Une visite

Il lui avait dit «j’ai quelque chose à te montrer» et elle avait senti le sourire monter, éclater, lèvres, yeux et peau. Elle regardait ses mains sur le volant, son profil, en attente confiante, un peu comme autrefois avec son père. Elle savourait l’idée d’être amoureuse, perdue d’admiration…

La voiture s’est arrêtée, il est sorti, il a fait le tour – l’était si courtois – pour lui ouvrir la porte, et bien entendu elle l’a devancé et ils se sont heurtés. Ils ont ri.

Il lui a pris la main et elle a senti avec un peu d’agacement un timide sourire de bonheur béat lui échapper.

Il y avait de beaux arbres face à eux, il lui a fait traverser la rue, elle était interrogation.

Il y avait une maison basse, une bordure de fleurs fatiguées et puis un écriteau «maison témoin» et le sourire a glissé.

Il y avait une petite entrée qui débouchait sur une grande pièce claire et une jeune femme qui s’avançait, qui parlait, auquel il répondait. Elle entendait leur bruit, elle entendait surtout des voix effacées, une musique polyphonique, en accord avec les anciennes présences dont elle sentait la trace, il y en avait une qui parlait cinéma, inlassablement, et elle aimait ça, mais il y avait en interférences parfois comiques, des plaisanteries, le discours d’un homme qui, comme la jeune femme, parlait de la maison, des petites histoires, des pensées gentiment profondes, un conte, presque un roman, qui avançait imperturbablement, et elle avait envie de demander aux deux autres de se taire pour jouir de ce tissu.

Ils sont entrés dans une cuisine claire, ouverte sur un petit jardin clôturé à l’arrière de la maison, et là elle l’a entendu, il ne discutait plus avec la fille de l’agence, il s’adressait à elle, il caressait le plan de travail de pierre noire, il ouvrait les placards, il disait «elle est encore plus belle que celle de ma mère, et plus pratique, tu verra.. elle serait heureuse et pourtant elle est fière de la sienne, et elle y fait des merveilles, elle te montrera» et elle a repris pied.

Elle l’a regardé. Elle a pensé que ce n’était vraiment pas possible, pas envisageable, d’ailleurs elle l’avait si peu envisagé qu’elle s’était absentée pour se protéger dès qu’elle avait vu le panneau.

Elle a demandé à la jeune femme

– Et pour les bus ?

– Il y a un arrêt à cent mètres, vous savez le quartier prend de l’importance, l’est bien desservi,  vous en avez un toutes les dix minutes aux heures de pointe, toutes les demi-heures sans cela, il vous amène au centre, d’ailleurs je le prends pour venir…

– Merci, je vais voir

et à lui

– Je te remercie… contente pour toi, je crois qu’elle te plaît vraiment cette maison

– Et à toi ?

– Je ne suis pas concernée

Et puis «je ne voudrais pas te retarder, au revoir»

Il lui a couru après. Alors il a fallu lui expliquer, lui dire que, non, elle n’avait jamais pensé qu’ils devraient ou même pourraient vivre ensemble. Qu’il aurait dû lui demander. Que, oui, s’il voulait, il pouvait la déposer où il voudrait près de la grande place, elle avait des courses à faire. Se revoir ? Peut-être, on verrait bien.

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