi ressemble un flocon de neige, sérieusement
c’est peut-être ça qui s’est passé cette nuit, je veux dire dans ma nuit, l’arrivée de décors de flocons de neige dans mon rêve et comme ils sont puissants, très puissants, rétifs aux tarifs gélifiés de tonicité d’oreilles tombantes et de musculature, ils restent, s’installent, demeurent, ils flottent en filigrane tout au fond de l’iris
donc quand je dis j’ai mal dormi je me trompe peut-être, peut-être que j’ai bien dormi, amis, amies, astéroïdes et voisins courageux protecteurs du sommeil

Samia et Alda

 

 

 

 

il s’agit d’une rencontre

Samia enceinte (Nisrin Erradi – splendide) frappe à la porte d’Alda

(Lubna Azadal – itou) : c’est non – la porte se referme, Samia seule au monde avec son bientôt nouveau-né

et puis la petite Warda (Douae Belkhaouda)

on voit la magie de l’image (cette chaleur un peu indicible (Virginie Surdej)) une ambiance mais le travail : Alda, veuve, vend du pain ou des gâteaux – boulangère dans la medina de Casablanca – Samia l’aide

les rziza (sucrerie – crêpe – traditionnelle) une espèce d’union, de connivence, l’amour de la vie, sans doute

et puis c’est le monde qui veut ça, ce sont ses lois et ses pesanteurs sans doute, ses obligations et ses tabous

un film d’amour maternel (quand même il serait socialement fondé et construit : celui d’Alda pour sa fille Warda, celui de Samia pour son futur fils, Adam) mais la pesanteur du monde alentour (le mari d’Alda est mort brutalement, on a privé sa femme de l’enterrement parce que c’est la loi – inique, idiote, mais la loi; le père d’Adam s’est évaporé, et c’est Samia qui doit se débarrasser de son fils parce que c’est la loi – imbécile, sauvage et tellement bête mais c’est la loi) – et puis

même si on rit

et qu’on s’amuse

il faudra bien que ça se conclue

Il y a de belles images, de belles musiques, de belles chansons et de très belles amitiés – mais, encore une fois, le monde est tel qu’il est.

 

Adam, un film de Maryam Touzani (2019)

 

 

 

Aider

 

 

 

Le rédacteur est parfois pris d’une espèce de doute et le nihilisme le terrassant, plus rien ne sert à rien – et servir pourquoi faire ? – et peut-être surtout pour qui – c’est une affaire entendue, il aime le cinéma (comme si ça pouvait y changer quelque chose) et le commente encore – et encore – mais le rédacteur, parfois, est fatigué. En doute, cette manière de proposer des images tirées des dossiers de presse (ici celui du jour) afin de relater quelque chose de ces images animées – avez-vous donc une âme ? – qui n’existent plus une fois la lumière revenue dans la salle (le rédacteur voit les films en salle, le plus souvent). Et aussi, certainement plus, le choix – pourquoi ça et pas ça? – tempête sous un crâne… Pourquoi pas ce que la vulgate en cours à la mode du moment énonce comme »block buster » – une superproduction – un truc qui vaut des millions, et qu’iront voir (donc) des millions de spectateurs ? C’est produit par Gaumont (« depuis que le cinéma existe » – on ne va cracher dans la soupe, non) et Vincent Cassel, l’un des deux acteurs phare de l’histoire (« inspirée d’une histoire vraie » sans doute).

 

Deux réalisateurs se partagent donc les « moteurs » et autres « silence » à moins qu’ils ne disposent d’assistants pour cette tâche (le clap, et ça tourne) : Eric Toledano et Olivier Nakache (ou l’inverse, je ne sais pas) – il y a au cinéma, assez souvent, des frères qui officient ensemble (Dardenne) ou séparément (Mankiewicz) – chacun son tour (Taviani) ou autrement (Coen) – d’autres encore mais pas vraiment frères (Loach et Laverty) : les deux qui nous occupent ne sont pas frères non plus, mais presque et cassent la baraque depuis « Intouchables » (2011) : ce sont donc des locomotives du cinéma français (il n’est sans doute pas d’auteur mais est-ce qu’on en a vraiment quelque chose à faire ?) (le cinéma (d’auteur) français, ce peut être deux ou trois personnes dans un appartement qui parlent, et parfois, on se lasse aussi). Le film reste de la qualité française, cependant.

