Huis clos

 

 

 

On a déjà parlé ici de ce réalisateur, Leonardo Di Constanzo, de sa façon de donner à voir les marges du monde – je ne sais pas si le monde n’en est pas complètement constitué, de ces marges : où est-il le standard, le mainstream, l’ordinaire et le normal ? Je me demande… Ici un microcosme

 

Le film commence autour d’un feu (au vrai il y a eu trois ou quatre plans (au générique de début) de la montagne environnante, en journée) : il fait nuit, des hommes, une demi-douzaine, boivent de la bière et rient aux souvenirs des jours de pêche – ça se passe en Sardaigne semble-t-il – ça pourrait se passer n’importe où – des hommes qui vont s’en aller, le lendemain ferme la prison dans laquelle ils travaillent tous.
Mais non.
Ils vont y rester encore un peu : on ne trouve pas d’endroit où enfermer une douzaine de (re)pris de justice. On dira au plus aguerri d’entre les matons (interprété par Toni Servillo) de garder la boutique – il est aussi le plus patient – le merveilleux dans le film c’est qu’il n’est pas tellement fait pour le rôle (je veux dire : pas l’acteur mais le personnage) mais que, petit à petit, il l’endosse sans trop de gêne ni de difficultés. Plus merveilleux encore, peut-être, c’est que le film parvient à nous faire comprendre que la prison est une fiction, une erreur grossière de l’humanité pour tenter de faire quelque chose des profondes tendances de ceux qui la constituent – la haine, peut-être, l’amour aussi sans doute, la présence des autres, la solitude, la paix – enfin chacun.e verra, à son propre avis.

En tout cas, à voir, sans aucun doute.

Ici les matons sur le plateau

l’administration pénitentiaire a des défauts : ici par exemple, la cuisine a très mauvais goût : les prisonniers font grève, voilà qui risquerait de mal tourner. L’un d’entre eux, pourtant, l’un des plus respectés aussi, se propose de faire la cuisine (des pâtes essentiellement, avec des polpettes, de la viande, du veau comme on veut) (le rôle du cuisinier est tenu par Silvio Orlando)

et ce qu’il y a c’est qu’on ne le lui refuse pas…
Un autre coup du sort, peut-être, est la venue d’un orage : plus de lumière – que faire ? On se réunit

on discute, on négocie entre gardiens, on cherchera des lampes tempête on éclairera la scène, on mangera tous ensemble…
Sans colère ni violence, sans effusion de sang ni coups – quelque chose comme de la bonne volonté


de la volonté d’être digne – une histoire simple si on veut

À la fin, on apprend des choses, des relations, des éclaircissements, des faits simples et directs, qui nous entraînent jusqu’à nous faire comprendre que les rôles sont peut-être, est-ce destin, est-ce hasard, on ne sait

les rôles tendent vers l’égalité

 

Ariaferma  un (très beau) film de Leornado Di Constanzo

 

Partir quand même

 

le titre du billet est aussi celui d’une chanson de Françoise Hardy (bof) 

L’image d’ouverture appartient au film  

générique commence à devenir une espèce de série (y’en a déjà trois) (ça fera quatre) dans cette maison (quand même en serait-elle témoin) ça ne peut pas nuire, je suppose, mais ça fatiguera sans doute – on verra bien – c’est d’abord une partie importante du cinéma parce qu’elle ressort du droit : c’est un exercice obligatoire pour n’importe quel film – et ça en dit assez long sur la façon dont la production et la réalisation envisagent le cinéma, souvent – certains n’en n’ont juste rien à faire; d’autres les soignent : c’est le cas ici – c’est d’ailleurs un film fait avec soins, ça me plaît qu’on ne violente pas le cinéma – par ailleurs encore, c’est difficile de trouver le générique d’un film si on ne dispose pas d’une copie – et je n’ai pas énormément de copies de film à la maison si tu veux – ici il s’agit d’un court métrage, le titre est repris d’une chanson, lequel est le titre du livre écrit par le héros – un livre à succès semble-t-il (un best-seller, peut-être : en tout cas, il se trouve dans le wtf cultura de Cormellain (sous le lien, la chronique pour Ville&cinéma donnée à l’aiR Nu) – ville probablement fictive (on a demandé d’éclaircir ce point en haut lieu, il n’a pas daigné répondre) (l’auteur du livre (qui est aussi l’un des deux premiers rôles du film) a semble-t-il était reçu chez un histrion du petit écran, ancien journaliste sportif, le gendre idéal disait-on à un moment mais là il commence à prendre trop largement de l’âge pour prétendre à ce rôle…) – normande (trois cents kilomètres de Paris, comme les 300 pages du roman du Julien…) – dotée d’un hyper-marché et d’une piscine à vagues…)

