Ma mère est ma maison.
Ma mère est faite de texte.
De textes.
C’est de plus en plus visible. C’est ce qui arrive avec les paysages en grands dangers, brossés par le vent, réduits à l’essentiel. Il ne reste plus que la ligne d’horizon et l’armature d’un tronc, un peu d’herbe, le bleu de la mer, c’est tout. Ce qui faisait foisonnement, la végétation dense, les ruelles, les fontaines de Trévise, les habitants et leurs déambulations, les points de vue panoramiques avec la rose des vents gravée sur une table d’orientation, les fêtes folkloriques, les processions de la fête de Saint Bernard, tout ce qui perdait le regard, les cigales la nuit, les nappes sur les tables dehors, froissées, éclairées par les lampadaires, les craintes d’orage et d’inondations, tout s’est enfui, recroquevillé, a disparu.
Il ne reste que quelques histoires droites, réduites au plus simple déclencheur. Ce sont toujours les mêmes. Il ne reste à ma mère que du texte. Elle écrit de moins en moins, et puis plus du tout. Des cartes de vœux, et je ne sais plus la dernière fois qu’elle a rempli un chèque. Ses lettres sont de plus en plus tremblantes, maintenant ce sont des chiffres qu’elle trace, elle fait ses comptes qui sont des contes, car elle ne s’appuie pas sur des données mathématiques. Je veille bien à ce qu’elle ait toujours des stylos à portée de main. Je lui ai acheté un cahier, c’est elle qui me l’a demandé, elle devrait y poser des additions, en tout cas c’est ce qu’elle désire, c’est l’outil de repérage auquel elle se raccroche.
J’ai longtemps cru que rien n’était plus éloigné de ma mère que le texte. Je disais :
elle parle pour ne rien dire
ce qu’elle dit n’a pas de sens
elle dit une chose et son contraire
elle parle pour parler
elle fait de l’air avec sa bouche et ses cordes vocales, c’est ce que j’ai longtemps cru.
En fait, elle est au-delà du texte, ce qu’on peut qualifier de prouesse.
Ou elle se trouve bien au-dessus du texte. Tout en haut. C’est lui qui la porte. Ce sont ses fictions qui la tiennent, soutiennent. Dans le paysage réduit à l’essentiel qu’elle est devenue, sa ligne d’horizon et son tronc sont ses fictions.
Elle me les répète sans arrêt.
On pourrait penser à un problème cognitif, à une maladie dégénérative, à une baisse des capacités logiques, à une perte de raisonnement, oui, beaucoup pourraient le penser, mais elle s’en fout. Elle répète. Elle ne se sent pas malade. Je vais bien, elle dit, et puis j’ai toute ma tête.
C’est le plus important.
Tu ne crois pas ?
Heureusement que j’ai toute ma tête.
C’est bien, je suis contente.
J’ai vendu la maison, je me suis bien débrouillée. J’ai été futée, heureusement.
(la maison a été vendue par obligation, ce n’est pas elle qui l’a voulu ou s’en est occupée, elle me montre le papier du notaire et m’explique qu’il vient d’arriver au courrier, c’est moi qui lui ai donné il y a six mois, nos histoires se chevauchent, parallèles qui ne se rencontreront pas, mais je veille bien à ce qu’elle ait toujours des stylos à sa disposition)
Plus son paysage se minimalise, plus j’augmente le mien, factice. J’ajoute et j’ajoute des pots sur la terrasse de cailloux cernée de murs.
Chaque matin je vais voir si le pied de houblon trouve une nouvelle direction avec sa tête de serpent. J’ai soif de lianes. Les clématites, les chèvrefeuilles et les tiges de cobée s’enroulent ensemble, selon la même chorégraphie indistincte. Les feuilles des capucines de Canaries s’élèvent, larges près du sol, réduites dans l’ascension. Le schisandra croule de fleurs discrètes qui se confondent avec des cerises, et son feuillage de soie cache un peu le géranium menthe dressé, debout. L’akébia n’en finit pas de faire de nouvelles volutes dans sa course avec les haricots géants d’Espagne. En Espagne, lorsque ma mère était enceinte de moi, elle a assisté aux processions, capuchons sombres, deux trous noirs pour les yeux, torches levées dans l’obscur, chants funèbres, et elle a eu peur. Ma mère est ma maison.
