Désolé, on vous a manqué

 

 

 

on vous a manqué parce que vous n’étiez pas là et le livreur laisse un petit mot à celui à qui il livre des colis – c’est le monde d’aujourd’hui : on achète sur internet des objets, n’importe quoi, ce que vous voulez – des poupées gonflables, des pilules de viagra ou d’ecstasy, des passeports – vrais, faux, n’importe – n’importe quoi, des smartphones ? si vous voulez et on vous le livre – on vous donnera même une heure contractuelle au delà de laquelle nous serons, nous autres vos livreurs vos obligés vos serfs, à l’amende – et alors, elle est pas belle la vie ? Il s’agit d’une famille ordinaire

. Voilà dix ans, ils avaient pour projet d’acheter une maison – ils avaient obtenu un prêt : ils étaient tout heureux, prêts à en suer pour y parvenir, devenir propriétaire – acheter une maison bien à eux – une photo atteste de cet état

où ils sont aussi quatre : la petite (Lisa Jane, dans le film, qui a onze ans maintenant – adorable, jouée par Katie Proctor) est encore dans le ventre de sa mère. Et puis les choses sont allées comme elles ont été, et puis le père a été lourdé de ses boulots divers – il n’aime pas qu’on soit sur son dos pour vérifier le travail.  Il décide de devenir auto-entrepreneur – il achète un camion avec l’argent de la voiture de sa femme

c’est un brave homme, Ricky (Kris Hitchen), typique et vertueux – et c’est cette vertu même que le monde s’emploie à réduire et à détruire. Cette vertu qui veut qu’on soit son propre chef parce qu’on sait ce que c’est que le travail – et qu’on l’aime un peu bien qu’il soit tellement difficile et dur. Comme on voit, c’est son travail qui prime, mais sa femme travaille elle aussi – sans voiture elle ira en transport en commun vers les personnes dont elle s’occupe – dominée, donc. On a des problèmes avec l’aîné : le garçon, sur les épaules du père sur la photo (il se nomme Seb, incarné par Rhys Stone) ici dans son lit (il est tard, il ne se lève pas, il va se faire lourder du lycée)

non, lui ce qu’il aime c’est les graffitis –  il va jusqu’à voler des bombes de peinture, on l’attrape, on le sermonne, son père va le chercher au poste, mais pourtant la vie, parfois, redevient un peu comme avant

on aime à rire – sauf que le travail de l’une (la mère, Abbie – Debbie Honeywood – tendre, gracieuse, gentille) (sous-payée…)

adorable comme sa fille, compréhensive – gaie et loyale avec son mari comme il l’est avec elle – une relation juste humaine (magnifique mais juste humaine) que ce monde s’emploie à briser – comme  de l’autre, le travail de Ricky

incarné par un chef borné et salaud (on sait ce que c’est qu’un salaud) (Ross Brewster, un chef d’équipe vrai comme s’il avait fait ça toute sa vie – il était policier et l’est peut-être toujours)

des acteurs formidablement dirigés (on court pour porter les paquets plus vite, à l’heure, quand et comme il faut)

des relations interpersonnelles fortes et vraies, de l’amour pourtant

mais ça ne suffit pas…

 

« Sorry, we missed you », un film de Ken Loach (comme on l’aime lui), un scénario implacable de Paul Laverty (formidable aussi)