 

dans le film, le générique de début fait apparaître quelques images et au son la chanson chantée (paroles édifiantes – on en entend deux couplets, merci…)

les diverses graphies deviennent jaunes à mesure que se déroule le générique (très joli effet)

(c’est pourquoi, parfois, on verra sur ces images une espèce de film jaune avancer de gauche à droite sur les lignes, les mots)

(le film a été projeté diffusé sur arte – l’est encore je crois bien – jte mets le lien –  jl’aime bien)

ils et elles chantent encore

mettons qu’il s’agisse du générique de début (à la mode contemporaine : les financeurs d’abord

les autres on s’en fout on verra plus tard) (participation, soutiens…) on chante encore

tu vois les lettres sont en jaune (et le nom de la réalisatrice, graphiste à ses heures) (ou l’inverse)

le titre – c’est parti, on va cesser de chanter (mais dans le film, quatre morceaux de musique des années passées) (pour les paroles, dans le même ordre d’état d’esprit que la première… : on n’en garde que (dieu merci) (comme disait ma grand-mère) peu (je l’aime toujours)) – on m’en a dit « mignon », « sympathique », « très joli » – d’accord (en cette occurrence, mon avis est absolument désintéressé – je le trouve marrant et vraiment bien fait (j’aime beaucoup les travelling avec mobylette par exemple)) puis on m’en a aussi dit  « fin, subtil, délicat » – mais voilà, le film se termine : générique de fin (j’adore aussi cette façon) – dans le rôle de la mère de Julien

(parfaite) – revoir les actrices/acteurs et les identifier – se souvenir – dans celui du père à Julien

(tellement bien – et dans sa voix off dans le supermarché et dans son dernier plan…) – puis Caroline jouée par la chanteuse aussi

et enfin Julien

(par le fils petit presque d’une amie) (très bien ensemble, tous les deux) et puis tout le personnel

ah non, une fois encore le titre (carton rose)

voilà pour les acteurs/trices (l’ordre m’importe cependant) (les minuscules et les majuscules aussi) (six femmes, quatre hommes) – puis ici les techicien.nes (deux assistantes réal quand même – deux assistant.es caméra aussi) (non, mais ça en dit un peu sur le budget c’est tout)

continuons (dix femmes sept hommes) (production et post-production)

(10/12) pardon une équipe de préparation aussi (2/7) (total : 28/32) – puis les moyens techniques via les fournisseurs

(générique graphisme dû donc à la réalisatrice) et cetera

et donc les quatre chansons (outre la musique plus ou moins additionnelle) qui, si on récapitule sont des interprétations du boys-band; de Ménélik (bonjour le sexisme mais osef : c’est du rap…); de Francis Cabrel (comment te dire…) ; et enfin de Larusso (elle la chante un peu plus hystérique, faut reconnaître, que la Caroline ici) – remerciements un (un certain nombre de prénoms seulement : iels se reconnaîtront – je souligne le « ma famille » qui ne lâche jamais l’affaire)

remerciements deux (les lieux de tournages – l’hyper U de Douvres-la-Délivrande; la piscine de la presqu’île de Lillebonne, entre autres)

et encore (enfin) récap

et encore le carton financeurs quand même si jamais on n’a pas encore percuté (le visa, l’isan, le copyright : les droits)