Catégorie : un peu partout
Nommer
je ne sais si on s’en fout complètement (OSEFC) ou s’il faut le souligner mais au générique du film dont il est ici question manquent les noms de trois ou quatre personnes et je trouve ça dommage. Ici une voisine
là, un voisin
là il s’agit sans doute peut-être d’un assistant (mais lequel ?) (clap de fin)
là probablement le preneur de son?
Sans doute.
La réalisatrice de ce court métrage qu’on aime par ailleurs (Solveig Anspach, que son âme reste en paix) avait peut-être ses raisons (comme disait ma mère, à Morgins, voyant passer son frère au volant de sa décapotable blanche sellerie de cuir rouge accompagné de celle qui n’était pas encore sa femme légitime nous lui demandions pourquoi il ne fallait pas faire des signes à notre oncle (donc) et elle « j’ai mes raisons » – tu comprends ? non, rien…) . J’ai ressenti quelque peine lorsque, cherchant à légender ce billet, j’ai découvert ces manques.
Pourtant, on nomme ceci
comme ceux-là
celles-là
ceux-là
ou celles-ci
et bien d’autres choses encore… celle-ci par exemple
Un peu de peine pour le cinéma, disons. Sans doute quelque chose de sa cruauté. Intitulé Anne et les tremblements il est interprété par Anne Morin, premier rôle, dans le sien apparemment
(c’est une espèce d’histoire vraie, j’en sais rien – jusqu’à un certain point, certainement).
Après, elle vit au sixième, un appartement qu’elle a acheté, à une amie (Isabelle, imagine-toi), et qu’elle a prêté à des amis
mais bon, il y en a que ça ne gêne pas comme son amoureux
(« adorable » dit-elle) (tout comme elle, d’ailleurs) ou une de ses amies (Sabine, oui) qui veut acheter l’appart
mais ça ne se fera pas – alors Anne tentera de le vendre (ici l’annonce
) et puis finalement
non. Mais elle épousera son amoureux.
Clap de fin.
Toute une histoire qu’on pourra voir jusqu’au 31 de ce mois (c’est mars, c’est celui où le printemps déboule – normalement) comme « film du mois » ici
Anne et les tremblements, un film (court) de Solveig Anspach (2010)
Juste un travelling
en réalité, ce que le cinéma prend pour de la promo(tion) (tout ce qui peut parler de lui est bon à prendre) n’en est pas dans cette maison (ou alors pour le medium lui-même) : l’idée même de promo(tion) répugne mais le consentement règne de nos jours – ventre mou, la culture n’est pas en reste (le cinéma, est-ce de la culture ou n’est-ce qu’une espèce d’épicerie?) : il existe un centre national d’icelui (trônant dans les beaux quartiers, chers aux Pinçon-Charlot), non loin d’un bar qui fait le coin (où le minuscule à talonnettes fêtait son élection, c’était en l’an sept de ce siècle) (on incendia sa marquise en décembre 18) (le jury, au premier étage de cet établissement, se réunit et décerne son prix, nommé d’un Louis Delluc (cinéaste, lui-même, et critique de cinéma) ce sont institutions, pratiquement, ainsi que les divers palaces de Cannes on en passe et des meilleurs – c’est le cinéma, l’argent y est maître, y coule à flots s’il se peut, ses servants sont rémunérés à cette aune. Alors en parler dans cette maison, pourquoi faire ? En dire encore et plus ? Mercredi est le jour des sorties, et cinquante deux fois l’an, en ce seul pays, quinze ou vingt nouveautés fleurissent… Cessons ces vérités : le film du jour date de l’année dernière (2021), a sans doute été tourné durant la période qui suivit le confinement (premier – ce genre de choses se sait – ici j’en réponds – à l’été vingt) (un film égale quelques mois de vie professionnelle des techniciens de création (c’est un joli intitulé non ?) et vingt quatre des deux ou trois managers – ce n’est jamais l’œuvre d’un.e seul.e – plusieurs centaines de plans, huit à dix semaines de tournage (ici on dit cinq ou six,juillet-août 2020), bien plus avant, plus encore après) . Mercredi, on en parle (trêve des confiseurs mise à part) : à la réalisation, une femme (ainsi qu’au scénario), un peu plus de cinquante ans (elle naquit en 68, au siècle dernier), premier film formidable.
