Tu as volé l’orange!

Par-delà les mots des maux

Par-delà les maux des mots

Qui a volé l’orange du marchand ?

Percer et voir implique d’affronter des paradoxes qui peuvent rendre fous si on a pas eu le temps d’accepter certains dépassements de réalités, quels que soient les noms qu’on leur donne le temps d’accepter qu’un nom est encore illusoire : l’Argent, Dieux, la Célébrité, etc.

Je me souviens de ce moment où j’ai enfin atteint le niveau académique qui me permettait de choisir gravement entre branche molle ou dure de la recherche, comprenez par-là recherche en « Humanités » ou en « Linguistique ». Lasse, je me suis considérée, voire conne-sidérée, un peu vieille pour poursuivre une étoile trop lointaine. La Linguistique, que je poursuivais de mes désespoirs assidus de naissance, me sembla à ce moment-là, inatteignable, voire ina-teigne-able. J’ai bien cru l’avoir enterré ce jour-là. En fait, je n’y ai pas cru du tout, ni cuit d’ailleurs. Je savais bien que ce n’était que parti remise, encore une fois.

 

Je viens de compter, on vient d’enchainer 20 jours non-stop à la Détente. Aujourd’hui, on a décidé, toutes les deux, de se reposer. Pour se donner un peu de force pour la dernière ligne droite. Dont on ne sait même pas trop où est la fin, le 03, le 11, novembre, décembre. Je me souviens que sans vraiment savoir ce que je faisais, j’ai parlé de calendrier sur la moitié d’une des trois parties du fameux mémoire de Master 2. J’avais été très loin dans la recherche, mais je n’avais rien trouvé de ce que je cherchais. Je n’avais pas trouvé Le calendrier que je cherchais. C’était pas faute d’en avoir trouvé, des grégoriens, des lunaires, des anciens, des atomiques…mais rien n’y faisait, aucun ne m’avait satisfait, déjà. Et je crois bien que je n’en avais fait aucune conclusion d’ailleurs, déjà.

Il est 6h53, le mardi 29 octobre 2024, j’ai 14, 567 tâches administratives à peaufiner dans 3,14etc. domaines, et je suis là à écrire sur l’ordi, même pas avec un stylo.

Pause-clope.

Qui a volé l’orange du marchand ?

« Mais mademoiselle, personne ne va rien comprendre si vous mettez le troisième étage de la fusée sans rien avant !!! la fusée ne décollera même pas !!! »

Au moment où j’écris ces lignes j’ai le poignet droit qui saigne un peu à l’intérieur. C’est comme ça que je le ressens, une coupure à l’intérieur, juste en bas de la ligne de vie comme disent les diseuses d’aventures.

Je me souviens de cette fois où, sur un souk marocain, ma mère a cédé à une de mes deux petites sœurs et leur a permis de se faire dire la bonne aventure par une vieille femme assise sur un voile gigantesque dont je me souviens le rouge surtout qui cinglait sur le jaune du reste de l’environnement d’un souk presque vide déjà vu l’heure tardive. Je ne vois même plus qu’elle, la diseuse, assise à terre, et mes deux petites sœurs passant chaque une leur tour, assise devant elle, si petite, si « innocentes », elles. Et leur père qui leur traduisait le dialecte de la diseuse.

Mes yeux se sont affolés quand j’ai vu dans les yeux de l’une d’elle la « croyance ». Elle a bu chaque mot comme un nectar magique. L’effroi sous ma peau, ce n’était pas la première fois que je sentais ce liquide froid et bleu me parcourir sous la peau, mais c’était la première fois que j’essayais de le combattre. De trouver un moyen de prévenir, des yeux, ma mère, leur père, le sable, n’importe qui ou quoi pour que. Mais rien ni personne n’a rien vu.

« Tu rencontreras un beau prince qui te rendra heureuse et te couvriras de richesses ». Depuis je sais. J’ai fait depuis ce que j’ai pu, mais je ne pouvais pas grand-chose. Au moment où j’écris ces lignes à l’ordinateur, je sais. Je sais qu’elle est encore assise devant cette diseuse, hypnotisée par ses mots. Je ne peux rien faire, alors le matin je la mets dans la boucle, tous les matins. C’est tout ce que je peux faire. C’est mieux que rien, surtout pour moi, et je ne m’illusionne plus du reste. C’est tout ce que je peux faire.

Parfois je me demande pourquoi j’entend ce que j’entend et surtout pourquoi je suis la seule à les entendre ? A quoi ça sert ? Si je ne peux rien en faire ? Si je ne peux prévenir personne ? si je ne peux protéger personne ? A quoi ça sert si je ne peux pas protéger ma petite sœur ?

Alors j’ai choisi « Humanités ».