 

 

Partir un jour, un film (court mais vraiment bien) d’Amélie Bonnin

Weldi

 

 

 

 

 

tu regarderas : les filles les femmes ne portent pas tellement de foulards – osef tu me diras, mais quand même, il y a quelque chose (ce quelque chose, si tu veux, c’est que ce sont juste des gens exactement pareils à nous, nos égaux, nos semblables) – il y a pas mal d’incises qui ont trait au travail, ordinaire – le héros Riadh (Mohamed Dhrif, parfait) est un type d’une soixantaine d’années qui va prendre sa retraite – il travaille sur le port de Tunis

(donc c’est plutôt à la Goulette – au fond,  le mont Boukornine)

je ne sais pas trop où il habite

il bosse, fait des courses, son fils Sami (Zakaria Ben Ayed, intérieur et secret) doit passer son bac, sa femme Nazli (Mouna Mejri, extra) bosse, mais ailleurs (elle enseigne, elle s’absente – elle fait à manger)

une famille – plus ou moins heureuse, mais plutôt plus – plus ou moins moyenne, ordinaire, on pourrait dire peut-être normale… Il a une amie

(sympathique Imen Chérif) ils parlent de tout et de rien comme des amis

– le travail, la famille – justement Sami a des maux de tête – graves – on cherche

on ne trouve rien et Sami suit ses cours

mais ne parle pas

parfois, pourtant, avec des amis il sort danse chante

mais rit à peine – et puis c’est la retraite pour Riadh – et puis un soir

c’est sans doute la veille des épreuves du bac, un soir Sami

disparaît : son père le cherche

on ne l’a vu nulle part – il a disparu – on ne dit rien, il a disparu – mais on comprend, on le recherche on sait qu’il n’est pas mort

que sait-on ? Rien, dit Riadh à sa femme, je t’expliquerai…
On nous expliquera, Sami a disparu, il est à la guerre, il a peut-être choisi il est parti, on ne le verra plus – un drame, Nazli n’en peut plus, son mari veut aller chercher leur enfant

et s’il meurt en Turquie ? Elle n’en peut plus, mais il s’en va

– il reviendra –

il appelle Nazli mais il ne trouve pas, personne

dit-il à son logeur, il ne trouvera rien sinon un rêve

personne (plus tard, sur internet, une image de lui, embarbé, une femme à ses côtés, voilée, et un enfant : des regards face caméra, le voilà, c’est lui Sami, il s’approche internet est coupé – c’est tout) on se souvient un peu de la chemise qu’il portait

on se souvient un peu de l’histoire de la guenon qui, enlevant une mèche de cheveux, enlève les migraines (c’est quelque part, dans le sud – c’est sur internet, on enverra le lien…) –   on riait on s’embrassait on s’aimait

adieu Sami

 

Weldi (Mon cher enfant) un film tuniso-belge de Mohammed Ben Attia (un peu de production des frères Dardenne)

Histoire de la poêle

Il y a quelques semaines (on ne portait pas encore les masques partout et tout le temps), au coin de ma rue et du boulevard, une dame âgée m’a abordée. Elle tenait à la main une poêle et, sans autre entrée en matière, elle m’a dit : « Vous voulez cette poêle ? Je vous la donne. »
La dame était accompagnée d’un homme qui est resté un peu en retrait et n’est pas intervenu.
J’ai regardé la poêle, c’était une belle poêle, de grand format, en matériau anti-adhésif. J’ai dit : « Euh, je ne sais pas… » La dame a insisté : « Prenez-la, je vous la donne. »
J’ai pris la poêle, j’ai dit merci. J’allais faire des courses ; j’ai mis la poêle dans mon chariot. Rentrée chez moi, j’ai sorti la poêle. Elle avait l’air neuve, d’ailleurs elle était encore dans son emballage, un de ceux qui ne couvrent pas entièrement l’objet qu’ils entourent. Mais je n’ai pas pu me résoudre à m’en servir ; je ne sais pas pourquoi, elle me mettait mal à l’aise. Je l’ai laissée là, dans la cuisine, je la regardais de temps en temps. Au bout de quelques jours j’ai décidé qu’elle ne pouvait pas rester là et je l’ai descendue dans le local des poubelles. Peut-être que quelqu’un d’autre l’a récupérée et adoptée.
Je soussignée, etc. certifie qu’il s’agit d’une histoire vraie.

