c’est un film réalisé par une femme, Nora Martirosyan – on peut croire dans la relève – qui se passe en Asie centrale (le Haut Karabagh, « république autoproclamée de Transcaucasie », n’est pas une enclave de l’Arménie dans l’Azerbaïdjan – non plus que l’inverse (je ne veux heurter personne, j’ai vaguement l’impression que ce qui intime la guerre aux Azéris comme au Arméniens est du même ordre que ce qui unit les juifs et les arabes – une proximité féconde et une bêtise crasse – laisse ça ne sert à rien) il y a là un auditeur (un type : il est là pour écouter) interprété avec grâce par Grégoire Colin (je crois bien qu’il jouait dans le Barbara de Mathieu Amalric, (2017) oui, il y incarnait l’impresario Charley Marouani – on ne disait pas encore « agent » tsais) là il arrive
il y a des images , comme celle-ci, qui ont quelque chose (certainement un écho de la jeunesse – pays inconnu, vide, bizarre étrange)
pour y parvenir, la route est longue
(je te l’éclaircis mais c’est quand même assez fort le début du jour
) on passe la frontière (oui, voilà, mais laquelle, dis-moi laquelle ?)
la limitation de vitesse est parfaite
il arrive en taxi donc, il est français, il se prénomme Alain, il vient pour faire son boulot, travail turbin chagrin taff normalisé des choses à auditer (c’est comme ça qu’on dit) un rapport à rédiger des constats à établir des déclarations à vérifier : la norme internationale s’incarne en lui (on se demande un peu par qui il est payé, mais on imagine une institution loin dans certains limbes ou arcanes inaccessibles au profane) – il vient, on le reçoit
avoue que, comme accueil d’un client, c’est quand même mieux que ces mains tendues, guindées, présentations conformes etc. – ça le surprend d’ailleurs, sans particulièrement l’étonner pourtant – comme s’il s’y attendait – une bizarrerie de plus sûrement – le film a quelque chose de bizarre, hors des normes des frontières des lignes – quelque chose de différent – le directeur qui l’avait pris dans ses bras a convoqué la presse, il s’agit de cette femme
mais Alain fait son travail : il n’a rien à dire parce qu’il n’en a pas le droit – rien – il doit vérifier si cet aéroport est bien conforme –
la presse s’en va –
– là-bas un gamin porte des bidons d’eau
on le voit ici à peine, tout petit en bas de l’image un peu à gauche (le halo blanc, c’es la surimpression sur l’image du titre du film qui va apparaître : « Si le vent se lève ») – c’est le site de l’aéroport, il est fréquenté par ce petit bonhomme prénommé Edgar
qui s’enfuit
il vend de l’eau (ces incises sont merveilleuses) ici à une enfant comme lui
là à un travailleur dans une mine de calcaire blanc
un peu partout où il trouve des clients (sont-ils (ou elles) assez crédules pour imaginer des vertus soignantes apaisantes magiques à ce liquide ? peut-être…) des vieilles personnes, des moins âgées – un petit être débrouillard (cette eau singulière, cabalistique peut-être, fabuleuse certainement, il la prend au robinet de l’aéroport, puis s’en va
la fait payer – se constitue un pécule – sans doute a-t-il ses raisons –
ici il a un ami – une connaissance, un voisin, un berger
un fou, un indigène, un autochtone qui cache des armes dans sa bergerie-
je voyais cette image et j’imaginais les ronds dans l’eau qu’ils étaient en train de regarder, tous les deux, là (il y avait cette chanson,là, paroles Pierre Barouh et René le Sénéchal)
assis là, dans cette lumière rose – deux êtres au monde – un drôle de monde – le notre, pourtant, tout à fait – on a donné à Alain un chauffeur pour faire ce travail
du cru, lui aussi – sa femme vient de donner naissance à un fils – scène de nuit, le chauffeur qui parle à sa femme qui, sur le balcon de la maternité, éclaire le visage du môme avec la lampe de son portable – on fêtera cette naissance
et on boira à l’honneur du futur soldat – oui, voilà c’est là, la frontière – il sera soldat ou il sera autre chose – il vivra en tout cas, espérons – mais pendant ce temps-là des enfants s’amusent, trouvent les armes du berger, foutent le feu à la prairie, s’amusent –
des bêtises, comme la guerre – Alain a fait son travail, on l’appelle
mais oui, tout est conforme – le directeur de l’aéroport lui explique la situation : à l’ouverture de l’aéroport correspond la réalité et la légitimité de l’état du Haut Karabagh (ça fait sans doute beaucoup) (peut-être trop)
un appel téléphonique qui vient du siège de l’agence d’audit – ça ne passe pas – ces affaires ne se traitent pas dans ces sphères – mais cette frontière est là, pourtant – et les photos qu’on peut trouver attestent aussi de l’existence ou de la réalité du lieu
– pourtant
– cependant (l’adorable forme des drapeaux, et l’ordre d’iceux-ci)
un seul avion a jamais atterri ici – probablement dans l’ère soviétique – mais depuis, aucun- bien sûr s’ils venaient jamais ils pourraient se poser – tout est prêt, tout est agencé, les consignes de sécurité, les éclairages, les cris enregistrés pour effrayer les volatiles, tout est là – il y a même l’eau courante – mais les seuls avions qu’on peut voir ne sont que mimés
– une nuit, l’auditeur demande à voir cette fameuse frontière qui n’existe pas
il aurait pu y perdre la vie
non ce n’est pas une guerre d’opérette… Une dernière séquence magnifique, un dernier plan enchanté miraculeux inspiré – et peut-être (doit-on l’espérer ?) prophétique
Si le vent tombe un film de Nora Martirosyan
Je dépose ici le générique qui clôt le dossier de presse du film, parce que hors Edgar et l’auditeur Alain quelque chose, je ne connais pas les prénoms des personnages qui interprètent ici les rôles – ce sont, dit Nora Martirosyan, des personnes fort bien connues dans le pays.
Ah si : (propos de Nora Martirosyan)
Les quatre acteurs qui interprètent le directeur de l’aéroport (Davit Hakobyan), la journaliste (Narine Grigoryan), le chauffeur (Arman Navasardyan) et l’ermite fou (Vartan Petrosyan) viennent majoritairement du théâtre.