Il me restait encore un peu d’espoir à ce moment-là. Il me restait encore quelques matins à passer.

Plus exactement, j’ai choisi « Littérature », contre toute attente, surtout les miennes. Mais j’ai senti quelque chose. C’était au moment de choisir un directeur de recherches. J’ai choisi en fonction d’un être qui, je le sentais, me permettrait de passer un obstacle. Lui avait des « trésors » qui seraient bien plus utiles, pas dans l’immédiat, mais plus tard, bien plus tard. Tellement tard, que l’heure n’est pas encore venue, je le sais. Mais elle viendra, je le sais. Je le sens. Donc je le sais.

Peut-être que je ne suis moi aussi qu’en train d’attendre mon beau prince, peut être que je me fourvoie à essayer de libérer les « Humanités » de l’humanité, peut-être que tout cela n’est rien, mais au moins j’aurai essayé, même mal, même de travers. Après tout, moi aussi « j’y crois ». Peut être aussi que je n’aurai fait que m’entraîner pour une autre fois, va s’avoir.

Aujourd’hui donc, pas de pains perdus, surtout pas de service. J’ai des fourmis dans les doigts tellement j’ai froid à taper sur le clavier. Pourtant je n’ai pas fini, il m’en reste encore au moins un morceau ce matin. Après je pourrai me reposer un peu.

Je me suis inscrite au CAP cuisine pour mai prochain et à un stage de cuisine pour adulte en décembre. J’avais un programme en tête. Je devais passer le mois d’octobre à m’occuper des légumes. Pour ce faire, j’ai, le jour de mon anniversaire, demandé à Blanche de m’offrir mes premiers couteaux. Je voulais faire les choses « bien », dans l’ordre. Lasse, le magasin dans lequel nous sommes allées, spécialisé, n’avait rien d’enchantant pour un rituel. J’ai quand même fini par choisir quatre couteaux, dont mon préféré, le filet de sole. Je ne sais pas pourquoi, mais je sais que je n’aurai pas de problèmes avec les viandes et les poissons. Par contre les légumes. Et ce couteau éminceur de vingt centimètres. C’est lui qui me fait peur.

Le lendemain de l’achat, j’ai ramené mes nouveaux couteaux à la Détente, pour pouvoir m’y entrainer le moment venu. Lasse, le moment n’est pas encore venu, et nous sommes le 29 octobre. Et ces couteaux me font toujours aussi peur.

Quelques jours plus tard, nous trainions ailleurs, dans un autre magasin aux couleurs apprêtées pour la vente cette fois. J’y trouve très facilement la douille à St Honoré qui me manquait, mais j’oublie encore de prendre les poches qui vont avec. Tant pis, je vais finir d’user celle que j’ai acheté il y a six mois.

Juste avant de partir, et alors que Blanche avait déjà réglé les achats, je tourne autour d’une table dont la pancarte « -50 % » ne m’avait pas encore imprimé le cristallin. Je tourne autour d’un grille-pain gigantesque et rouge totalement inadapté sauf à vouloir impressionner quelques invités matinaux. Sous un autre appareil dont je ne me souviens  même pas, je vois dépasser le manche d’un couteau. Je le reluque quelques secondes avant de me décider à essayer de le prendre en main.

Détail important : j’ai des mains d’enfant. Je veux dire, vraiment. Déjà quand je travaillais aux huîtres, il fallait que je me fasse commander mes gants taille 6 pour être sûre d’en avoir tant j’étais la seule à avoir de si petites mains. Ce qui fait une grosse différence quand il s’agit de choisir des couteaux. Je voulais les plus légers possible, espérant là encore qu’ils me blesseraient le moins possible. C’est pour ça que j’avais choisi les couteaux de la marque espagnole. Ils étaient plus légers. Mais je les avais rangés pour ne jamais les ressortir. Celui qui était sur la table, quand je l’ai pris en main, j’ai tout de suite senti qu’il n’était pas léger. Mais j’ai senti autre chose. Il n’était peut être pas léger, mais tellement équilibré, on aurait dit qu’il était fait à ma main, ou presque. Bien sûr j’ai encore demandé à Blanche de me l’offrir, mais cette fois en rentrant, j’ai chopé le premier légume à couper pour l’essayer. C’était un oignon. Et qu’il était fluide le mouvement, que j’étais à l’aise. Je ne l’ai pas réutilisé depuis cependant. Les deux tendinites au deux bras me font encore un peu peur. Mais je sais que ce n’est pas lui qui me blessera. Il ne reste plus qu’à ce que je ne blesse pas moi-même.

Mal écrit ?

Certes, certes.

Mais écrit tout de même, jusqu’au bout de ce matin. Il est 7h59. Et les épaules me commandent d’arrêter pour aujourd’hui. C’est déjà pas si mal.

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