#11 bis – résister encore ( plats ronds)

 

 

 

j’ai vaguement le sentiment qu’on veut nous rejouer la même partition – nous faire peur, et encore – afin de ne pas nous laisser libre du peu qu’il nous reste – des masques, des gels, des regards effrayés, soucieux – le monde deviendrait-il semblable à ce qu’en prédisait Stephen King dans son  22 11 63 – après la guerre atomique, on a muté, on n’a plus d’appareil respiratoire – quelque chose de ce genre – on aime avoir peur aussi, mais vu l’épaisseur de la connerie ambiante (ne citons pas leurs noms mais les chefs d’état, non, vraiment…) on serait bien fondé à croire que ça pourrait tout aussi bien se déclencher demain à Hong-Kong, en Corée en mer de Chine, à Chypre, en Pologne ou en Hongrie, n’importe où en Afrique ou ailleurs, finalement – on est peu de choses – pendant ces jours là, les plats ronds

ici du pain perdu – cette plaie de savoir que près de trois milliards d’humains, sur cette terre ne mange pas à sa faim – l’eau manque à un milliards des nôtres – on a laissé les épiceries ouvertes, on a récupéré le pain en trop, un peu d’œuf un peu de lait du sucre –

une quiche lorraine – ces images de plats, de chats, de soi : quels enseignements ?

pas si ronde que ça, la pizza – le froid parfois, puis le temps si clément – les peurs, les joies les rires les mots, le téléphone messenger et autres joyeusetés de zooms – quelque chose de tellement moderne – on n’était pas là, on était ailleurs, on parlait on se voyait – on en avait marre on pleurait – la rage au cœur de la fin mars

ça n’avait pas vocation à publication (ici jambon poireaux la quiche) (pas la lorraine) (on remarque peut-être la cafetière et les chaussons charentais de l’officiant en bas du cadre dans les bleus) il fallait bien vivre – les vieux mourraient seuls sans amis sans parents – seuls pour protéger nos propres angoisses – les gens applaudissaient à huit heures, le premier mercredi, on avait demandé aux croyants de prier – vers sept heures et demi – aujourd’hui

tu sais quoi, (laitue/betteraves/pommes) en ville j’aimais à photographier le pékin, à présent il s’avance masqué, je ne le regarde plus je ne les regarde pas, je transpire je fais attention, je ne respire que chichement – je regarde mes contemporains – il ne fait pas beau

(papardelle/poireaux/crème/andouille) je me souviens et j’entends « signaux faibles » dans le poste, les mêmes et on recommence en pire – on achètera le silence mais on ne fera rien pour l’institution de l’hôpital, rien pour rendre son humanité à cette santé qui a son ministère – la honte qui atteint nos âmes, vivants certes, mais à quel prix ? – les blouses blanches, les morts dans la rue, les prises genoux sur le cou pour faire taire, empêcher de respirer, les manifestations nassées, réprimées, les gens éborgnés, maltraités violentés gazés – les mensonges éhontés sur les stocks de masques, sur les tests sur les trains qui convoient dix malades – ces images percluses de fausseté – et puis le silence, les ciels clairs

