(comme ça se passe en grande partie dehors, du côté de l’extrême nord de la Russie -il y fait beau c’est l’été probablement – c’est difficile de lui trouver une place dans la maison : je le poserai bien dans le jardin, mais y’en a pas) (tout chétif, tout recroquevillé peut être ? : la question c’est aussi de savoir où donc s’établira cette maison, la construire ou pas, la visiter ou pas, la laisser pourrir sur place ou l’habiter, dans une vague banlieue, un lotissement improbable, où l’unique rue tourne sur elle-même dans une sorte d’impossible sortie : pour peu qu’on y mette quelques grilles, ici, là, tout autour on aura droit à ce type de lieu où ne rentrent que des zombies qui n’en sortiront jamais sinon pieds devant) (étrange que ce type de digression vienne se poser sur un film pareil mais c’est ainsi, la vie)
Réalisé par un vieux mec d’aujourd’hui (il est né en 37 quand même), il a un frère (Nikita Mikhalkov : celui-ci a pris le nom du père -comme disait mon Jacquot– lui a pris le patronyme du grand père – maternel, donc : le nom de sa mère hein -comme dirait Levy-Strauss) (enfin ce que j’en dis) : Andreï Kontchalovski, et il nous fait un film (il en est aussi le producteur, le scénariste) (c’est son 22ème je crois) qui a comme objet la vie d’un postier, sur le bord d’un lac (nommé Kenozero) faisant sa tournée à bord d’un hors-bord (bord du hors-bord : c’est le moteur qui est en dehors de l’embarcation) (ici le facteur c’est lui : c’est le matin, il boit du thé).
Il s’agit d’un type d’une gentillesse formidable. Il s’agit de quelques jours dans sa vie, de son travail et parfois de ses nuits lors desquelles lui apparaît un chat gris (on dirait une peluche, on le verra à la fin, sur la barque retournée, assis lui aussi). Le film s’ouvre sur un générique comme je les aime (à la Saul Bass) : sur une toile cirée illustrée (il s’agit de celle de sa cuisine) le facteur nous montre quelques moments de sa vie passée (c’est à nous qu’il parle, c’est à nous qu’il montre ces clichés)
marié puis divorcé sans doute, à cause de cette saloperie (je cite) de vodka (des chiffres apparaissent, comme s’il s’agissait de décomptes, sous les noms des différents intervenants au générique : je n’ai pas compris pourquoi, ou la référence) puis on le suit ici
on est avec lui là (on le suit)
on a ôté le son et le bateau file sur l’onde et sans vague, l’homme arrive à destination, en repartira, en montage parallèle on voit les autres protagonistes de l’histoire, les habitants d’un village, de son village, une femme, son enfant, un vieil homme alcoolique, une fratrie accorte, d’autres gens encore, ceux qui pêchent, ceux qui vaquent, des histoires, des contes, des personnages, des personnes, il y a du soleil, il fait doux, on sent la longueur des jours et l’épaisseur diffuse et courte des nuits, le facteur retrouve ses claquettes en plastiques le matin, il boit son thé rien ne se passe, sinon les exactions des puissants et les amendes collées aux pauvres…
Le calme, la tranquillité, la vie.
Le vol de son moteur oblige le facteur à chercher de l’aide (on apprendra au générique -il faudra bien regarder- que les scènes tournées dans les locaux de l’armée, secrètes sans doute, se tiennent sur le spaceport ou le cosmodrome de Plesetsk) auprès de son ami le général (rien à attendre trop de ce côté-là sinon qu’on verra aussi le moteur de la fusée :
on voit ici le postier de dos, accompagné du petit garçon, qui voient devant eux s’éloigner la fusée vers le pas de tir) tout cela agit sans trop de cohérence, l’histoire est simple, le postier cherche de l’argent, va tenter d’en emprunter à sa soeur (il prend le train)
elle n’en a pas, il s’en retournera chez lui
le train, il l’attend, le matin, tôt, puis le bac de retour
qu’on voit ici en arrière-plan, un film russe qui n’est plus soviétique comme si on pouvait, en vingt ans, en effacer quatre vingts, deux guerres et des idéaux et des (vraies) raisons de vivre : je me suis longtemps demandé, un peu comme pour ce film de Mikhalkov « Soleil trompeur » (1994) comment fait-on pour produire en Russie de telles critiques ? C’est que ce n’en sont pas : ici, le ministère de la culture russe a abondé la production, le film est sorti en 2014, il a reçu un lion d’argent au festival de Venise (on nomme ce bazar-là la Mostra), le postier (on le nomme Liocha) est rentré chez lui, il trouve là assis sur une barque un voisin
la magnificence du plan, le soleil sur le haut des arbres se lève, les deux hommes assis sur une barque retournée, l’un attend que son âme et son coeur se calment, sa tension entretenue avec une cigarette, il l’allume, le postier s’est assis, ils parlent tous deux et au loin
on ne la voit pas encore, mais le compte à rebours est terminé, elle s’en va
ce n’est rien d’autre qu’une splendeur, elle part et eux n’y prêtent rien : ils parlent, puis apparaît à côté d’eux, en plan rapproché
le chat sans qu’ils s’y intéressent plus qu’à la fusée qui s’éloigne…
Le calme règne ensuite sur la Terre comme sur le lac (c’est une image qui induit, certainement, la forme de la production)
Le générique de fin, lui aussi, se tient en un plan (au vrai, deux): les divers protagonistes sont là, l’un d’eux allume une cigarette
les autres parlent, le bac s’en va, ils sont à contre-sens, il fait doux, c’est ainsi
On n’en saura pas tellement plus, sinon que le village et les habitants ont joué quelque chose dans le film qui a été filmé à Vershinino, Kositsyno, Zikhnovo et Pocha, Konevo et Mirny, des lieux de cette Russie éternelle…
Ce qu’il y a de magnifique et de merveilleux, c’est que l’enjeu n’est pas dans la narration (on se fiche éperdument du moteur, des voleurs ou des chiens de garde du pouvoir) mais dans l’image elle-même : ainsi dynamite-t-elle l’ordre et la morale qui voudraient une fin, un châtiment pour les perdants, une couronne et des lauriers pour les gagnants… Ainsi aussi des explications pour le chat gris (car la nuit, tous portent cet uniforme…) : les rêves, les nuits blanches, l’eau le lac le vent ou la sorcière, une histoire joyeuse, aux sentiments positifs et au héros, enfin, suffisamment humain pour nous émouvoir sans nous duper.