L’histoire d’une jeune femme (Irène, 19 ans sans doute – Rebecca Marder, splendide de joie et d’énergie)
qui vit à Paris, veut devenir comédienne, prépare le concours d’entrée au conservatoire. Elle est juive mais, au début, ça ne compte pas.
Ça se passe en 1942, à l’été – ça n’est pas vraiment dit. Elle ne veut pas le voir. Elle, elle ne pense qu’à vivre : jouer, travailler aimer courir vivre – autour d’elle se construit ce qu’on sait de ces moments-là dans ce pays-là. Elle, elle joue, elle répète, elle vit (son professeur de théâtre (Bastien Bouillon) indique que « le plaisir est contagieux »: elle, elle le sait et elle le croit)
Sa grand-mère Marcelline est formidable (Françoise Widhoff, formidable, oui).
Son père inquiet (André Marcon, idem).
Son frère, drôle, transi (Anthony Bajon).
Son chéri, adorable (Cyril Metzger).
Passent les jours. Un jour, une des merveilles du film :
cette promenade
en vélo,
en sept images,
mais un seul plan
le cinéma
dans toute sa sublime splendeuret puis sans la moindre distinction
l’histoire qui suit son chemin
Une jeune fille qui va bien, un (bien beau) film réalisé par Sandrine Kiberlain (ici le dossier de presse)
Non, aucun
ce pays est une tuerie, vraiment – on le voit dans ce film comme on le voyait dans les autres – une tuerie – le film s’intitule Aucun ours un titre qui lui va bien – il a été primé à Venise, au festival nommé Mostra (montrée, affichée je suppose) qui est une manifestation voulue par le fils de l’ordure (tu sais bien, celui qu’on a pendu par les pieds, sur une place de Milan, en avril 1945 – on a oublié, mais dans le pays en question, il n’y a pas tellement de différence si tu veux mon avis) (il y avait dans la péninsule dite ibérique, deux autres types du même acabit, mais qui s’en sont tirés tranquillement, eux) (que ces gens-là soient maudits) – cette manifestation qui a lieu au lido perdure et montre donc le cinéma, mondiale, comme à Berlin, Cannes, Toronto ou Locarno – ce n’est pas tant qu’on aime ce genre de rencontres, mais elles font parler, donnent de l’ampleur et de l’écoute et permettent de ne pas oublier. Il ne faudrait pas parler de ces choses-là parce qu’elles fâchent, ce n’est pas diplomate ni bien élevé (les tortionnaires aiment à rester dans le calme et le silence de leurs geôles).