(lentilles corail/riz basmati/ail oignons) vivre se nourrir penser aux autres – le poids de la maladie qui alourdit les bronches, celui de la peur qui essaime en nous tandis que le minus se pavane chez le professeur-miracle de Marseille – il y avait le matin le roman de L’AiR Nu à réaliser, les travaux, ranger, nettoyer penser rire se prendre dans les bras parler aux autres lire écouter – désormais, comme tu sais, nous sommes les vieux – nous sommes les parents – un printemps magnifique en soleil et tendresse colorée –

(lentilles vertes/lards/basilic) (sans point) des plats ronds dont on échangeait avec les autres les images – pas mal, hum ça a l’air bon – bon appétit – tout était parfaitement réglé comme avant, avec nos A2D, nos promenades, nos masques – des « signaux faibles » qui se font jour, on repère des « clusters » on invective « barrières » on demande des comptes – le chant des oiseaux, plus un seul avion à réaction plus un seul panache blanc qui salit l’horizon et le climat – l’idiot qui parle, les médecins qui commandent, les flics qui tabassent – résister, oui, anniversaire, penser aux autres, nos amis disparus, nos parents arrachés à notre affection –

quand on s’est retrouvés (sablés nature), on s’est embrassés, on s’est dit à nouveau qu’on s’aimait, qu’on était là, bien là, oui, on a survécu, on s’est tenu on s’est parlé, on est là – vous êtes là ? dans cette maison, oui, des plats ronds

seulement pour vivre (tarte aux pommes/confitures de cerises) sans intention particulière

pour les amis lors du premier wtf déconfinement – cent kilomètres – des artichauts à la barigoule – sans intention particulière, non, simplement pour vivre et se savoir vivant

et continuer sans laisser le vide nous envahir (ici des pommes de terre nouvelles, là des radis roses et ronds)

et cette dernière pour finir, italienne un peu, déjà posée, pour ne pas oublier

#7 Résister

c’est sans raison que l’agent est intervenu ces temps-ci (sauf que, longtemps, j’ai pratiqué un métier où ce terme était employé dans un sens particulier) mais puisqu’il est là (c’est  un homme, probablement blanc, qui travaille dans le Val-d’Oise si j’ai bien suivi) (encore que la notion de territoire ou de lieu-dit me soit devenu quelque chose d’un peu suranné ces temps-ci, il me semble – perte de repères, de traces marquées sur le sol – on en collait au gaffeur pour indiquer aux acteurs les endroits où ils avaient à stationner) (les acteurs dans mon métier d’alors – ça l’est toujours, mais je ne pratique plus depuis un moment – sont en quelque sorte aussi des agents) (dans toutes les corporations on trouvera un vocabulaire adapté aux situations diverses qu’on sera susceptible de rencontrer dans l’exercice de cette profession – il est important, pour la mienne, de bien définir ce lexique) – enfin passons et donc puisqu’il est là… il (comme moi, et comme vous, j’espère) résiste.

 

 

