Sous la fenêtre de la chambre du haut

 

 

Sous l’une des fenêtres d’une des chambres (imagine qu’elle soit louée à une étrangère de passage, un/e jeune étudiant/e ou quelqu’un des nôtres, un/e ami/e, une connaissance de la maison, depuis longtemps imagine depuis longtemps cette maison une famille l’habite les enfants sont partis les grands parents sont morts, depuis tant de temps, peut-être est-elle habitée par le veuf, la veuve, qui cherche une compagnie plutôt qu’un loyer faible dérisoire, imagine un peu), sous la fenêtre de la chambre à louer, on a installé une planche de bois dur, et lourd, on a posé des tasseaux (c’est une fenêtre dans un chien assis), on les a fixés de grosses vis et de grosses chevilles, en plastique gris les chevilles, la perceuse et le bruit, la vrille, le bruit, ce sera comme un bureau, on l’a louée et puis le temps est passé, la planche est restée là, c’est une planche de bois dur et elle servira à reconnaître que l’écriture de ce type a été tracée dessus…

lohmann m le maudit

Le type, le locataire, un chapeau, un manteau, des bonbons et le silence de l’escalier, Allemagne années trente, à l’image la loi et la force de l’ordre, l’inspecteur Lohmann, il pense, et finit par trouver, oui, sur cette planche, les empreintes du crayon rouge, oui, on pense, cet homme, est-ce qu’on se souvient de lui ? Ah, Peter Lorre : « pourquoi moi ? » dit-il, « cette ombre je ne suis pas seul, je ne suis jamais seul quelqu’un me suit, je ne suis jamais seul, il est là, il me suit, c’est moi... », il sifflote un moment cet air de Grieg (trente et un, le son au cinéma commence, le son comme une antienne, comme un apport, comme une ouverture sur quelque chose qui évoque, le son comme à la radio (j’ai mis un lien un peu de commerce, mais ça ne fait rien, c’est pour Savannah) lui il le siffle, « un aveugle en gémissant« , disait Jean Roger Caussimon, « sans le savoir a marché dans le sang/ puis dans la nuit a disparu/ c’était peut-être le destin/qui marchait dans les rues« , oui, la force du destin), est-ce qu’il est responsable, tuer une enfant, responsable, une ville cherche son meurtrier, cette lettre tracée dans son dos, sur son manteau, quand il se retourne elle disparaît il lui faut un miroir, les mendiants, la pègre, la loi, ce n’est pas discours que de ne porter à l’image que l’inspecteur Lohmann, non, pas seulement, Allemagne année trente, j’ai peur de reconnaître les actes avant-coureurs, Fritz Lang qui vient après Samuel Fuller, un panthéon, une vraie furie… Sous la fenêtre, une planche et les traces du crayon, rouge il me semble me souvenir

 

A la folie

 

Il faut bien, sans doute, qu’on pose ici un système de chauffage (je vois bien que le travail d’installation est en cours, je propose seulement). Il y a là un élément important : le radiateur. La réalité des choses veut que ce couloir (« Corridor » dans le titre) soit infini : il y aura là

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un type, journaliste, qui voudrait confondre quelqu’un, lequel aurait probablement par accident mis fin aux jours d’un ou d’une autre sans vraiment en avertir sa hiérarchie. Ou alors intentionnellement. Plus probablement. (J’avais pensé aussi à « Soudain, l’été dernier », (Joseph Manckiewicz, 1959) mais finalement, c’est le radiateur qui l’a emporté). C’est que de peupler ainsi cette maison de héros plus ou moins inconnus de la cinématographie mondiale (ou tout au moins celle à laquelle je suis, disons, perméable) avait créé chez moi une attention plus grande, un désir aussi de rendre présentes des choses qui font que le monde est tel qu’il est. La folie, c’est une chose qui le fait avancer (tu vois, par exemple, il n’y a pas si longtemps, sur l’allée verte, à Paris, dans cette zone industrielle en Isère, ou sur cette plage du côté de Sousse).

Ou alors stagner.

Ou plus précisément, reculer, oui voilà.

Reculer. Comme dans celui dit de la mort : la folie du monde, c’est un peu ça.

