ces temps-ci je l’avoue, disait Nougaro, j’ai la gorge un peu âcre
C’est en effet mon cas. Ce ne serait qu’une humeur passagère, mais non, c’est tout le temps, toujours, surtout peut-être lorsque les machines se mettent à prendre le pouvoir (je tente un billet sur une expo pendant le week end et la machine se plante, sans cesse, et continue encore – je migre, je m’en vais – je reviens,j’y parviens)*; j’ai trouvé ces quelques images, elles m’ont permis de voyager assis sur ma chaise, devant mon bureau, mon clavier mon écran (tout ce qui peut nous appartenir, c’est curieux – ces possessions qui nous possèdent). Je lisais tout à l’heure qu’une escouade de bâtiments partirait de Gênes bientôt pour tenter de forcer le blocus que des fascistes (pour ne pas dire des nazis) imposent à Gaza. Gênes c’est une des colonnes des Brigades rouges mais c’est aussi Carlo Giuliani, mort à 23 ans assassiné par balles de policiers (jamais inquiétés, lesdits gardiens de l’ordre et de la paix…), lors du contre-sommet du G20, en juillet 2001. Mort pour quoi ? Pour l’exemple
Quel exemple ?
Qu’en a-t-on retiré ? Qu’en avons nous appris ? La raison d’état, voilà tout. Comme s’imposent à moi, souvent, des images, celles-ci me sont revenues
Elles sont dues à une photographe dont je pose ici une image
probablement une photo de stock – la complaisance sans doute de la presse pour ses servants – mais ça ne fait rien, une femme formidable – elle a disparu ces dernières années, mais restent ses photos. Letizia Battaglia.
Sans doute a-t-elle une certaine actualité (une exposition à Arles au festival du photojournalisme crois-je savoir) (anéfé) (je propage : est-ce propagande?)
je m’en tamponne, je propage
la même – je baigne dans l’Italie la mafia les meurtres les embuscades les enlèvements la mort à tous les coins de rue – personne ne m’y force en effet – je me dis « il faut se fier aux ami.es, pas spécialement aux muses » – et pourquoi se fier? Il nous faut croire, je suppose (seulement, moi, à part la musique, je ne vois pas en quoi). Il vaut mieux se fier aux ami.es (pas les faux)** – je l’agrandis
elle sourit (j’ai un truc avec les photographes – et avec la photo) je la centre je la pose (les droits tsais – comment s’appelait-il, ce photographe de plateau dont on a oublié le travail ? tu sais bien,celui qu’on avait fait sur le film de Chantal Akerman, la comédie musicale, tu te souviens ?) (j’en fais quoi, de ces droits ?) (on verra bien) – ces images-ci glanées par capture d’écran – je te les retaille, je te les contraste, je te les publie – on ne va pas pleurer mais ça le mériterait. Ici celle d’un juge protégé
sur le toit du tribunal de Palerme – là une femme dont on vient de tuer le mari
(ce sera la dernière photo de la mafia et de ses alentours produites par Letizia Battaglia – trop de sang, trop de mort, trop de peines de larmes trop de tueries de massacres – la guerre en temps de paix ou pas – celle-ci encore
et d’autres, des femmes beaucoup – ici l’enfant au ballon
le regard, la minceur, le billet de banque plié dans la main – un tueur à gage
dans images pour la publication desquelles elle, Letizia, risqua sa vie – alors comme elle n’en a plus, que son âme si possible repose tranquillement quelque part, au calme – tranquille et sûre – mais aussi, cependant et pourtant parce que grace à ce petit passage chez elle, je continue mes affaires – j’ai trouvé celle-ci
ah on n’y voit rien, huit hommes qui semblent sourire – je reproduis quelque chose qui sera dans le livre, j’espère
bord cadre, à gauche en amorce et de profil l’un des capo di tutti capi Nino Salvo – le type au premier plan, disons, premier ministre de l’Italie a juré sur sa vie, les yeux de ses enfants, l’honneur de sa femme et de sa mère, ce type dont le col de chemise dépasse à peine de celui de la veste, dont on discerne les boutons de manchette, ce type qui a connu pie 12, jean 23 paul 6 et d’autres de la même corporation pour les avoir serrés dans ses bras, a juré donc sur ce qu’il avait de plus cher et de plus précieux au monde, et peut-être même sur la bible, les yeux dans les yeux de son dieu, juré de n’avoir jamais de sa vie entière et peut-être même dans l’au-delà, jamais au grand jamais rencontré le Nino en question. Accusé, condamné, il a été absout : il y avait prescription lors de son procès en appel – le voilà lavé de tous soupçons de collusion avec cette chose notre. Mais d’abord sienne… Andreotti, Giulio – 1917, 2013.
rien, jamais, ne rien croire des politiques
en mémoire de Letizia Battaglia, l’une de mes héroïnes les plus chères de ce monde (il y aussi dans ce panthéon Colette Magny, Mercedes Sosa et Violeta Parra)
* : le numéro 114 d’Oublier Paris
** : comment, en effet, les reconnaître hein
des précisions sur ces images et le travail de Letizia Battaglia , dans le poste radio paris : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/allons-y-voir/noir-sur-noir-ce-que-voit-letizia-battaglia-5473544