À Victor Jara

 

 

c’est une histoire bourrée d’allégories – comme on aime – on aime le réalisateur, on aime sa manière (il est apparu dans un film de Nanni Moretti, « Santiago Italia » qui est aussi une merveille) – c’est toujours la même histoire, je le crains : la faculté de l’humanité à se détruire, se torturer, se piétiner, se battre, se blesser à mort pour enfin se tuer, j’avais à l’esprit Victor Jara

Patricio Guzman revient au Chili, le temps d’un festival, je crois – rencontre quelques amis, passe au dessus de ces montagnes qui isolent son pays du reste du monde – une île dira son ami écrivain

Jorge Baradit – on sait qu’il s’agit du pays où il est né, on sait qu’il l’a quittât par la grâce de l’ambassade d’Italie – il n’y est pas revenu – le pays a sombré sous l’immonde : une constitution réglée en 1980 en fait le laboratoire du « libéralisme » le plus éhonté. On y parle des montagnes : ici un ami sculpteur qui raconte la pierre de ces montagnes et les témoins qu’elles sont de ces horreurs

Francesco Gazitùa (les images viennent d’un dossier de presse distributeur : si on aime, c’est là) – des hommes des femmes aussi qui se battent pour respirer vivre créer – ici un autre sculpteur

Vicente Gazardo – une de ses œuvres et lui, dans le soleil

et tout est là : traduire ce que disent les roches dans un langage qu’on comprendrait

nous montons, les roches nous parlent – nous marchons : sur ces pavés (une petite scène : magnifique)

où en sont fichés d’autres

pour ne pas oublier, tenter de se souvenir, garder quelque chose de ces gens morts dans d’atroces circonstances, dans la rue, comme les pauvres et les chiens

comment veux-tu qu’on oublie ? Aujourd’hui, le pays est en crise profonde (elle dure depuis la chute d’Allende, le 11 septembre 1973

un séisme, l’allégorie du volcan – chute orchestrée par les US et notamment ce Kissinger de si noire mémoire), aujourd’hui les gens sont, depuis trois semaines dans la rue et continuent d’y mourir encore (on annonce vingt deux morts – mais ces annonces viennent du pouvoir lui-même – comment veux-tu qu’on oublie ?). On croisera Javiera Parra (le coup au cœur, la petite fille de Violeta, elle aussi chanteuse – comment veux-tu qu’elle oublie, elle aussi, comme Patrizio, comme tous ces gens – comme nous ?)

Et puis longuement, cet homme

Pablo Salas – et là, on est un peu frustré – : c’est un cinéaste qui filme toutes les manifestations chiliennes depuis les années quatre-vingt (car on se bat, toujours, depuis…) , on voit ses archives incroyables, on se demande pourtant comment il fait pour vivre (la frustration vient de là) et produire – il est vrai que l’entreprise a un air très artisanale – mais les archives ses archives sont là – mêlées aussi au film lui-même – on se souvient, rien n’est oublié :

ainsi que les montagnes, qui bordent la ville en son est

on se souvient

« n’oubliez jamais » chantait Joe Cocker (en hommage à son père, certes) – ni oubli ni pardon – et aussi, peut-être surtout cette image de l’enfance du réalisateur

cette boite d’allumettes, ces montagnes – les Andes, pillées pour le minerai de cuivre  : la nuit passent les trains qui vont au port, emmener le minerai qui vaut de l’or, dépeçant le pays de ses ressources – ici une mine accès interdit

affrétés par d’opulents hommes d’affaire qui se vautrent et se prélassent dans leurs résidences ultra-surveillées, au bord de lacs qu’ils se sont appropriés avec l’argent du cuivre, privatisés et gardés par l’État lui-même et sa constitution.

N’oubliez jamais.

 

La cordillère des songes, un film de Patrizio Guzman (2019)

en maison[s]témoin, sur le Bouton de nacre (autre merveille du même réalisateur)

 

 

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