Cela n’avait aucune importance : cette maison-là était une maison de fous (marabout de ficelle de cheval de ferme ta boite à clous d’acier toit de maison de fous comme toi) mais cela ne se dit plus. Cela. Le type a été servi  : ah bien sûr évidemment il a démasqué le coupable (la belle affaire), il a même je crois reçu le prix qu’il convoitait tant, ça n’a rien empêché : catatonie, pétrifié comme dans un rêve où l’eau directement descendue de son propre esprit désincarné, l’inonde et et puis ensuite plus rien

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camisole chimique ou pas, laisser reposer l’être, assis sur ce radiateur qu’on installera bientôt, dans l’un des couloirs de cette maison qui témoigne de l’existence indicible mais réelle de la folie pourtant car, dans la fiction,  comme on sait, tout est, toujours,  vrai

Résister (Anna Magnani)

 

C’est que les êtres qui hantent la maison[s]témoin nous sont chers, elle a quelque chose du panthéon, quelque chose de tellement inexistant, volatile, incertain et inutile, visitée dans son décor de pacotille, ses pièces sans vie, sans histoire, sans familiarité, tous ceux là y habitent, y sont parce qu’on les y pose, ils s’en iront sûrement un jour, exiger l’ouverture de ces portes, de ces murs, exiger l’enlèvement de ces gravats, de ces ordures, de ces déchets, exiger que ici, toi qui y entres, exiger que toi gardes (ou perdes) tout espoir…

(les photos sont de l’auteur, prises du DVD où Martin Scorcese explique ses liens avec le cinéma italien).

 

 

 

Ca commence dans la cour de l’immeuble

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une rafle, la deuxième guerre mondiale, Rome, on emmène les hommes, on laisse les femmes et les enfants (on se souvient, à l’occasion, de la mi-juillet quarante deux, au vélodrome d’hiver, à Paris), elle c’est Pina, Nanarella, c’est la plus grande actrice de tous les temps et de tout l’univers, on dira ce qu’on voudra, une merveille, une des merveilles du monde du septième art, une merveille de l’humanité : et que serait l’humanité sans amour ? C’est lui qu’on lui enlève, Francesco, elle déjà veuve, elle qui l’aime, elle crie, hurle, se bat, frappe, se déchaîne court vers la sortie

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on lui déchire le coeur, tu sais bien comment ça se passe chez nous autres, les humains, elle court et hurle « Francesco!! Francesco!! »

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il est embarqué, sait-on alors qu’il va vers la mort ? et qu’elle y court, elle aussi ?

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qu’on la laisse, elle court, sort, elle crie, court

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court

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lui la voit dans le camion, elle court crie « Francesco!! » quelques secondes

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lever le bras, crier encore crier

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on tue, on arme le fusil, on tire, on tue

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dans la rue, morte…

Résister.

« Rome ville ouverte », Roberto Rossellini, 1945.

 

Le deuxième portrait

 

 

Il se pourrait bien que ce soit de l’amour. Mais ce ne serait qu’en esprit, et en esprit, l’amour a plus de difficultés, entre les êtres, à s’établir. Peut-être entre les êtres. Mais ici, un souffle de vent, dans un rêve, quatre heures de l’après midi, soleil, bord de mer…

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Madame Muir s’est endormie (le ciel est bleu mais ce n’est que le fond de l’écran) (il en est de même dans le film, mais)… Seuls le noir et le blanc parviennent à dessiner la vérité de la relation qui unit cette jeune femme – qu’on voit là, endormie, au premier plan, de profil, elle rêve- et Daniel Gregg, capitaine de navire probablement, qui a fait construire cette maison et qui, dans cette image, entre sans qu’on le voie, par cette baie fermée à l’instant par notre héroïne (ce faisant, elle a à son doigt fiché une écharde ainsi qu’ailleurs la Belle au bois dormant, mais passons)

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Ici, le portrait qu’on trouve au salon, qu’on posera plus tard sur le mur de la chambre du haut (c’est le deuxième de cette maison-ci, qui n’a d’existence que parce que nous autres y plaçons certains souvenirs, mots, photos, signes, témoignages et autres dons immémoriaux ou liens, rapports, noms propres ou communs, lieux et territoires, une histoire et une géographie, une science ou un désir) : à droite, l’agent immobilier qui ne veut pas louer, au presque centre cette Lucy, de noir vêtue veuve d’une année, et le capitaine qui nous fixe, nous et moins elle…

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La rencontre (s’il y a lieu : ce sera dans la cuisine) la bougie, la lampe et le cran : une sorte d’amitié

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Le capitaine est à l’image : Rex Harrison, la jeune veuve, Gene Tierney : le film vient juste après la deuxième guerre (1947), c’est Joseph Mankiewicz qui le réalise (il y a dans cette maison un certain nombre de gens qui ne sont pas nommés, mais ça ne devrait pas durer, je pose des liens dans le cellier-qui ne sert à rien- la buanderie-il en était une chez mes parents à Carthage avenue du Théâtre romain – dès que je peux), ensemble (est-ce ensemble ?)