Pour la maison(s)témoin du 6 mai

se retourner et regarder le passé : essayer d’en découdre avec lui – la liste des événements – remplir ses feuilles de présence – l’agent est debout devant la fenêtre de la cuisine, elle donne sur une petite cour bétonnée sur laquelle reste quelque détritus, un pot de peinture pratiquement vide et mal fermé, des restes de bouts de quelque chose : à noter : débarrasser – il se retourne va vers la baie du salon, le petit jardin à l’herbe jaunie, au fond de la perspective le faux rond-point qui ne sert à rien – depuis qu’il a connaissance de l’arrêt de la désconification ((c) françois bon) (elle aura lieu dans cinq jours d’ici) l’agent a moins de souci (encore que dans ce coin retiré de la lointaine banlieue, les choses n’aillent pas spécialement bien) – il a téléphoné à ses parents : ils sont en Creuse, ils ne risquent rien de plus qu’avant, rien de moins : ils vivent dans une vieille ferme qui leur vient de la famille de sa mère, tout (ou à peu près tout) le confort – pas de home-cinéma mais on ne peut pas non plus tout avoir et d’ailleurs, ils ne sauraient pas s’en servir (l’agent serait étonné de savoir les pratiques des deux vieillards – quatre-vingt et quatre-vingt-deux piges – mais passons) – l’agent a appelé son ex, a laissé des messages pour les enfants (ils étaient devant leur télé à regarder quelque chose, il n’a pas voulu les déranger – ils les appellent deux fois par semaine depuis le début de cet épisode) – leur mère a décidé de ne pas les envoyer en classe, l’agent ne dit rien – dehors, il n’y a personne – ce n’est qu’un épisode en effet – on a disposé sur les divers territoires des couleurs propres à leur laisser la liberté d’aller et venir, selon les bons vouloir des divers chefs d’entreprise de la région (le truc revient au préfet lequel n’est que le bras administratif des premiers, il y a beau temps que le pli est pris en école de commerce ou nationale d’administration) – quoi de plus normal d’ailleurs ? l’agent ne fait pas la grimace : devant l’entrée matérialisée par deux piliers en faux béton surmontés de ce qu’on voudra (un aigle ; un lion assis ; autre chose ? oui, certes, sans problème mais avec supplément) stationne la voiture pourpre de la concession : l’agent n’attend personne, les rendez-vous se sont espacés et n’ont plus lieu d’être maintenant – l’agent sifflote, il se peut qu’il opte pour le chômage technique – l’État a prolongé les aides aux entreprises et leur a imposé un gel des dividendes versés aux actionnaires – certaines n’en ont rien à foutre : par exemple, l’une d’entre elles qui gère (le mot est joli) des « établissements hospitaliers pour adultes dépendants » n’en a pas tenu compte – les experts en virtualités n’ont jamais fait autant de bénéfices que ces temps-ci : l’un d’entre eux, qui fabrique des auto électriques pourries d’algorithmes immondes (ça tombe bien, il en vend aussi), a qualifié de « fasciste » le fait de ne pas le laisser rouvrir ses usines, ainsi qu’ à Bergame le firent ceux de son bord au début de l’épisode (ils vendaient des armes et les morts se sont comptés par centaines, mais qui en aurait quelque chose à foutre ? il s’agissait de prolos) – non, l’agent n’est pas en colère, l’agent prend sur lui, il porte son costume brouillé, à sa poche-poitrine (fausse) se trouve un liseré blanc imité d’une pochette, ses chaussures sont à la mode assez pointues, sa barbe est tous les jours de trois jours, l’agent attend que le temps passe – il sifflote « Girl from Ipanema »

 

Il n’y a guère d’identification avec l’agent, bien que comme lui je me trouve dans une maison que je n’habite pas généralement (il y a quelque temps que pour moi cette généralité n’en est plus une) – il y a certains moments où j’aimerais pourtant m’y trouver pour toujours (mais se trouver pour toujours quelque part, ça a aussi quelque chose d’assez définitif : il n’y a probablement (mais qui peut savoir ?) qu’un seul lieu de ce genre pour chacun – la période, l’épisode, le moment : propices à ce genre de réflexion – alors je m’assois un peu, je lis quelques pages de la biographie d’Isidore Ducasse (entre Montevideo et Tarbes) (j’aimerais un jour voir l’embouchure du Rio de la Plata – en vérité je m’en fous (j’aime tant celle du Tage

l’estuaire du Tage, rive droite, et mon double en pêcheur

) mais ici Buenos Aires, là la capitale de l’Uruguay (cependant outre océan, ça ne m’attire pas – je suis un peu resté à ces choses qui avaient lieu avant, je lis je regarde, je préfère Venise – j’illustre ici parce que je me sens proche de cette rive-là, tout comme lorsque je me suis trouvé à Salonique (Thessalonique)