En réalité, le cinéma (n’) est (que) ce qu’il est.

Point à la ligne : deux acteurs donc, Vincent Cassel et Reda Kateb (les deux, d’une présence formidable) – l’un interprète un juif (kipa – sous une casquette estampillée NY le plus souvent – plus tsitsit) l’autre un arabe (plutôt banlieue, en connaissant les codes). Ce sont ces deux hommes qui tiennent le film, deux amis loyaux et sincères, dotés d’une patience d’ange. Tous deux dirigent des associations d’aide aux personnes handicapées (ici, des autistes, adultes ou non).

Ils sont épaulés par deux bandes de jeunes gens, les plus ou moins autistes et leurs aidants (plutôt plus parfois moins – ils les aident à entrer dans la vie disons courante). Une vraiment très belle histoire, enlevée drôle et triste parfois – des coups de cinéma, des téléphones portables, des courses poursuites – beaucoup de plans de ville sont situés dans le dix neuf, on reconnaît les bords du canal, la Philharmonie…

L’essentiel du film est le secours porté à ces jeunes gens et l’abnégation que leurs aidants donnent à voir – les aidants : parfois des jeunes gens, noirs ou pas, arabes ou non, qui s’occupent chacun d’une de ces personnes. On augmente du fait que l’une des associations a la visite d’inspecteurs de la sécurité sociale (disons pour faire vite) et que les subsides vont lui être coupés. Les deux directeurs se tiennent les coudes, c’est réjouissant – les personnes qui les soutiennent, à l’hôpital (Catherine Mouchet, tenace) ou les parents de ces enfants aux handicaps parfois très lourds, eux aussi assez formidables (Hélène Vincent, magnifique) : c’est réjouissant tout autant.

J’ai pensé parfois à ce film, « d’ici là » chroniqué ici qui est d’une autre ampleur (documentaire, sans doute, conditions sociales de production différentes – ici 5 pour cent des profits seront reversés à des associations du genre) – mais les deux heures passent un peu comme un rêve (le monde n’est pas si pire – la tâche, admirable, de ces gens doit être montrée et soutenue (mais l’État, dans tout ça ? est-il occupé à mater les résistances et procurer aux actionnaires les quinze pour cent annuels qu’il leur promet ?) : un moment de beauté.

Parfois, c’est difficile de parler des films (le cinéma, c’est aussi un passe-temps, un  loisir, un moment d’égarement ou de dégrisement), parfois il se peut qu’ils n’en aient nullement besoin (il faut faire preuve de discernement – les temps du cinéma sont durs ces jours-ci…). Pour une fois (mais c’est aussi souvent le cas), les bons sentiments triomphent et on n’en conçoit pas d’aigreur (c’est plus rare…). On pourra bouder ce plaisir mais il y a de la joie, de l’entraide et de la vérité, pour croire un peu en ce que l’humanité peut avoir de meilleur. Ensuite, dehors, en sortant, on retrouve les lumières allumées, et les autos qui foncent sur les boulevards (le 5 décembre, on y pense quand même).

 

« Hors Normes », un film d’Olivier Nakache et Vincent Toledano (ou l’inverse, je ne sais pas).

Les gens

 

 

 

Il s’est agi de regarder un peu les clichés réalisés ces derniers jours semaines mois – et en Italie, cet été, un petit peu – les gens aiment à se glisser dans les images, une espèce de désir, quelque chose qui surgit – nous autres, nous tentons de capturer quelque chose, une action, des participants et ou des réalisants – et eux, bim ils entrent là

il y en a un vingtaine je les pose pour ne pas les oublier – ils sont là, partie du tout, présents malgré tout (ils n’existent pas, ils n’y sont plus, ils sont juste dans la maison)

ils se savent d’autant moins capturés – et captifs – que l’opérateur lui-même n’a aucune idée de leur présence – seule la maison, aujourd’hui –

ceux-ci travaillent – il n’est pas rare de découvrir (peut-être un peu comme la précédente) des regards directs

si on y tient absolument, on peut intituler « hasard » cette conjonction – eux passent, l’image les attrape –

c’est le même homme en effet – place des Pyramides – les deux jeunes gens sont aussi au travail sur cette place – la statue de Jeanne d’Arc domine tout ce monde -là

