Juste une (deux) petite(s) photo(s) (dont une, piquée au Temps) pour une pensée à ce type qui fit du cinéma iranien une des merveilles de monde magique, que la paix garde son âme
(Que mets-je/mettre en cette maison(s)témoin ? Des fantômes, comme on(je) les aime, ceux qui hantent un peu nos(mes) rêves, ceux qu’on aime retrouver même s’ils ont un peu vieilli (Bernardo Bertolucci commence à taper les soixante quinze quand même, mon ami)… Que posé-je en ces pièces en ces murs ? Des objets (ou des pièces) appartenant à des films que j’ai aimés, ou que j’ai assez détestés, n’importe des histoires qu’on raconte aux enfants avant ou pour qu’ils s’endorment, des histoires, l’humanité et ses histoires… Le drame, la tragédie, la comédie, je m’essaye à raconter, je crains la lourdeur, je tente l’ironie, je me souviens de cette chanson -je sais pourquoi elle me revient, c’est que je l’aime- « Charpie de chapka » qui n’a rien à voir mais ça ne fait rien, elle fait partie de ce qui tourne toujours (Etienne Roda-Gil) comme certains films – celui-ci n’en est pas un mais depuis quarante six ans qu’il est sorti (1970) je ne l’avais jamais vu. Voilà tout : l’histoire est jolie parce que je l’ai vu (le film, pas l’histoire) dans un cinéma nommé Le Brady (boulevard de Strasbourg, à Paris, lequel boulevard fait suite au Sébasto de Jean-Roger Caussimon cher à « Ruelles« ) où pour la première fois j’allai… J’aime ces conjonctions, j’aime Paris au mois d’Avril comme je l’aime au Portugal, enfin, des chansons, des films, de la musique et de la conscience. Que fais-je dans cette parenthèse italique ? Je m’explique, vu que cette maison a l’audace de changer (de l’audace, toujours de l’audace) (j’adore ça) : je continue mon attitude, j’essaye de comprendre ma façon d’agir. J’écris, je prends des photos des films annonce qui tourne sur mon écran d’ordinateur, j’illustre)
C’est une histoire d’arbres
en vrai c’est en forêt que ça se termine (ça pourrait aller au jardin, s’il y en avait un, et s’il y avait des arbres ). C’est l’histoire assez horrible de l’Italie d’avant la deuxième guerre (mondiale, juste avant, en 38), celle de l’ordure et de l’infamie, expliquée par le traumatisme sexuel subi dans l’enfance. C’est aussi l’histoire du fascisme : comment le devient-il, fasciste, ce héros au sourire si doux (Jean-Louis Trintignant, qui interprète le rôle d’un Marcello Clerici) (et lorsque sa femme à l’écran -interprétée par Stéfania Sandrelli qui tient fort son rôle, dirigée magnifiquement- l’appelle par son prénom, on a l’impression que c’est Marcello Mastroianni qui va apparaître) ?
C’est un couard, un lâche – ça ne ferait rien s’il n’était aussi avide de pouvoir, tu comprends…
Ici c’est la scène d’ouverture, le trio chnte, lui est avec son ami aveugle dans la coulisse, dans la cabine peut-être de sonorisation, d’enregistrement, ils parlent et il explique qu’il veut être comme tout le monde, avoir une « bonne épouse » – i.e un peu conne- une vie normale, il sera donc dans les affaires normales de l’Italie d’alors, on lui confiera une mission afin qu’il prouve sa loyauté au Duce, il faudra qu’il tue quelqu’un, son ancien professeur de philosophie devenu opposant au régime, et il le fera par meurtriers interposés, lâchement comme il sied à des hommes de cette trempe…
Contrefaits, arrogants, sévères, monomaniaques, les hommes qu’il servira seront à l’image de ce qu’il deviendra sans doute mais le film raconte ces journées-là où il va faire tuer d’une façon horrible (des dizaines de coups de couteau) son ex-professeur qu’il fera mine, tout au long du film, d’admirer. Ca se passe un peu dans un Paris reconstitué d’avant guerre (le musée d’Orsay est encore la gare dans laquelle on a installé un grand hôtel, les images sont magnifiques).
C’est ce double langage qui est à la base de la réalité qui est montrée – et on ne doute pas, à voir la politique menée ici (en Pologne ces temps-ci) ou là (en Hongrie, au hasard par exemple aussi), de la réalité de ces agissements, car cette extrême-droite-là existe encore de nos jours. Voir ce film aujourd’hui donne un sale goût dans la bouche.