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une magnifique ambition, un lien sublime et tellement affectueux, un vrai couple de cinéma dans l’un des plus beaux films de tous les temps…

(Ici, dans cette maison, ici ne viennent que des films les plus beaux de tous les temps, ici s’évanouit la fiction pour à la réalité faire place, ici comme il est tellement difficile aujourd’hui d’être exigeant car le monde ne le veut pas et s’oppose à tout ce qui pourrait aider à penser, ici donc vivent nos fantômes – et comme on les aime… – mais est-ce que c’est de l’amour, dis moi ?)

 

Billet réalisé avec la complicité de Joachim Séné,  pour l’aimable prêt du DVD : qu’il en soit (ainsi que son père, si j’ai compris) donc ici remercié.

 

Le plus beau de tous les temps

Un chiffre, et quoi d’autre ?

Ca se range, ça, un chiffre ?  (il y a comme une obsession dans cette maison, par rapport au rangement : chaque chose à sa place, et chaque place a sa chose, dit le proverbe) (est-ce bien un proverbe ? je ne sais plus) Un chiffre, jt’en ficherai moi…

Une adresse, ça pourrait tu vois aussi, mais là : on peut encore se contenter de bis, ter ou encore mais demi, non, jamais.

Tant pis.

Quelle idée aussi (je sais bien d’où elle vient, va, encore cet esprit -peut-on vraiment parler d’esprit pour ce type-là ?-  cet esprit dis-je, embrumé par des fantasmes à n’en plus finir, tu sais bien, ces histoires de poitrines proéminentes, de hanches épatées, de fesses arrondies énormes, ces sourires maquillés, ces femmes, toutes ces femmes, outrées, fardées, rieuses ou pleurant, tu sais bien (ici Claudia, qui jouait aussi dans « Le Guépard » – même année, 1963, tu vois bien-

claudia

mais là, elle sourit, elle conduit une petite voiture allemande, il est à côté d’elle et lui a promis une rôle, si je me souviens – tiens j’ai une photo de lui, je vais la chercher

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la voilà, elle est dans le journal comme on voit (la lumière c’est le flash juste sur son prénom), il mime sans doute pour l’un de ses acteurs favoris

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le chapeau, les lunettes, l’écharpe et le sourire, le jardin des statues) non, mais quelle idée, et puis finalement, je me souviens de lui dans sa salle de bains, aussi

Frédérico2

il a gardé son chapeau, tandis qu’en dessous, on aperçoit cette Gelsomina qui fait de la main un signe (on le revoit tout à l’heure, en contrechamp), Zampano ou Snaporaz, des noms, des surnoms, paparazzo ou Rimini, la mer d’huile et de plastique d’Amarcord, le mollet de la botte, les chemises rouges de Garibaldi (non, lui n’aime pas vraiment ces histoires-là, cette histoire aussi bien) des chambres d’hôtels, oui, des maisons en tissu sur la plage, peut-être, du vent, les vagues, l’Italie – mais cette maison, là, dans une sorte de minuscule jardin, ces pièces intérieures, le monde qui entre, visite, juge, moues dégoûtées et rires frelatés, à vendre, ce sera « chez vous », entrez,  entrez – le numéro de la rue, le nom, la ville, et la plage, c’est loin ? non, vraiment, non, et la dernière scène du film, celle où à chaque vision, moi, je pleure, je ne sais pourquoi, le type est un monsieur Loyal

loyal

c’est un homme fardé de blanc (jl’adore) (tout à l’heure, il se préparait, croisait les doigts au passage de Marcello, lui disait : « Ciao..!! Buona fortuna..!!! »), voilà tout, et c’est parce que il y a cette musique (Nino Rotta), c’est parce que on sent bien que la fin arrive, on a monté l’échafaudage

échafaudage

dans l’hystérie, les journalistes, les autres, il plonge sous la table, Marcello, dans sa poche, il s’allonge et tout disparaît, survient Luisa

anouk 2

Claudia tourne le dos

anouk 1

Anouk Aimée si fine légère formidable

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cette femme-là, c’est pas compliqué, je l’adore (« je peux essayer, dit-elle, si tu m’aides… »)

