J’ai écouté une artiste, sa conférence, c’était un peu brouillon ou bien c’est moi qui suis brouillon mais j’ai compris qu’elle travaillait sur le mensonge, le bullshit, les messages, la vérité — et je ne vois pas pourquoi je n’en parlerais pas ici, personne n’a jamais dit que la maison[s]témoin avait campé ses fondations en haut d’un phare ni qu’elle devait se cantonner à explorer les limites de son cagibi.
Des mensonges j’en entends.
Hier un gros prononcé par la voix off d’un reportage sur l’état écologique désastreux de la planète, inondations, tempêtes, glissements de terrain. En conclusion : « l’homme pollue et il va en payer le prix fort. » Mensonge double, un : ce n’est pas l’homme qui va payer, c’est l’humain – la voix ignorait sans doute qu’un mot existe pour exprimer la totalité d’une population, femmes et enfants compris –, et c’est également faux parce que deux : ce n’est pas l’humain qui paiera le prix fort, non pas l’humain en général en tant qu’espèce, mais une certaine catégorie d’humains, particulière, celle qui n’est pas en pourparlers pour prendre la direction d’une banque d’affaires britannique – pas en cravate Dior la semaine et en veste de chasse à courre le week-end – qui ne regarde pas les cotations boursières comme un fan de baseball les statistiques des homes run d’un de ses joueurs préférés.
Il y a aussi des vérités toutes nues et on ne s’étonne même pas. L’agence immobilière ajoute à son nom « Privilèges », elle dit juste. C’est bien un privilège que de penser s’acheter un ancien manoir seigneurial restauré de fond en comble, offrant 10 pièces principales dont 5 chambres, soit environ 370 m2 habitables, son parc protégé par des murs d’enceinte comptant plusieurs dépendances. « Dépendances » aussi est un mot juste qui définit clairement.
En Nouvelle-Calédonie la catégorie d’humains qui débarqua du temps de James Cook croyait acheter leurs terres aux habitants sans comprendre qu’elle achetait seulement le droit temporaire de les cultiver et rien d’autre, le concept de propriété n’étant pas exprimable ni connu dans leur langue.
Il est vrai que nous ne sommes que locataires du paysage, passagers provisoires. Le roi Yax Ehb’ Xook (« Premier escalier du requin »), fondateur d’une dynastie qui dura presque 800 ans et qui vit s’ériger des temples monumentaux dont on n’a pas idée, ne dura que le temps qu’il dura, psssst, disparu.
Plus loin dans le temps, vraiment beaucoup plus loin, on trouve des cyanobactéries dont l’existence propagea l’oxygène dans l’atmosphère et donc, par la suite, la suite, c’est-à-dire nous, les rois, les godillots, celles et ceux qui paieront les prix forts et puis les autres.
Les mensonges, ça s’entend sans qu’on y prenne garde.
Une entreprise vante ses services, parmi lesquels « la qualité accessible à tous », à tous, ce n’est pas vrai, et il en manque du monde, mais le mensonge passe à heures fixes, on écoute la radio en faisant bouillir l’eau du riz et on ne tique même pas.
Il y a les choses qu’on dit, mensonges, bullshit, vérités assumées et puis les impressions, les sentiments.
Par exemple j’ai le sentiment que Catégoriser est un verbe très laid et très nocif, une construction mentale qui prend sa source profond, profondément. On demande naïvement aux petits de trier des couleurs, des formes géométriques, on croit bien faire, comme si la construction de groupes, d’ensembles, n’était pas une autre façon d’écarter ou de montrer du doigt.
C’est vendredi.