celui-là dort à un jet de pierre – pelouse du jardin des Tuileries – je pourrais aussi bien poser l’entièreté des images afin qu’une idée puisse se faire à les observer

celle-ci attend son taxi wtf nouvelle ère – autoentrepreneur voiture en leasing plateforme esclavagiste : la classe – celle-ci

discute et raconte à qui veut les entendre les mérites comparés des divers emplois qu’elle occupait – celui-ci relève certains compteurs

petite image pour petit métier (pour une fois que ce qualificatif convient à ce métier)

mieux vaut chômeur que contrôleur probablement – cette criminalisation des sans-travail donne des envies de meurtre – mais laissons là, brisons, parlons d’autre chose – c’est d’ici que les choses partirent

cinq portraits oubliés sur le comptoir de la sécurité sociale – cinq fois le même : lequel est le bon ? on pose on prend on s’en va – les gens ne se savent pas pris dans les rets de la photo

on marche et on pense

quand même nous verrions-nous que nous ne nous reconnaîtrions pas – ils étaient là, j’y étais aussi – et alors ?

Paris rue Racine devant le désormais fermé restaurant Acropole : l’homme passe (il se peut qu’à l’autre bout du monde, il soit retourné dans ses pénates) ce matin-là

ici de suite, deux d’Italie – elle et sa canne, lui et sa cheminée –

ramoneur des Abruzzes – soleil à peine voilé… : ce qu’on distingue au fond, ce sont des oliviers : ici l’entière est au zoom

Passant près du métro, toutes les chances sont de leur côté : les voici à trois

restant groupés suivis de peu de celui-ci qui veut se prendre la tête

puis tous réunis – non c’en sont d’autres… –

le métro les a doublés

ici ou là, un peu partout tout en étant nulle part – nos contemporains

et puis on nous emmène… Ailleurs. Le bras lâché

et d’autres encore : elle ici téléphone

d’autres marchent et vont et viennent

et pour finir, cette petite mignonne capturée sans le savoir (et sans que je le sache) dans le jardin des Tarots (Niky de Saint-Phalle)

 

 

les gens, en italique, en image, en fondu, derrière l’image,  la vraie, la seule, les gens sont passés – pris, emprisonnés, ils sortent de l’image : leur mère ne les reconnaîtrait, eux-mêmes si on les leur présentait, nieraient en faire partie – c’est le statut de l’image : elle n’existe pas, ou alors ailleurs; elle ne représente rien sinon quelque fantôme ou illusion – ils y étaient sans doute, probablement, c’est crédible et vraisemblable, on peut y croire – mais à présent ? Qui sont-ce ? Alors on objecterait qu’ici elles existent vraiment – il s’agit d’une qualité… Peut-être, mais reverra-t-on jamais ces images ? La réalité les a englouties – on les sauve pour un jour – elles retournent presque immédiatement dans le caveau… (dans la salle à manger, dans un tiroir du buffet – dans le tiroir du bas de l’armoire de la chambre d’amis, quelque part ailleurs, où personne ne les cherchera) (une chanson de Claude Nougaro dit ainsi « pensent-elles encore à nous en ce moment / ou font-elles brûler nos photos ? » – Sing Sing) 

Passons… laissons-les reposer

 

Train fantôme

 

 

Trois histoires composent ce film, et c’est juste magnifique : toutes les trois se déroulent à Memphis (Tenessee) qui (comme on sait ?) est la ville où naquit à la chanson Elvis Presley (aka Elvis the pelvis) (il est né au monde à Tupelo, à soixante kilomètres au sud – en janvier 35) . Il ne fut pas le seul à chanter ici : la réalité veut que les studio Sun records se soient installés à Memphis, et ce fut là qu’un jour, pour sa mère, The King fit graver son premier disque du monde.

Il est dès lors présent partout (il y vécut, Graceland est le nom de la petite maison où il vécut, je crois et mourut (à 42 ans), peut-être d’overdose de médicaments dans la ville. C’est là que le train s’arrête, passe, s’en va.

Dans l’hôtel nommé Arcade qui sert pour une (assez grande) part de décor au film (les trois histoires s’y déroulent un moment sans qu’aucune ne se croise) dans ce lieu, il y a la présence du gardien de nuit (interprété par Screaming Jay Hawkins) et du groom (Ciqué Lee)

), dans chacune des chambres on trouvera un portrait d’Elvis (dit The King).