C’est l’histoire d’un réalisateur de cinéma
qui prend des photos dans un village
les villageois tentent de le convaincre qu’il a pris en photo un couple illégitime – ce qui est doublement faux : la photo n’existe pas, le couple légitime non plus, sinon dans le fantasme des habitants (lesquels attribuent à la naissance une fille en mariage à un garçon – tu vois le niveau) – s’ensuivent des développements
des palabres
une espèce de prestation de serment
toute une tradition abjecte et machiste – le monde de nos jours – abus de pouvoir, emprisonnements, mises à mort – il y a ici pourtant ce mouvement Femme Vie Liberté qui existe – il y a depuis quelques mois des révoltes qui tentent d ‘être matées dans le sang – par ailleurs, dans ce film, on en tourne un autre, de l’autre côté de la frontière (du côté turc) mais rien ne va plus non plus
le réalisateur a une patience formidable, une gentillesse à tous égards du meilleur aloi – le monde (ce monde-là mais comme le nôtre) fonce à une allure incoercible – droit dans le mur
dis-moi, dis qu’allons-nous devenir ? Alors on tente de le conduire ailleurs, ou on tente de le dissuader, ou on l’emmène de ce côté-ci, à gauche par là, au fond
bien sûr que non, par là, il n’y a aucun ours…
Aucun ours un film (formidable) de Jafar Panahi (2022)
Ici même :
Trois Visages un autre film, magnifique, du même réalisateur.
Partir (Hit The Road) tout autant, du fils du même.
en dormant
ce que je remarque c’est que si je m’échine à modeler contrôler
pour aller dans une direction
je peux jeter la feuille à la poubelle il ne s’y passe rien
et toutes les fois où je jette un dernier geste sans réfléchir
avant d’arrêter tout
pour ne pas gâcher la matière qui me reste
un réflexe de pauvre en quelque sorte
il se passe quelque chose de curieux
au sens de quelque chose qui active ma curiosité
quelque chose qui m’est à la fois proche familier et étrange étranger
c’est ce que je garde
non pas parce que je trouverais ça particulièrement beau ou réussi
mais parce je n’ai au fond plus la main
plus le droit de décider quoi en faire
je laisse je pose je regarde
cet extérieur
qui est comme ces mouvements qu’on a durant le sommeil
Toiles
Il ne s’agit que d’images et de représentations, glanées ici ou là (souvent posées par mon frère quelque part, ici là ou ailleurs) je les capture grâce au bouton impécr syst qu’il y a là, je les pose dans un dossier toiles le vic sur le bureau du personnal computer puis les retaille, en cherche les titres, parfois, les dates de conception, elles sont là pour faire beau – j’aime savoir qu’il s’agit de répliques au même sens que celles des plaques tectoniques qui se meuvent sur le manteau
En ouverture : The Souvenir Jean-Honoré Fragonard, 1775-78
il y a des moments où il faut décorer ces murs taupe – quand même, cette maison à vendre ou à louer mérite quelques aménagements (bien qu’elle ne soit guère visitée : la crise (on nous préfère inquiets, comme tu sais), la pandémie (hier soir écoutant radio paris (qui ment comme de juste) on m’a annoncé en titre que les cinquante mille cas de maladie avaient été recensés ce jour – en titre gros comme le bras – et dans le développement, que des vaccins sont disponibles – un épidémiologiste ne pouvait pas parler proprement de « vague » mais enfin) (j’ai fermé le poste, qu’est-ce que tu veux), la guerre immonde mené par le mini-tsar ridicule et grossier – tout ça n’est guère favorable à l’investissement, hein…)
Alors décorons : Marc Chagall, Église de Chambon (1922-1926)
ce sont les petites poules qui me ravissent – puis Edward Hopper La plage de Gloucester 1924
