Profils

 

 

un

deux (image rognée (c)Pierre Ménard)

trois (ils sont quatre – à vomir)

quatre

cinq (et cinq bis)

des profils inconnus ou trop connus – « je ne sais ce qui me possède » disait le poète – mais justement, voilà un moment que j’ai des difficultés – la maison en sera le témoin – parce que les choses ne vont pas, mais pas du tout (je fais référence à Zineb, à Steve, à tant de gens qui meurent sous les coups de la police) et d’autres encore qui me blessent et me choquent – encore avant hier, un Cédric C. qui meurt pour une insulte à un agent de la force publique (mourir pour un mot…) – je ne sais ce qui les possède… – qu’aurait-il à craindre d’ailleurs, cet agent ? Deux mois avec sursis ?

six

sept (au 20 rue Julien Lacroix)

les gens passent, de l’autre côté de la rue – profils – égyptiens, je me souviens aussi – je mélange tout, mais tout est aussi au monde – je me souviens de ce texte que faisait paraître il y a quelques semaines Joann Sfar

un peu long, un peu difficile à lire : cette dame, Sarah Halimi, vivait à deux pas de chez moi – le samedi qui a suivi son assassinat, les gens sont allés par les rues, une rose blanche à la main – j’ai ce même sentiment, quelque chose comme de la honte à faire paraître ce genre de texte que je signerais aussi – les profils

huit

j’en tiens sans doute des centaines

neuf

dix

je pensais : il faudrait écrire une histoire, regarde j’ai soixante six ans je n’aime guère cette vie-là j’essaye de la rendre plus agréable vivable aimable tendre je bute sur ce genre de fait divers souvent je me dis finir sa vie en prison ne le donnerais-je pas pour supprimer ce type qui est fou – qu’on arme mon bras, qu’on me dise où et quand comment je trouverai – il suffit de chercher – supprimer de la surface de cette planète un tel outrage à la vie, à l’amour – ce n’est pas lui qui la traitait de « sale juive » mais ses filles, elles vivent toujours là à quatre pas d’ici –

onze

ce genre de pensées suis-je seul à les avoir ? elles viennent, on bâtirait une histoire, on écrirait les moments clé

douze

on tâcherait de rendre les choses vivantes – les lieux plus ou moins communs – le conformisme la convention – on ferait lire on publierait – rendre le monde plus beau, plus juste – ainsi qu’un autre type (je me souviens de cette autre histoire, semblable, le type est en fuite au Japon dit-on

treize

on laisse faire et on passe à autre chose – instigateur des attentats du treize novembre 2015 – on sait qui il est on en connaît l’allure –

quatorze

des gens du mossad des barbouzes de la cia ou du deuxième bureau – « oh je me présente, mon nom est Drake, John Drake » car tous les gouvernements ont leur service secret – ce ne serait pas ce n’est pas bien difficile – regardez ce type qui s’appelait Sergueï Skripal et sa fille Yulia : on sait pertinemment qui sont ses assassins (ils ont un peu manqué leur coup, bah personne n’est parfait) – les voici de face

quelque chose de particulier ? Non, rien – un peu du même genre que les deux- dit-on – qui aidèrent Carlos Guyancourt à s’échapper (une caisse de musicien, un masque anti-contagion, deux avions prêtés par des amis/connaissances/obligés sans doute – l’affaire est faite) – je mélange tout, oui, voilà – le profil, c’est aussi parfois ce qui permet aux antisémites de réaliser un rêve, celui de reconnaître le juif, Süss crochu du nez, ce genre de salade – ce monde-là

quinze

souvent, sur ces images, ce sont des gens que je ne savais pas y trouver – oh bien sûr ce serait user des armes qu’on déplore les voir utiliser – on se dégraderait, oui, pour un monde qui n’en vaut pas la peine – ça ne fait rien, un moment j’ai pensé qu’il y avait là un devoir, pour moi, me souvenir de ces wagons plombés et du numéro gravé sur l’avant-bras de mon grand-père – on commet tous des erreurs – pour finir, cette image (c’est moi) que j’aime tant (un portrait fait par le robot) au cinéma de plein air, au parc, en été (ou quelqu’un qui posa son image sur le site – je ne sais pas – de trois-quart) j’attends de voir

 

 

Sir

 

 

 

(normalement, on ne fait rien, ce jour, on attend juste qu’il passe) (je ne vois pas trop bien ce que veut dire – ou voudrait dire – ce « normalement ») (on prend des bonnes résolutions? on finit les restes ? on va au cinéma ?) (ces temps-ci, je voudrais bien que les choses avancent, mais non, c’est là et ça stagne – quoique ayant fait changer les pneus de l’auto) (cette maison(s)témoin m’est familière – elle s’est cependant vidée, nous étions plus nombreux, mais les temps passent) (il y a des choses à faire : j’ai pensé en voyant ce film magnifique à cette Nuit des forains d’Ingmar Bergman qui, un jour des années soixante dix m’a fait aimer le cinéma) (un certain cinéma, peut-être, mais le cinéma quand même) (j’apprends le décès Mrinal Sen et je sens le souffle de la camarde : ici une image de lui, pour se souvenir de son cinéma magnifique – c’est une image qui date de quarante ans, et toujours ces mêmes carreaux

  depuis tant d’années – billet qui lui sera dédié)

 

c’est une jeune femme, Ratna, elle est veuve depuis peu, elle va en ville (Bombay Mumbay enfin c’est en Inde, on y construit des tours à n’en plus finir, un peu comme à Londres) (Londres et les Indes, et « les 3 Lanciers du Bengale » (Henry Hataway, 1935) , et la reine Victoria et son valet (« Confident royal », Stephen Frears, 2017 – Judi Dench en reine…) beaucoup de choses de ce monde, beaucoup de monde que ce pays, un milliard et demi d’êtres humains, et un cinéma foisonnant, magnifique dansant et éperdu) c’est en car

et ce qu’on voit dans l’image, ce sont les bracelets bleus – les symboles de la vie libre, de la liberté, de la vraie vie – elle est domestique (c’est une histoire de classes sociales qui, comme on sait, forment en Inde un carcan d’acier), lui est maître d’oeuvre et comme son père construit des tours

joue au sqash, sort en boite, amours de passage – tout le kit, la trentaine riche – très – bien logé et servi

alors l’histoire serait qu’elle tombe amoureuse de lui (et vice-versa) et c’est bien ce qui se passe

sauf qu’elle ne tombe pas (ce n’est pas qu’elle puisse tomber, remarque bien, mais elle ne tombe pas) elle a sa vie – elle ne sait pas ce que veut dire « brave » elle tient sa force de sa passion peut-être et de son amitié, sans doute, avec une autre de sa condition : elle sort

ici on ne le voit pas mais c’est son amie qui conduit la mobylette (regarde ses bracelets, là) et ici elle est de dos mais en premier plan, cette amie

avec qui elle fait ses courses (sa passion, c’est coudre et devenir créatrice de mode), elle sourit et c’est la vie

elle aide sa soeur à faire des études, elle gagne sa vie, elle se bat et se bat encore

femme (tout à fait) dominée (socialement) mais sûre d’elle malgré tout, avançant et continuant, souriante et vivante (incarnée magnifiquement par Tillotama Shome, un charisme d’exception…)

deux femmes formidables.

 

Sir, un film (magnifique de justesse, d’élégance et de distinction) de Rohena Gera