Le train en question ne vient de nulle part, ne va nulle part – ou du moins, sa destination n’est-elle pas exactement explicite. Et les trois histoires usent de macguffin – on ne sait pas pourquoi les choses arrivent : on ne verra pas Graceland, on ne saura rien du mort que convoie Luisa vers Rome

le type de l’épicerie sera-t-il mort ?

On ne sait pas pas… On entend un coup de feu, dans chacune des histoires (est-ce celui tiré dans l’épicerie ? On ne sait pas…)

Memphis est mystérieuse…

On peut pourtant noter un invariant (ça ne sert à rien, mais c’est amusant quand même) : le rouge que porte le gardien ressemble à celui de la valise des deux amoureux

comme à celui (plus passé, plus vieux, plus terni) de la voiture des trois types alcoolisés.

On peut sans doute noter aussi que le fantôme d’Elvis n’apparaît qu’à Luisa; que le chanteur des Clash (Joe Strumer

l’anglais – le supposé mari de Dee-dee la bavarde -ici droite cadre

) déteste Elvis (parce que tout le monde l’appelle ainsi) et fait tourner le portrait contre le mur de la chambre; le troisième des bras cassé (est l’ami du coiffeur blanc – à l’image le second, Will, plus ou moins pote avec le gardien de nuit)

interprété par Steve Buscemi  – ce dernier apparaît dans le premier épisode des deux amoureux japonais.

C’est peut-être un conte : en tout cas, Luisa attrapera son avion

les trois types bourrés se sauveront; les amoureux poursuivront leur route (non sans s’être emparés d’une serviette de l’hôtel)

 

Mystery Train, un film de Jim Jarmusch (1989)

(les amoureux japonais, Yuki Kudo – c’est elle – et Masatoshi Nagase – c’est lui)

je me fais vaguement l’effet d’être instrumentalisé : les copies de ces films sont neuves, c’est une affaire de distribution sans doute en lien avec la présentation du dernier film de Jim Jarmusch présenté à Cannes il y a deux mois (c’est son treizième – le précédent, Paterson, était une merveille – on lira avec profit ce billet duquel je ne retirerai pas le moindre traître mot) , qui est sorti je crois bien mais que je n’ai pas vu. En revanche, j’irai sans doute voir Le Traître de Bernardo Betolucci, et probablement aussi le dernier de Quentin Tarantino. Bof, tant pis, c’est un réalisateur qu’on aime bien.

allez allez

en fait l’idée c’est de faire ce que l’on fait
avec plus ou moins de bonheur
plus ou moins de chance
plus ou moins de sérénité et de ténacité
plus ou moins de questionnements
sans oublier que nous ne sommes pas des îlots ou des gardiens de phare, faire c’est aussi regarder ce que font les autres avec plus ou moins de hardiesse, plus ou moins de vilenie, plus ou moins d’âpreté, plus ou moins de courage et/ou de cohérence
le faire des autres vient heurter s’engouffrer s’insinuer saupoudrer pénétrer notre faire à nous
et c’est ce qu’on garde de ces poudres de ces poteaux ou ces tenailles qui compte
par exemple j’ai lu cet homme qui dénonce ceux qui sont fiers de leur hideur
j’ai vu ces sit-in
ces armes maniées à la cow-boys
ces pelleteuses que des bras sans force repoussent, bras accablés
ces têtes hautes qui refusent de s’asseoir au fond du bus, qui refusent que les noyés se noient
faire, ce n’est pas difficile
faire, c’est impossible
c’est entre ces deux plateaux de la balance que son propre visage se sculpte en trois dimensions
et dans ce faire il y a aussi l’insu
ce qui survient et n’était pas prévu
parler de cinéma, ce n’est pas parler de cinéma, c’est parler des gens de comment ils vivent de comment ils sont vus de comment ils se voient de ce qui est proposé dans le faire
on peut se placer en vigie
on regarde ou on tourne les yeux
on fait comme ça nous chante
et parce qu’on fait ce qui nous chante ça sonnera toujours assez juste
(l’idée)
parce que les idées, ce ne sont pas des concepts, ce sont des corps
les rêves de piscines vides n’existent pas
ou bien c’est que les boutiquiers ont gagné ?
les boutiquiers à cols blancs dont les suv possèdent un pare-chocs anti rhinocéros en centre-ville ?
non les rêves de piscines vides n’existent pas
hop
inutiles
et déjà envolés
allez allez, ne traîne pas dit la voix, tout va bien