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tout sauf la musique qui est là, une fanfare (elle n’est pas au point, ce sont des clowns, oui)

fanfare

le petit môme en blanc, qui joue de la flute, là, on commence à ouvrir le rideau blanc

ouvrir le rideau

et que descende la foule

la descente

(« riez, parlez, bavardez… ») et que batte la musique, et que passe le monde en blanc

son père et sa mère

ces deux vieillards, la mère et le père, là, il leur dit bonjour, au revoir, adieu qui peut savoir

au revoir aux parents

regarde au fond du plan, cette présence de la foule qui est là, sans le dire, sur l’estrade ronde, et mettre en place

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prendre la main de Luisa, l’emmener

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si elles sont bougées, c’est que la danse est là

danse 3

ils la rejoignennt, la farandole, tournent les danseurs, les acteurs, les personnages

danse 4

il faut que ça se termine, tu sais, un film, une danse

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dans un magnifique contrechamp peut-être, une musique tellement belle, on fond, je te jure,  quelques larmes de joie, le monde tel qu’il est, ainsi jusqu’à la nuit, « le monde est un joyau sans meurtre ni misère », une vraie histoire vraie, celle d’un homme qui n’a rien à dire, mais vraiment félicitations maestro, alors oui, l’un des plus beaux de tous les temps, oui, huit et demi

 

Sortie de bain

 

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 » C’est le père Pirrone, qui dit que c’est urgent… »

L’homme (c’est le Guépard) bougonne : « qu’il entre…! » , sort de l’eau tiède

salle de bain 2

(si ‘l’Employée aux écritures vient par ici, je lui dédie ce papier peint) (d’ailleurs, c’est un paravent) (il irait bien aussi chez un des héros du propriétaire de l’horloge comtoise) (mais je m’égare)

l’homme (c’est un prince) pense à part lui : « que me veux ce (WTF) ecclésiastique… ? »

salle de bain 3

il sort de la baignoire, il vient de parcourir, en cinq ou six jours, la campagne sicilienne, voitures chevaux bruits de guerre et violences, dormant dans des auberges immondes, sous une chaleur caniculaire, et voilà que ce prêtre

salle de bain 4

est surpris par la nudité du Prince qui n’a rien à cacher au Créateur et encore moins à ses représentants ici-bas

salle de bain 5

non, il ne savait pas mais c’est énervant quand on a l’habitude d’être servi de ne pas trouver au sortir du bain le vêtement approprié

salle de bain 6

dit le Prince au prêtre, et encore d’autres choses du genre : « vous qui avez l’habitude de la nudité des âmes, celles des corps est bien innocente, allons padre, le peignoir… » puis très vite, l’autre ne comprenant pas :

salle de bain 7

le prêtre le couvre du linge lourd et le sèche, s’approche, et le Prince, sans sourire (ce n’est pas drôle) :

salle de bain 8

Il est complètement anormal qu’on me trouve ici : on ne me voit pas, tu me diras, puisque je suis probablement dans un des placards qu’on ne distingue pas d’ici ou encore dans l’une des malles des nouveaux arrivants, peut-être (cette idée d’appeler cette pièce « salle d’eau » vient de qui ? on ne peut pas aller jusqu’à « salle de bains » non ?  ce type de lieu, témoin de quoi jte le demande, furieusement classe moyenne, médiane, commune, ni tout à fait complètement pauvre, crédit vingt cinq ans et au bout de ces vingt cinq ans, plus rien, les placoplâtres fichus, les fenêtres et les joints éventés, j’en passe des meilleurs des pires, c’est aigre aujourd’hui, pourquoi ce dégoût ?) je suis blanc, propre et sec : le prêtre, peut-être négligé dans cette lointaine campagne, le Prince qui va se parfumer, après ses jours dans la poussière et la chaleur, il me faut la photo de son visage, il y a peut-être une heure, quand il est arrivé à Donnafugata lorsque la messe en son honneur est dite, il me la faut parce qu’elle dit ce que c’est que d’être un acteur de cinéma, même si elle est trouble, sans doute parce qu’elle est trouble, elle dit (ne le dit-elle qu’à moi ?) ce que c’est que d’être un acteur du Nouveau Monde qui joue dans l’ancien, l’Histoire, la constitution de cette Italie, en mille neuf cent soixante trois, adaptant le livre date de mille neuf cent cinquante huit, et qui donne les événements de mille huit cent soixante