joli – continuons avec cet autre Chagall La famille ukrainienne 1940-1943
si, c’est quand même joli, ce rouge (sang), ces couleurs (vives), ce feu peut-être et ces animaux aussi – est-ce bien décoratif, je crains que non mais je le garde et l’expose – la date du tableau et ce qu’il transporte aussi, je ne veux pas oublier –
un autre Marc, Rothko celui-là dans ses bleus, (sans titre, 1968) pour la route (et en signe à Jean-Luc Godard, qui comme ce peintre-là, a mis fin à ses jours) – puis un 2VG Arles jardin en fleurs 1888
une pure merveille – une autre pure merveille, sans doute plus troublée (et bien différente de ce qu’elle est aujourd’hui) Maurice Utrillo (un de mes préférés) et son Place du Tertre 1910
d’autres encore – celui-ci Piet Mondrian, Along the Hamstel 1903 (magique)
et puis deux images, l’une d’un sous-bois (sans référence, je ne sais d’où je tiens cette image – elle est là, elle correspond comme on dit d’une lettre qu’on attend (ou le « on devrait correspondre, puisque tu me corresponds » du Cabrel)
et pour finir, cette image du robot (la piazetta et ses deux colonnes, Théodore qui me fait souvenir d’un ami, et le lion ailé qui veille sur les murs préfabriqués de la maison)
C’est mieux, il semble…
Josef
taleur je vais aller voir le nouveau film de Tony Gatlif – je l’aime beaucoup ce garçon, d’autant que nous sommes voisin – il habite dans la rue du garage de l’auto – j’en parlerai sûrement comme j’ai parlé de Liberté de Djam ou des Princes (c’est probable- je chercherai) et je retrouve sur le bureau de la maison[s]témoin quelques images que j’ai récupérées un jour, je ne sais plus, durant l’un des confinements je crois bien – il s’agit d’images dues à Josef Koudelka – c’est un photographe tchèque (mais plus slovaque) (dans la fin du siècle dernier,les choses et les frontières ont bougé – je ne sais si cela a eu une influence sur son travail, certainement – car tout influe sur le travail des artistes – donc je les pose ici, pour décorer orner parer revoir et me souvenir de mes frères et sœurs
c’est sans ordre préconçu, comme dans le dossier – mais on peut les retrouver je crois bien sur le site (formidable) (j’adore) du musée d’art moderne de New-York (aka Moma)
(simca blanche)
(je crois me souvenir qu’il s’agit là de pêcheurs espagnols) (non d’Irlande) – pures merveillescette brume
mais oui tout pour la musique
le rite
les enfants
les mythes – enfin tout ce qu’on aime
Formidable.
Merci Josef hein
Partir
un jour je m’interrogerai sur le matériel dont je me sers pour illustrer ces billets (qui est celui dont on dispose auprès des distributeurs, et donc destiné à être exporté auprès des publics potentiels putatifs conditionnels ou hypothétiques ou j’en sais rien) (il s’agit de science du marketing – le cinéma en est friand au point d’y consacrer (il faudrait que quelqu’un compte quand même) mais certainement au minimum le tiers du budget d’un film (quand même ce n’en serait pas la moitié) (il y a certainement ce genre de statistique dans les wtf écoles de commerce (à trente ou quarante mille l’année quand même) qui donnent envie de gerber) (je cesse ici mais n’en pense pas moins) – pas aujourd’hui
ici une chanson qui n’a que peu à voir avec le film (pas certain qu’on l’entende d’ailleurs – c’est sans importance) (je pose Ray quand même en photo d’entrée de billet)
il s’agit d’une route, prise par l’aîné des deux fils d’un couple, il s’en va et jamais ne reviendra… N’en pas trop dire pour ne pas effrayer le petit (ils l’accompagnent tous – la famille (comment se passent les départs, définitifs ? Par la force ? la contrainte ?) ils l’accompagnent donc – c’est l’aîné