Collision

 

 

 

c’est une esthétique moderne qui ouvre le film

un autobus dans la nuit – c’est le matin, ramassage scolaire (tout à l’heure Mérou rejoint le héros, ils vont au lycée) – drone et en haut de l’image les deux petits faisceaux qui n’ont rien à voir, ils se suivent et éclairent seulement la nuit – le plan dure un moment, on domine et on plane – il s’agit d’une histoire assez simple, l’amour et l’amitié – c’est toujours un peu la même histoire aussi – ça se passe à la frontière entre la Suisse et la France – le collisionneur, l’accélérateur, l’immense machine construite sous terre est là qui calcule

LHC : large hadron collider (soir grand collisionneur de hadrons – GCH ça va aussi…) (quelques schémas, reproduire le big bang, identifier les produits de la collisions, vitesse de la lumière – ce n’est pas que ce soit simple, mais c’est un peu comme ce qui attire deux êtres, on ne sait pas bien en déterminer la cause – les hadrons sont des particules complexes)

CERN : conseil européen pour la recherche nucléaire – centre de recherche sur la physique des particules

Elle calcule, elle observe – il s’agit d’une machine infernale (on se fatiguerait à énumérer les milliers d’électro-aimants, de kilomètres de fil de cuivre, de tonnes d’hélium nécessaires au refroidissement etc. j’en passe : c’est une machine incroyable) (infernale, je ne sais pas – je ne suis pas suffisamment croyant, sans doute) – on la visite dans le film (ce sont des élèves de terminale S comme science) – ici notre héros porte un pantalon rouge

(tu te souviens comme on aime à déconner dans ces temps-là ? oui, on est tellement aussi tiraillé par le désir – on se marre entre deux haies de thuyas buis troènes bien propres et taillées comme il faut – on fume  on boit on danse on bosse on fume on danse) – la machine, sous terre

continue son manège – un truc que j’aime c’est qu’on fait de la musique : ils sont quatre amis, donc, un groupe de garage, mais notre héros joue aussi dans une harmonie, il porte comme tout le monde une veste jaune

(on en rit) : ce que j’aime c’est que ce soit une harmonie (un orchestre ? non, une harmonie – ça ne dispose pas de corde – ça n’a pas de théorie non plus), mais je n’ai que des mots pour éclairer cette histoire (et des images, certes)

oui, c’est lui, là – sans doute est-ce l’amour qui l’éclaire (je pensais à la fin de « Kiss me deadly » tu sais… (Robert Aldrich, 1955) (une première au garage)) – il y a de l’allégorie, de la poésie,  de la musique, de la neige – c’est une assez jolie histoire, prenante mais à peine, sensible, distinguée

élégante et simple

ici un des amis disparaît (il se nomme dans le film Mérou, un des meilleurs amis du héros) dans un scintillement (son ombre, son âme, son aura qui apparaît sur une image de google street view: formidable !)

et puis l’amour sans qu’on le sache incidemment, comme un hasard majestueux

la photo de classe et la rencontre tout un peu dans un même mouvement

dans les bleus

une espèce de merveille quand même… À suivre, sûrement.

 

Les Particules, un film de Blaise Harrison

 

les listes et les podiums

Je ne me souviens pas exactement de ce qu’il y avait sur cette liste, des sortes de résolutions, et en toute fin celle de ne jamais faire de liste.

Ce dont je me souviens est haineux surtout, mais je ne sais pas dans quelle mesure l’hippocampe du cerveau doit être tenu pour responsable et comment, de quelle façon, quoi, avec quel outil, comment pourrait-on – un deux trois quatre dit le mec au téléphone dans la cour – étudier ou même tout simplement reconstituer ce qui amène à ça, à la détestation des différences – la grille de la cour claque de façon très reconnaissable en se refermant, le mec un deux trois quatre est très différent de moi, je ne le déteste pas mais je suis tout à fait capable de détester qui s’érige qui se porte garant, qui refuse d’accorder, qui n’imagine pas se tromper, qui prend l’espace et la parole, ce serait trop compliqué de faire une liste, surtout sachant que certains paramètres de reconnaissance de ces qui détestables sont diffus, de l’ordre du sensible, et tiennent à une manière de prononcer certains mots, avec une certaine torsion de la bouche, par exemple en s’érigeant, se portant garant, refusant d’accorder etc.