Burt

le Prince Salina, don Fabrizio, Burt Lancaster, trapéziste dans sa jeunesse, ici voyant le monde devant lui changer, changer pour que tout reste comme avant et que rien ne change…

Au grand jour

 

Le cinéma, c’est toujours un peu la même chose. Parfois, on aimerait pouvoir croire qu’on n’y est pour rien, mais voilà, non, jamais. C’est un peu comme l’histoire, cette histoire-là, celle de l’humanité aussi bien, cette histoire comme ce présent et cet avenir, en est-on ? L’accès à la maison est l’accès aux témoins : ici, avant qu’on y entrepose cric et horloge comtoise, photos de tableaux ou de graffitis, dessins ou icônes, mots enfin laissés là pour que d’autres s’en emparent, les lisent, les comprennent, ici vient qui veut, s’en va qui ne peut rester, je n’en sais rien, c’est égal, pour ma part, je n’ai rien choisi, et parfois, dans des moments de lucidité peut-être, je me dis que c’est tant mieux. 20150527_145722

Il y aura des gens qui nous sont inconnus, d’autres qui seront passés à la postérité

monsieur grave

sur le même  monde, tu sais bien, debout toujours, des gens qu’on aime, qu’on a aimés, toujours est-ce un mot d’amour, toujours ces images-là, ces histoires-là, elles sont vraies, le cinéma, c’est un peu toujours la même chose, on nous raconte des histoires

pierre mendès-france

Bordeaux, en juin mille neuf cent quarante, le Massilia, on croisera des gens célèbres (ici Antony Eden , au nom si prometteur de jardin, né un dix huit juin…)

lord Eden dans son bureau

au lieu de « gravats » peut-être aurais-je mieux fait de poser ce genre dans quelque « bureau » ? Je ne sais pas, il s’agit d’un documentaire, je fais ce que je peux, je ne sais pas, il dure des heures (faut-il compter ? les nombres, les cinq cents, les dix fois douze ça ne fait que cent vingt, une moue un peu dégoûtée, inconsciente, les additions, je les laisse à ceux – ce ne sont que des hommes, certes- que ça intéresse, moi j’ai des choses à faire) , ici monsieur Grave aux champs (c’est une photo que j’adore)

monsieur Grave aux champs

c’est parce qu’il rit, cette maison et ces champs, ces gens qui visitent, ce monde qui bruit, ces histoires là : madame Solange ici, coiffeuse

la coiffeuse

dénoncée puis torturée, brisée, que peut-on savoir de cette haine, puis ici, Raphaël Geminiani (un coureur cycliste qu’on a peut-être oublié)

raphaël geminiani

le monde est tel qu’il est, il a son passé (enfouissons-le sous nos gravats si tu veux, mais ça ne sert à rien), il a son histoire racontée par les vainqueurs comme on sait, racontée par les hommes pas par les femmes, racontée par un idiot, voilà tout, c’en est fini du cinéma, la fiction, la volonté de montrer des choses et des sentiments vrais, désordonnés, cruels ou illuminés, doux et tendres, oui, montrer le monde comme il est, tiré d’une histoire vraie

les frères Grave

ce ne sont que deux frères, l’un est Alexis, l’autre est Louis, je ne sais pas lequel, j’ai rendez-vous avec le mien il faut que je me dépêche, tu sais on lui demande  un moment, dans ce film, c’est une merveille juste une merveille simplement sur la vraie histoire du monde, de la vie et de l’humanité, une histoire comme on nous en raconte de temps à autre, quelque chose qui peut-être pourrait nous endormir puisque c’est dans les rêves que les choses arrivent, Hollywood n’y est pour pas grand chose,  les acteurs, les images, les éclairages, la nuit et le silence, quand on lui demande « mais jamais vous n’avez eu envie de vous venger ? » l’image de son regard

monsieur Grave 2

son histoire, je me vois bien appuyé sur mon poing au deuxième plan, toi mon ami, mon frère, toi mon amie, allez viens, on oublie et on sort, au grand jour

ciel houdin 2702515

 

Posséder

 

 

Parfois, on aimerait pouvoir croire qu’elle n’y est pour rien .

Une maison, un toit, des conditions climatiques, une famille, des chambres à n’en plus finir, un hiver à passer là, à écrire -un peu comme ici.