qui conduit la voiture, au début (une voiture de sport utilitaire – dont on tait la marque – prêtée par un ami). Il y a dans l’auto un chien (Terry, il me semble (au fond de l’image, dans le coffre)
qu’on a trouvé quelque part) – à l’avant la mère (formidable Panthea Panahiha), à l’arrière le père (Hassan Madjouhni) et le petit frère (une espèce de star de série télévisuelle dans son pays, Rayan Sarlak) ici à l’image (reprise sur l’affiche du film)
(assez cabot mais semble-t-il vrai dans l’illusion – vrai semblant) le voyage
qui s’effectue sous nos yeux ne conduit nulle part
– on parlera un peu ensemble (l’aîné avec le père)
ils partagent ici une pomme – sur la route qui conduit à l’exil permanent des enfants
– une terreur une seule voie de sortie – la famille qui a tout vendu
pour acquitter le prix de ce voyage – mais c’est pour vivre qu’il est parti
ou pour ne pas mourir
de l’espoir dans ce voyage
ces paysages magnifiques
et puis
politique absconse d’un état débilitant – mais c’est le leur – des films iraniens qui se font malgré tout – le moyen Orient à feu et à sang, pour son pétrole ? le monde actuel – aujourd’hui – un film réalisé par un homme (il est de 84) dont le père est interdit de tourner (Jafar qu’on aime aussi) – un humour et une douceur magnifiques
merveille sensible et tendre – des cagoules
comme le Kukluxklan, de l’argent, des tractations – et tout à coup, l’aîné aura disparu…
Hit the road un film de Panah Panahi
ici le générique
et la suite
Toute une nuit
y penser donne un léger tournis, un milliard et cinq cents millions d’âmes conduites (conduites ?) par un autocrate abject (les diverses exactions de ses partisans font froid dans le dos : des milliers et des milliers de morts au prétexte religieux demeurent et pour toujours sans doute impunis – c’est le cas ailleurs mais oui : bienvenue sur terre…) je te montre juste quelque chose de magnifique
(taxée dans un organe inqualifiable, peut-être, mais image quand même en disant un petit peu long : reçu par sa sainteté durant un repas privé (d’affaires) trois heures – epr plus armes) – qu’importe le flacon…
Il s’agit d’un film composé de centaines de plans apportés d’ici de là par les élèves d’une école de cinéma et de télévision — ça se passe en Inde, à une centaine de kilomètres au sud de New Delhi si j’ai bien compris – FTII Film and Television Institut of India – à Pune – ça ne va rien dire mais tant pis : là juste pour se faire une idée
on s’en fout un peu ? bah on aime les cartes, on aime le monde (pourtant…) – c’est un film où une voix d’on ne sait trop qui (L. est-il vaguement argué) (une femme) (Buhmisuta Das – peut-être la compagne de celui qui signe l’image, Ranabir Das) parle en off comme on dit – on ne la voit pas à l’image, ou du moins on ne sait pas qui elle est : elle lit des lettres qu’elle a écrites (croit-on) à son amoureux qui a disparu (il fait sans doute partie de ceux qui, tout à l’heure, ont disparu victimes des horreurs valorisées prônées demandées souhaitées ordonnées par ce Modi Narendra (maudit, oui) (enfin, j’interprète comme on sait)) tout à coup, elle ne l’a plus vu (il faisait partie d’une autre caste qu’elle, il n’y avait pas d’amour à ressentir pour elle – ou l’inverse : ces choses-là sont, comme le monde, vieilles et usées)
Et donc, il est arrivé un moment où ces étudiants en cinéma/télévision/images animées ou fixes se sont mis en grève (le pouvoir avait nommé, en 2015, un an après son accession au pouvoir, un de ses affidés à la direction de l’école – ça dit quelque chose ?)