Ensuite il y a beaucoup d’avis qui sont donnés sans préavis.
On cherche la poule qui sait compter ou le poulpe qui donne des résultats de paris sportifs.

Finalement, recopier intégralement, ou pratiquement intégralement, le discours d’une chaîne de téléachat est reposant, parce que le détestable se montre tout clair, sans masque, pas besoin de se fatiguer à le débusquer ou à le traduire. C’est l’éloge de la différence – plus exceptionnel, meilleur, performant, ça va vous changer la vie – mais d’une autre différence, celle qui nous rapproche de l’exception admirable. Le téléachat installe des nuées de podiums sur tous les emplacements, même quand il s’agit d’un coton-tige ou d’un parapluie pour que nous devenions tous l’exception admirable. Ne pas être comme les autres, c’est être meilleur – plus exceptionnel, performant – que les autres, ce qui est un abîme sans fond, car si ça fonctionnait avec cent pour cent de réussite, à la fin nous serions tous identiques. C’est reposant de voir à l’œuvre cette schizophrénie. Mais quel outil, comment, avec quoi, tirer des conclusions, sauf en détestant ce détestable.

Les décorations de noël sont en place, les rues ont été bloquées très peu de temps pour que les boutiques n’aient pas à en subir les conséquences, en termes d’accès, ventes, black-friday. Certaines guirlandes lumineuses ont peut-être été installées de nuit. À la devanture du magasin de jouet du centre-ville, un père noël ventru de douze centimètres sourit dans la nacelle d’une montgolfière tissée. Aucun jouet n’est à moins de cent cinquante euros. Le pull moutarde dans la vitrine d’à côté est en solde à deux cent vingt-cinq euros. Il en faut deux pour obtenir le prix d’une paire de chaussures. La ville est calme. C’est en périphérie qu’on brûle des pneus. Ce sont des différences visibles, des podiums bien installés. La haine aussi veut son podium. La ville est calme. Il n’y a pas de mère de famille tuée sur son palier à coups de couteau ici, comme dans d’autres villes. C’est peut-être une question géographique. On pourrait se dire – comment, de quelle façon, quoi, avec quel outil, comment pourrait-on, un deux trois quatre  – que les différences – de prix et de couteaux – sont géolocalisées. Peut-être même qu’il existera bientôt une application pour téléphone où les podiums apparaîtront en temps réel sous une tête d’épingle rouge ou verte en forme de goutte d’eau stylisée inversée. Une qui sert le café avait un bleu au visage l’autre jour et les yeux rouges. L’étrange, c’est qu’elle ne se trouve pas en périphérie. La chaîne du téléachat est dans toutes les télévisions, peu importe leur emplacement. C’est pareil pour les bleus, ça l’est moins pour les jouets en bois faits à la main, les montgolfières tissées de quinze centimètres de haut en soie et les vêtements moutarde. Historiquement, c’est un peu comme les chambres de bonnes toutes au rez-de-chaussée. Il y a une ville en Amérique du sud dont les quartiers les plus privilégiés se trouvent sur les hauteurs, et les zones pauvres en bas. Quand les pluies dévalent les pentes, qu’elles engorgent des rigoles parfaitement goudronnées, s’y engouffrent, longeant les interphones des portails électriques, passant devant des escaliers à double volée donnant sur des statues au centre de parterres fleuris, elles inondent les cabanes de bois et de tôles ondulées, elles les recouvrent, elles les pourrissent et elles les noient, avec des gens à l’intérieur. La haine de qui s’érige de qui refuse d’accorder s’écoule, simplement, au grand air.

Après, il y a ce souci dès qu’on écrit, d’arriver à une conclusion. De faire une démonstration. Ou un portrait. De donner à voir un angle qui ne serait pas commun, ou qui serait différent. C’est peut-être la corrosion qui gagne. L’acide du podium se répand. Dès qu’on écrit, et sans qu’on le formule, même sans qu’on veuille s’y intéresser, arrivent les différences, le haut, le bas. La sélection. Écrire c’est sélectionner. Recopier c’est sélectionner ce qu’on va recopier.
Même la longueur d’un texte est soumise à la sélection : trop longue pour un billet en ligne sur le net comme ici, trop courte pour un livre. Si je choisis d’écrire un texte trop long pour être lu en ligne, est-ce que c’est pour déjouer ce principe ou pour faire différent ? (me la jouer ?) Comment – quel outil, comment savoir, comprendre, répondre, et où se terrent les illusions, sur soi et sur le reste, celles qu’on voudrait avoir, celles dont ne sait pas qu’elles nous collent aux talons.