Parfois on aimerait croire que ça n’a rien à voir avec le reste du monde et qu’il s’agit juste d’une histoire, une fiction comme on dit, à laquelle on n’a pas d’importance à attacher parce qu’elle puise ses sources, ou ses idéaux, son imaginaire ou ses fantasmes ailleurs que dans quelque  repli abrupte ou aigu, le fil du rasoir ou le bord du monde quand il était plat, une partie retirée ou cachée, de notre âme. Un coin, un placard, une porte dérobée, un faux semblant, un trompe-l’oeil.

Parfois, ce serait bien d’y croire. Comme si le monde, le notre, celui sur lequel nous vivons (nous vivons sur le monde) (dedans le manteau, le noyau, les plaques qui se chevauchent et ces effusions, ces effluves, cette chaleur insoutenable, ces fumées et ces fusions, dedans, nous n’y survivrions pas), comme si ce monde-là n’avait pas d’autre existence que celle que nous lui infligeons en y bâtissant des histoires. Elles sont vraiment arrivées, et elles se sont vraiment produites. La preuve, il nous en reste encore quelque chose. On pose trois images (*), et sur la platine un disque, un cercle parfait, parfaitement gravé, complètement réfléchissant, et on entend la musique des sphères (la morna, tendre et chaloupée).

La merveille de cette histoire-là (on trouvera dans l’une des chambres d’enfant un tricycle dans les bleus), c’est sa brillance. Je me souviens qu’à cette époque-là, lors de la sortie -en 1980- de cet étrange sorte d’objet de fantasmagorie, il avait été comparé à une autre histoire d’enfant envoûté (« L’Exorciste », William Friedkin, 1973) (je m’attache aux dates, parce que sans elles, je suis perdu). C’est dans une maison, les choses se passent. Un enfant est médium. Un autre être, (un noir, le noir des US c’est toute leur histoire), un autre être est, du même sort (est-ce un sort, dis-moi ?) habité.

L’habitation, parfois, on aimerait pouvoir croire qu’elle n’y est pour rien. Encore faudrait-il y croire… Rien d’autre qu’un décor, tu sais bien. C’est dans les rouges que les choses se passent (comme ici cela a été indiqué).

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Tiré d’une histoire vraie (c’est à la mode, ces temps-ci). Un roman (comme si le genre n’avait pas d’importance). La porte de la chambre est ouverte.

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Il s’agit de notre monde, le chiffre et le code ça nous dit quelque chose, la possession s’en est emparé (tu sais, posséder aux deux sens). Notre monde, le vrai. Et des portes des ascenseurs s’écoule

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notre vie elle-même, de nos veines, de nos artères, ces liquides et ces humeurs, ces effluves et cette chaleur, une sueur parfois froide, et puis la chambre, les chambres ici elles ne sont que d’hôtel, le labyrinthe dans le jardin, la neige la nuit la chenillette, dans le Colorado (colorisé, ce que les mots nous aident parfois), cette histoire, notre histoire, et de tout temps, des fleuves de sang…

(*) : les photos, toutes en (C)PCH, réalisées bien sûr sans aucun trucage, sont des illustrations réalisées au téléphone portable-ça ne se dit plus- à même l’écran et tirées du disque inclus dans l’intégrale

 

 

Terrasses

Ca ne sert à rien, ça n’a pas de prix, ou alors ça s’achète à la tonne,  ballast parfois, sable, grain, caillou, quelque chose comme un morceau de minéral, je ne sais pas exactement où il se pose, il y avait un type, on l’appelait « foxie » qui un jour demanda pour une composition (c’était des compositions dans ce temps-là, la seconde, t’as qu’à voir) (il avait une tête de renard probablement) « vous êtes un grain de sable de Fontainebleau, racontez comment vous en êtes arrivé là », du sable, à Fontainebleau, ah ouais, foxie, tu déconnes ou quoi ? oui, mais n’importe c’était ainsi, je suis un peu dans cet état-là, où est-ce donc que cette saleté de fleuve prend sa source, au mont Gerbier des Joncs ? plateau de Langre (ils ont réinventé un nom pour situer l’endroit où et cette façon de poser quelque chose pour l’histoire a tendance à me faire gerber), les traces de l’écume qui suivent les motoscafi, quelque chose comme ça, moi la géographie je ne hais point, mais elle m’insupporte parfois, se souvenir de ceci, de cela, Ischia là où repose Visconti tu sais, ou Capri, voilà tout.