un moment où le pouvoir a réprimé, durement, ces manifestations (ça te dit quelque chose ?) – on ne possède pas trop d’images du film (un dossier de presse – des images fixes) – on avance un peu dans l’ombre, le flou beaucoup
lancinante est la voix, et les images assez peu élaborées – impressionnistes peut-être si on veut aller vers leur valorisation : ce n’est pas nécessaire, elles parlent et en disent long, comme la voix – ce sont des juste des images comme disait l’autre – un long plan débute le film, une fête quelque chose de gai, les gens dansent boivent rient jouent
mais je ne l’ai pas trouvé – ça ne fait pas tellement grand chose, non plus, les jeunes gens qui s’amusent, et fêtent quelque chose, un anniversaire, l’obtention d’un diplôme, quelque chose qui aboutit (« c’est comme ça que les choses arrivent » disait je ne sais plus qui un poète, je crois bien) (non, une voix off) et il y a une musique, électro funk ? peut-être quelque chose qui porte à danser
des images, des mots, des sentiments
un pays lointain, l’Asie, l’océan qui porte le nom du pays, des humains pas si différents, tellement semblables – on aime la liberté, qu’on soit d’ici ou de là – et un flux d’images montées les unes à la suite des autres, qui nous parle tellement de ce qui a été ressenti – un système, une façon de contrôler les âmes justement – les humilier, les haïr, les faire disparaître (ça dit quelque chose) – il faut aussi expliciter les conditions de production, ce n’est pas spécialement un film de fiction non plus que documentaire, c’est un film qui indique une direction (la liberté, la joie, l’amour aussi bien – mais en creux) et qui s’y tient – il y a quelque chose de merveilleux dans le cinéma, quelque chose qui indique un chemin qu’on en soit ou pas conscient – il n’est pas innocent qu’il soit réalisé par une femme, si tu veux mon avis (il ne m’étonnerait pas qu’il en soit de même de l’image et du scénario) (on s’en fout : quoi qu’il en soit, ce sont jeunes gens, et comme ailleurs – ici par exemple – il me semble que cette idée soit fondée et défendue – une espèce de relève que j’aime à saluer)
des images des mots de la musique : invincibles (j’adore)
Toute une nuit sans savoir, un film de Payal Kapadia
co-scénariste qui a écrit, avec l’auteure, les lettres dites : Himanshu Prajapati
les dessins et les images sont tirées du dossier de presse (probablement glané chez le distributeur français du film)
dans la bibliothèque de la maison[s]témoin, La Nuit de Gigi de Dominique Dussidour
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Gigi n’est pas le personnage principal. D’ailleurs on ne la suit pas tout de suite. C’est parce qu’elle se trouve à une intersection, un nœud, comme ceux que font les plantes-lianes à l’endroit où ça se resserre et où ça repart en tiges et en vrilles, poussé par la faim de trouver la lumière, ici et là. Dominique Dussidour emmène, au sens propre. Elle dit Viens, regarde ici cette rue qui mène à ce pont, elle dit allons voir plus loin, littéralement, un peu comme l’accompagnatrice au chapeau choisi pour être reconnaissable, c’est plus facile pour rallier les touristes autour d’elle, qu’ils ne se perdent pas, elle porte un classeur ouvert contre sa poitrine avec tous les détails importants, elle guide, elle dit Ici… et lève le bras pour montrer une petite maison posée sur la pierre d’un clocher, à des centaines de mètres au-dessus des têtes, elle raconte qu’un soldat dans cette petite maison coincée là-haut, il y a des années et des années, faisait le guet.
Elle, Dominique Dussidour, ne fait pas le guet, parce qu’elle n’a pas envie de rester sur place et immobile, il lui faut au contraire garder la liberté d’aller un peu partout, elle est très libre, et le parcours qu’elle suit est comme elle, gourmand, le passé, le présent, ce qui se voit de l’extérieur et même les endroits inconnus qu’on sait déceler, mais qu’on ne sait pas toujours nommer. Elle observe les fils enchevêtrés pour nous, avec nous, sans autoritarisme, avec le même genre de curiosité qu’a une Agnès Varda, une volonté de voir comment les choses se déplacent, s’articulent, se chevauchent, disparaissent tout en se créant.
Il y a un groupe d’amis et d’amies, il y a des conditions atmosphériques, un été là, de la pluie plus loin, une rivière où se baigner, un appartement à l’étage, un vieil homme qui a fait le tour de sa vie, et la vie capturée dans des dessins d’enfants.
La nuit est un moment spécial où toutes les choses se rejoignent, c’est l’endroit préféré des plantes-lianes, car ce qui semble être dû au hasard, ces petits détails accumulés, ces vestiges du jour trouvent de quoi s’agglomérer ensemble pour former un tout. Un vrai tout, c’est-à-dire un tout en expansion, non limité à ses bordures. Un tout poreux, comme les pierres blanches que l’on ramasse sur les plages, mangées de trous.