« Il y aurait plus de mondes potentiellement habitables dans l’Univers que prévu », me dit un site. Juste après m’avoir demandé
« Qui est Jesus ? » et
« Comment préparer une pizza parfaite selon la science ? ».
Ce qui m’intéresse, c’est de savoir si dans ces mondes aussi il y a obligation d’agencer en vue de démontrer, et si tout s’organise hiérarchiquement, même la pluie.

Chanteur de charme

 

 

 

Un peu comme dans les livres de Philip Roth (qu’il repose en paix), il arrive qu’au cinéma (un peu aussi comme dans les Mille et une nuits) ce soit quelqu’un qui prenne la parole (et du même coup l’image) et nous raconte une histoire. Ici, il s’agit d’un jeune type réalisant – plus ou moins seul, apparemment : c’est une des failles du film – un portrait (documentaire ? fiction ? les acteurs jouent-ils ? les acteurs ne jouent-ils pas toujours quand ils sont à l’image ? comme nous tous ?) (que de questions, hein…) de son père – celui-ci ne sait pas être le père du jeune barbu mais ce sera caché, et ce sera l’une des grandes qualités du film ( qui n’en manque pas d’ailleurs). Il s’agit d’un vieil homme (dans les soixante quinze piges) (ça ne fait jamais que dix de plus que le rédacteur qui se sent dans la même position) un chanteur (on pourrait se souvenir « jme présente je m’appelle Henri (ici Guy)/ j’aimerai bien réussir ma vie être aimé é/é/é / être beau gagner de l’argent/puis surtout être intelligent « – stop !)

Années soixante dix :  on a souvent droit à quelques flash-back au temps où le type était une star (il y avait cette chanson, qui était-ce j’ai oublié mais ça va revenir « n’avoue jamais/jamais/jamais/jamais ») (le sarcasme sur la profondeur des paroles entonnées par les chanteurs de charme a bon dos) (Guy Mardel – bizarrement, le réalisateur qui tient le rôle principal ne le cite pas – c’est  pas gentil – mais est-ce que citer quelqu’un ressort de la gentillesse ? je ne sais) ici Guy et son attachée de presse sont au bar (elle, interprétée par Nicole Calfan, adorable : quarante ans de complicité)Des chansons (textes un peu idiots, mais l’amour ne l’est-ce pas aussi ?) (parfois ?) et ce type aux cheveux blancs qui montent des chevaux, en dépit de toute prudence vu son âge et son contrat, qui boit qui fume, qui vit : peu importe. Il chante et les gens sont heureux (les femmes aussi).

Des apparitions, des silhouettes peut-être: chanteuses (Dani), ou pas (Elodie Bouchez) chanteur (Julien Clerc splendide) présentateur (Michel Drucker) ou acteur dans un rôle (Nicole Ferroni parfaite) : on a l’impression de quelque chose d’artificiel, et ça l’est mais c’est aussi affectueux . Très (en entrée de billet : la photo de la mère du réalisateur, incarnée par Brigitte Roüan, magique). Il n’y a pas à geindre sur le passage des ans, mais « deux heures, paf » dit le chanteur, le temps d’un concert et évidemment, à nos âges, ça cogne.

Il fait bon ça se passe en partie dans le sud de la France (le type possède un mas, un cabanon amélioré – très amélioré), il y vit avec femme (Pascale Arbillot qui se défend : très juste) et chiens et chevaux, petite piscine, grands espaces… La tournée qu’on suit, les concerts qu’on traverse, la relation qui unit le père au fils (et bien sûr qu’on sait qu’il sait être le père de l’olibrius : et bien sûr que l’olibrius sait que son père finit par savoir), les repas, les loges, et puis le « tu étais très bien » du fils, vers la fin et le regard du père qui demande : « c’est vrai ? »…

Vraiment réussi.

 

 

 

Guy, un film de Alex Lutz (2018)