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Tu sais pourquoi, Ischia, c’est que là-bas, c’est presque la même vue, tu sais bien, elle s’appelle Amalia  ou alors il n’y a qu’un l, ou alors c’est du côté de la rue de Mouzaïa, à Paris – non, là, il n’y en a pas, mais l’auteur du livre (je ne l’ai pas lu) vit là, je crois, on le croise parfois chez kim-, ou alors je ne sais pas, mais (Amalia, « Coimbra », « Alfama ») je me suis retrouvé ici.

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C’est le but ultime, la raison de vivre, le type est là, ce sont des choses qui arrivent il marche, devant lui le golfe, il avance avec son chapeau, noir, frappe  et la pierre roule et s’en va à la mer, ça ne sert à rien, on ne me voit pas, il paraît qu’il fallait une scène de nu au film tourné là (pas étonnant quand on connaît ce producteur), mais je crois qu’il y avait une erreur de distribution, dans ce film-là, Brigitte Bardot ne va pas, « montez dans votre Alfa, Roméo » ne lui va pas, Palance pourtant est splendide (ça finit mal),  il paraît que le propriétaire de cette maison, celui qui l’a fait bâtir avant de la donner à la République de Chine à sa mort s’appelait ainsi en référence à Bonaparte, Curzio ce n’est pas un prénom, Malaparte ça n’est pas un nom,  et « La peau » un autre film adapté d’un de ses romans, cynisme et terreur, on a beau être caillou, on n’en a pas moins  mal pour ce qu’ils endurent, tous…

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Ca ressemble un peu, cynisme, il marche, terreur, elle regarde, les petites pierres s’envolent un peu, l’eau, la mer le soleil, la terrasse, les yeux dans les yeux, sans doute la laisse-t-il, un peu larguée, peut-être, mais tu vois comme ils sont tous les deux tournés vers le large ? il fait beau, il fait chaud, il y a peut-être Fritz Lang dans son propre rôle et  dans les parages, à quoi pensent-ils donc ? il y a sans doute bien d’autres personnages de l’histoire, il y a, surtout, un coeur de pierre et ce sentiment de profond mépris pour ce qui est fait aux actrices, peut-être, on est pris de vertige mais, nous autres, nous n’en avons cure, nous sommes aux terrasses ce que les poussières sont aux maisons, ici au coin d’une porte se trouve une demi-cheville (est-elle rouge ?) oubliée là par un ouvrier et que n’a pas vu la bonne (« oubliée par une ouvrière et que n’a pas vu le bon » ça vous a une autre allure) non, je ne rentre pas, non, dehors à l’air (j’ai toujours souffert de ne pouvoir respirer) et le temps passe et les flots bleus à l’été

Dans le garage

 

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Sur une de ces étagères, on ne le voit pas d’ici, il y a un cric. Personne ne le voit, on ne fait pas attention : le couple de tout à l’heure, tout ébahi par l’ampleur des lieux, n’a même pas remarqué quelque présence que ce soit, et pourtant nous, les objets, nous sommes un certain nombre dans ce décor. Nous sentons aussi bien que vous cette odeur, légèrement entêtante pensez-vous, de citron. Le garage, on m’y a rangé parce que je ne dépareille pas. Le cric. Encore que je me demande un peu ce que je fais ici (ce que je fous là serait mieux, mais je ne connais pas les tons ni les accents de celles et ceux qui vont venir s’installer ici). Aussi bien on ne me verra jamais. C’est heureux : ce n’est pas que je me cache d’ailleurs, mais je suis là, comme abandonné. A l’image, on voit mon propriétaire, il s’appelait Nick, et était garagiste, comme il se doit sans doute.

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Il avait coutume de répéter à son client (on le voit en amorce, droite cadre, une ordure évidemment) « voumvavavoum hein Mickey…! » en riant, mon patron aimait rire. Moi, je n’ai rien pu faire, et ça l’a écrasé, quand un des malfrats a dévissé la pompe qui servait à retenir soulevée la voiture. J’étais censé faire quoi ? Je ne fais rien, je ne suis qu’une chose. Je n’ai rien fait, je vis dans ce garage, je reste ici un peu dans la brume un peu dans le souvenir, il n’y a pas un grain de poussière, il n’y a pas une tache d’huile, ce garage, ce garage…