L’homme, Marcello donc, se marie et pour ce faire, est obligé de se confesser, n’en a cure puisqu’il le faut, il se constitue ainsi : une mère opiomane qui trompe un mari aliéné, avec le chauffeur nommé « Arbres » -traduction du nom du chauffeur asiatique. Tout est assez transparent – abusé quand il était enfant par le chauffeur de son père, le petit Marcello tuera son violeur -ou pensera le tuer – et durant toute sa vie, ce traumatisme le hantera. Devenir normal, tendre vers la normalité à travers son adhésion à cette idéologie (pourrie), voilà le but ultime du héros. De l’empathie pour lui, non, mais l’acteur est formidable, le film superbe (une image de Vittorio Storaro nuancée sensible douce claire, une merveille), doublé d’une musique de Georges Delerue, magnifique…
Et à la fin, il finira par encore trahir son ami… Déliquescence, horreur, indignité : itinéraire à ne pas emprunter.
La maison est vide en ce moment. Comme c’est un printemps un peu frais, que le ciel est grisé, les ombres ne se découpent pas sur le carrelage de la cuisine, sur les dalles claires du salon, au seuil des portes neuves, comme si ici était un lieu hors sol, hors pesanteur – car que pèse-t-on, débarrassé de l’ombre –, comme si les pièces étaient les membres ramenés entre eux d’un grand corps accroupi qui attend, la maison témoin qui écoute.
Il y a des voix de femmes, des rires, des cris. Beaucoup de musique, quand leurs fantômes traversent le couloir, les chambres, et on entend parfois « coupez ! », mais on ne coupe pas, il y a des liens indéfectibles. Il y a ce qui reste des visites, un morceau de papier plié avec un bout de téléphone ou le début d’un nom. Des produits ménagers sous l’évier, des prospectus. Un des faux livres décoratifs de la bibliothèque est écorné – un enfant qui voulait vérifier que c’était une boîte, que ça ne s’ouvrait pas cette mystification, l’a arraché en douce avec son ongle pendant que les adultes parlaient. Il fallait bien qu’il réalise que c’était vrai ce mensonge.
Dehors le trottoir est sale devant le panneau d’affichage qui rappelle les horaires de visites, il fera bientôt nuit.
La nuit arrive, comme elle résonne dans les murs vides, de cris, de rires, qui viennent de loin, plus loin que le trottoir, c’est un vacarme vague, actif et concentré, de qui se réunissent, ne veulent pas dormir, veulent rester debout. La maison est inquiète. Plus légère sans son ombre, elle y prend goût à ce printemps. Elle aimerait bien ne plus entendre « coupez ! » – et elle a cette idée que les fantômes ne sont pas morts. Elle voudrait des slogans qui s’allument et clignotent sur l’écran imité de la fausse télé du salon. Que les fruits en plastique du saladier se talent, mûrissent, pourrissent même, qu’on puisse les jeter sur ce qui avilit, ce qui violence, ce qui monstre d’aveuglement. Elle en a marre d’être témoin peut-être ?
Toutes les maisons témoins sont différentes, toit orange, jaune ou gris, une véranda ou pas, et les buis dans leurs pots ne sont pas disposés de la même manière.
Toutes les maisons témoins portent des noms, il suffit de feuilleter un catalogue : « maison individuelle Argus », « Sagesse », « Noctuelle pourpre », « Grand nacre », « Perle », « Labry », « Aurore azuré », « Ambiance », « Noir jaspée », « Histoire », « Jouvence », « Vert doré ».
Les visages du couple prêt à remplir la demande d’information sont souriants, incrédules.
_Grand nacre, chérie ? Crois-tu que c’est dans nos moyens ?
_Quelle sera notre vie en Noctuelle pourpre ?
_Ambiance possède des volets verts et une balançoire.
_Tu as vu cet onglet « qualités des maisons » ?
_Et celui d’à côté, « qualité du bâti »…
_Car ce n’est pas la même chose, une maison sans qualités peut être bâtie comme un pied.
_Ou le contraire.
_Dans la rubrique « Pourquoi construire ? », je note beaucoup d’avantages.
_Mais quand même un inconvénient : « L’architecture contemporaine peut parfois ne pas plaire à certaines personnes »…
_Hum… « certaines personnes »… Ces gens-là ne sont pas comme nous. Certaines personnes sent l’anormal, l’inadapté. Ça frise le gauchiste, le révolutionnaire. Ça peut avoir des mœurs étranges, voire étrangères. Comme être homosexuel ou libanais.
_Ah, par exemple !
_Comment, en toute conscience, être certaines personnes ? Pourtant ce constructeur est magnanime. Il se penche sur leur cas. Il ne les ignore pas.
_C’est généreux.
_Il dit « Certaines personnes, chez nous, on s’en occupe, ne craignez rien. On les matera. On leur mettra deux buis en parallèle et à plusieurs endroits ».
_Comme tu y vas !