Il y a Lola, il y a Gabrielle, il y a Honoré, il y a une exposition de films et de photos, des adolescents en révolte ou simplement en recherche de quelque chose, de quoi on ne sait pas, mais cela flotte constamment, ce désir de trouver ce « quoi » que l’on cherche et qui ne finit pas avec l’âge. C’est la vie. Et comme la vue de Dominique Dussidour est panoramique, elle n’oublie pas, dans la vie qu’elle raconte, de placer les creux, les absences, les impossibilités, les empêchements, ces petits trous dans la pierre.
Ce n’est pas une vue mélancolique, nostalgique du temps qui, en passant, malaxe les vies de Jacques, de Léo et des autres.
Il y a une grande sérénité. Les choses graves sont acceptées, telles que. À la même échelle que les petites merveilles dessinées au crayon de couleur par les petites mains de Gabrielle enfant. Tout est grave, tout compte, tout est léger, ne pèse pas plus qu’une plume, et tout est lourd, marqué à jamais en creux.
Les poissons exotiques Gnatho, un disque de PJ Harvey, une chanson de Josquin des Prés, les œufs de cochenilles qui colorent de rouge les bâtons d’aquarelle, la géomancie, tout compte, tout est lourd et léger. Ou plutôt, tout pèse son poids, son poids interne, ou sensible, la hiérarchie de la vie étant bizarre, bizarrement dérégulée, de minuscules choses aussi fines qu’un conte d’Andersen étant aussi massives, ou plus, qu’un chapiteau de foire.
Au cœur de La Nuit de Gigi il y a un creux immense. Une disparition. Comme si une bombe était tombée. Gigi au milieu des gravats, rassemble, et rassemble les morceaux éparpillés. Je ne sais pas comment fait Dominique Dussidour pour braver la tristesse, la retourner, envers sur endroit. La Nuit de Gigi, avec sa tragédie centrale, n’est pas triste. Elle dit que oui, nous le savons, la vie est une tragédie, mais Viens, avançons au milieu des poissons. Oui, on peut penser que tout semble gratuit ou dérisoire, comme si rien n’avait de sens, mais si on regarde mieux c’est faux, tout est utile, toutes les vies servent, même celles qui se sont arrêtées, car en regardant mieux on voit bien que celles-là, les finies, continuent, comme les plantes-lianes s’arrêtent contre un obstacle, tâtonnent et le dépassent, la mort est un obstacle comme un autre, elle fait partie des cloisons et des contorsions que la vie charrie, naturellement.
Et puis il y a le degré de perception de Dominique Dussidour. C’est très fin. Ça claque et fuse. Très délicat. Et simple. Ouvert. Traversé par. Vivant. C’est paisible et terrible. Sans chercher l’exhaustivité ou le contraste décoratif (non, ça n’est pas décoratif).
Il y a aussi la question de la filiation. Ce qui est donné et transmis, inconnu, incomplet, ce qu’on connaît bien mal de l’enfant qu’on a porté pourtant, ce qu’on connaît bien mal du parent dont on vient pourtant, comme cette guerre qui restera non-dite.
Si La Nuit de Gigi était un tableau, ce serait La Tempête de Giorgione. Une vue de la réalité, avec sa part d’énigmatique, gentillesses et douceurs, grandes inquiétudes incluses. Ou bien ce pourrait être certains tableaux de Zao Wou-Ki, par exemple Water Music.
Un peu de Perec aussi, dans la tentative d’épuisement de lieux qu’on n’épuisera jamais.
Le regard flotte pour extraire des indices. Et comme les choses ne sont pas délimitées, c’est une broderie de fils, tous distincts, différents, qui se rejoignent.
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J’aurais bien voulu pouvoir dire tout cela à Dominique Dussidour de vive voix, mais ça n’est pas possible, alors je vous le dis à vous.
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