_C’est que je veux des voisins propres. Des voisins comme moi. Avec des volets bleus, des balançoires, des entrées de garage immaculées Perle ou Ambiance ou Noir jaspée.
_CONTACTEZ-NOUS… ?
_Plus qu’à cliquer.
De temps en temps il est nécessaire de rénover la maison témoin, de repeindre les murs, changer le papier peint et l’évier de la cuisine dont l’éclat s’est terni. C’est un passage obligé pour que le visiteur soient satisfait et choisisse d’investir dans une construction qui lui ressemble.
Les objets sont alors effacés. Ceux qui servaient à la décoration ne touchaient que la couche superficielle de nos désirs, ils ne portaient en eux aucune intention d’être portés, caressés, déplacés, envisagés avec tendresse. Ils doivent disparaître sans marquer d’au revoir, aussi fugaces et élégants qu’ils sont venus, copies de pensées affectueuses, de souvenirs, et les tableaux de liège étalent des photos de visages que l’on ne connaitra pas.
Sur le frigo de la cuisine qui offre aussi de l’eau et des glaçons à volonté, les post-it ne verront pas leur couleur passer sous la lumière, et les messages qu’ils portent, à ne pas oublier, n’entreront dans aucune mémoire.
On pourrait penser qu’ils vivent ailleurs, dans un monde parallèle, leurs injonctions ou leur mots doux. Mais c’est une fiction étrange. On se retourne et c’est nous qui passons de l’autre côté du mur, à la fois effacés et présents dans ce qu’on imagine qu’on pourrait dire ou faire, dans ce qui nous plairait de croire, de regarder. Un coup d’éponge et les peintres viennent modifier la couleur du salon pour, semble-t-il, accentuer cette sérénité que l’on cherche, une couleur d’absence (grise ? taupe ? bleue ?), et c’est comme un sommeil que l’on reprend après s’être tourné dans son lit.
Parfois, quelqu’un laisse un objet – c’est un enfant qui oublie un jouet, une femme stressée qui a posé ses clés sans les reprendre, un papier tombé d’une poche, un ticket de caisse ou un lettre qu’il aurait dû poster – et cela agit comme une lacération dans cet espace trop calme, c’est le surgissement d’un temps brutal qui fait désordre. Le similaire est une petite dictature paisible.
Comment est-il possible d’entendre ceux qui vivent derrière les murs sans être entendu d’eux ?
Des mois que je suis là maintenant à compter et recompter les bâtons que je trace du bout de mon index mouillé par la salive tout en bas de l’immense miroir, là où les trois Force ne regardent jamais, des bâtons qui forment une frise étrange, quatre haricots verticaux, larges, tordus, bardés par un cinquième qui les traverse du Sud-Ouest au Nord-Est, ces traits étant mon seul lien concret avec le temps qui passe.
Si j’entends les colocataires ouvrir et fermer les portes, les tiroirs, les fenêtres, tousser, faire couler leur bain, regarder des films, eux aussi doivent m’entendre pousser des cris, taper contre les murs, tenter d’exploser ce grand miroir avec mes ongles, mes poings, mon front, mes pieds ou quand mes ravisseurs me tabassent, non ?
Et pourtant, jamais je n’ai eu le sentiment qu’un colocataire avait posé son oreille contre un mur, toqué contre une des cloisons ou dit à un autre : bizarre ce bruit derrière le mur, ça ressemble à un cri, on dirait que quelqu’un est enfermé dans la maison.
Au début, j’étais trop groggy pour remettre en question la parole de Force rouge. Plusieurs fois il m’avait montré les plans de la maison et les bienfaits de l’isolation phonique : tu auras beau crier, taper de toutes tes forces, vu le système ultra-moderne que nous avons mis en place et qui a déjà fait ses preuves dans les plus grands pénitenciers du pays, personne ne t’entendra, vois-tu, sauf nous qui te surveillerons jour et nuit et te ferons si bien regretter tes mauvais faits et gestes que tu réfléchiras à deux fois avant de recommencer.
Comprends-tu que tu ne dois attendre aucune aide de l’extérieur, que ton salut ne viendra pas de là mais de nous lorsque nous jugerons que les informations que tu auras recueillies seront suffisantes ?
Force rouge m’a martelé ce genre de propos des dizaines de fois et jamais je n’ai pensé à demander pourquoi ils n’y allaient pas eux dans ce couloir puisque personne ne les entendrait et comment on pouvait être parfaitement « isolé » d’un côté de la cloison mais pas de l’autre. Ce n’est qu’au bout de plusieurs semaines que je me suis mis à douter. Quand j’en ai eu assez de me faire battre, quand je me suis calmé, quand j’ai imaginé que si je leur obéissais au doigt et à l’œil ils me laisseraient peut-être tranquille, quand j’ai espéré que tant qu’ils n’auraient pas l’information qu’ils attendaient ils ne me feraient pas plus de mal que ça. C’est seulement à ce moment-là, il y a quelques jours que j’ai commencé à me poser des questions.
Mais suis-je dans d’assez bonnes conditions pour bien réfléchir ?
Comment faire pour ne pas devenir fou, claustrophobe ?
Comment garder une part de moi intacte et vive, réfléchie, sage, clairvoyante ?
Comment tuer la bête sauvage en moi ?
Comment ne pas céder à la psychose, aux délires, à la paranoïa, à la théorie du complot ?
Mais maintenant le ver est dans le fruit et je ne parviens plus à écarter cette idée : on se moque de moi. Non seulement depuis que je suis enfermé dans les murs de la maison-témoin mais déjà bien avant lorsque, remplissant ma mission, tout a dégénéré en moins de cinq minutes, quand tous les gens sont morts autour de moi et que je n’ai plus eu d’autre solution que de fuir et de me jeter dans la gueule du loup. Et peut-être même qu’on me manipule depuis le jour où j’ai accepté de signer ce contrat que je n’avais pas trouvé très clair, non pas qu’il n’était pas dans mes cordes mais parce que mon commanditaire ne s’était jamais montré et que je n’avais jamais eu face à moi que son secrétaire comme il aimait à se nommer à chaque fois qu’il m’appelait pour prendre rendez-vous. Et je me souviens de ce que je me suis dit quand j’ai signé : ce sera le dernier contrat et ensuite je changerai de boulot… Promesse d’alcoolique… Elle ressortait à chaque fois que j’acceptais de remplir telle ou telle mission d’espionnage. Ça ne valait donc pas tripette.
Mais, alors qu’on voudrait me faire croire que l’espion dans les murs c’est moi, je me demande bien qui espionne qui ici :
les trois Force ?
d’autres types que je ne connais pas et qui me filment vingt-quatre heures sur vingt-quatre, me scrutent sur écran, analysent mon comportement ?
les prétendus colocataires qui entrent et sortent à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, qui ne sont pas toujours les mêmes et ne semblent pas vivre là, qui reçoivent parfois des inconnu(e)s qui font la visite à des couples, des familles, comme si quelqu’un allait acheter une maison dédoublée ?
un autre encore ou une autre qui manipulent et orchestrent, comme dans les histoires, qui tirent les ficelles et ne comprendront jamais rien à la réalité et à la fiction ?
À force de ne penser qu’à ça, hier m’est revenu ce désir d’incendie.
Mais comment mettre le feu à cette maison sans allumettes, sans briquet, moi qu’ils ont surnommé « la cheminée » parce que j’ai toujours été un grand fumeur et à qui ils ont proposé le premier jour (retirée le deuxième) une cigarette électronique pour « calmer tes nerfs » ?
Et comment détruire cette baraque qui ressemble plus à un château fort qu’à une maison en carton-pâte ?
Et puis : est-ce que le témoin d’une maison Phénix, si on l’incendiait, renaîtrait de ses cendres ?
Aujourd’hui je n’ai plus envie de crever ici, mes pulsions suicidaires sont derrière moi et désormais je voudrais m’en sortir, trouver une issue, revoir mes enfants, me livrer ensuite à la police, leur expliquer la situation, je voudrais être jugé, et d’ailleurs je serai acquitté, et je les aiderai à retrouver les trois Force, leurs commanditaires, eux aussi seront arrêtés et jugés et inculpés, et ma femme saura que je ne suis pas si moche que j’en ai l’air, et mes enfants seront fiers de leur père, et mes voisins d’en face m’inviteront à leur barbecue et ceux d’à côté à leur soirée Vegan, et je trouverai un nouveau travail où il ne sera plus question d’espionnage, de tromperies, de comptes bancaires cachés, d’argent sale, de dope et de femmes exploitées, et je retrouverai espoir en ce monde, et je le rendrai plus propre, plus net, plus agréable à vivre, et alors il sera moins pollué, moins ordurier, sans murs, et les humains oublieront de détruire les terres, les animaux, leurs frères humains, et nous redeviendrons beaux et cons à la fois.
Ils sont sortis des murs sans faire de bruit
Ils se sont assis autour de la table de la cuisine
Ils ne se parlent pas
Ils attendent notre arrivée
Regardant par les vitres embuées
les murs des maisons voisines
dédoublés tout le long de la rue
Ils ont quelque chose à nous dire
mais nous ne savons pas qu’ils nous attendent
Nous n’arrivons pas
Nous évitons le chemin de la maison
Nous ignorons ce qu’elle détient pour nous
Et pourtant nous la visons comme un but ultime
Elle nous habite tant que nous ne l’avons pas habitée