Thessalonique, à l’est tout à côté du port

–  parfois, c’est la fatigue, et le temps s’en va – on n’a plus envie de donner à voir mais c’est là

non, cette image-là n’est pas de moi (un drone, sûrement…) – je me souviens parfois du potager de San Erasmo, de l’escale qu’organise la compagnie sur la terre ferme : devant le ponton, on trouve des voitures, ce qui ici pourtant est un peu improbable – il y a cet autre arrêt aussi

San Servolo, l’arrêt du vaporetto

San Servolo – j’ai tant aimé la lagune, ses îles et même son lido

Le lido, baignade interdite 

ici pour trouver du campari et faire son apéritif c’est une tuerie – impossible, pratiquement, mais je n’ai pas vraiment cherché (j’en suis resté à la mauresque – celle qu’on servait sous les platanes à l’Île Rousse : on y mettait à peine un peu d’eau, on  renouvelait l’expérience, on avait dix neuf ans, on venait de perdre son père dans des circonstances qu’on n’avait pas comprises – attention à l’alcool ? mais oui, oui, attention…) toujours les îles, la Crète et Ios, Santorin ou Eubée

Eubée, le bac, une estivante

 

– il fait beau encore, il fait beau…

 

 

 

 

Samia et Alda

 

 

 

 

il s’agit d’une rencontre

Samia enceinte (Nisrin Erradi – splendide) frappe à la porte d’Alda

(Lubna Azadal – itou) : c’est non – la porte se referme, Samia seule au monde avec son bientôt nouveau-né

et puis la petite Warda (Douae Belkhaouda)

on voit la magie de l’image (cette chaleur un peu indicible (Virginie Surdej)) une ambiance mais le travail : Alda, veuve, vend du pain ou des gâteaux – boulangère dans la medina de Casablanca – Samia l’aide

les rziza (sucrerie – crêpe – traditionnelle) une espèce d’union, de connivence, l’amour de la vie, sans doute

et puis c’est le monde qui veut ça, ce sont ses lois et ses pesanteurs sans doute, ses obligations et ses tabous

un film d’amour maternel (quand même il serait socialement fondé et construit : celui d’Alda pour sa fille Warda, celui de Samia pour son futur fils, Adam) mais la pesanteur du monde alentour (le mari d’Alda est mort brutalement, on a privé sa femme de l’enterrement parce que c’est la loi – inique, idiote, mais la loi; le père d’Adam s’est évaporé, et c’est Samia qui doit se débarrasser de son fils parce que c’est la loi – imbécile, sauvage et tellement bête mais c’est la loi) – et puis

même si on rit

et qu’on s’amuse

il faudra bien que ça se conclue

Il y a de belles images, de belles musiques, de belles chansons et de très belles amitiés – mais, encore une fois, le monde est tel qu’il est.

 

Adam, un film de Maryam Touzani (2019)

 

 

 

d’un voyage à l’autre #6

 

 

 

je suis en retard – je suis toujours en retard – mais je me tiens au rythme quand même (le billet hebdomadaire) – je suis en retard, c’est parce que je travaille (mais n’en est-ce pas ?) (si) (il y a dans cette maison un lieu où on entasse les cartes postales – bons baisers d’ici ou là – je pense à toi, il fait beau et on mange des glaces – on bronze – ici il neige… – je me souviens, en Italie les timbres-poste pour les cartes ne s’achètent pas au tabac (d’ailleurs, il n’y a pas de tabac) – des images de faux voyages (ou de fausses images de voyage) – des cieux surtout

c’est en Finlande, le soleil de quatorze heures – l’ombre de l’opérateur et de la voyageuse (son pied) – le froid –

quelque part aux États-Unis, il me semble me souvenir (tu sais quoi ? ces voyages, là, ça me prend vers sept heures et demie du matin en semaine – j’écoute un  peu les nouvelles, je regarde un peu le journal, je voyage)

ce peut être l’Ukraine, quelque part à la fin de l’hiver (l’annexion de la Crimée par le tsar du kgb, je préfèrerais qu’on parle d’autre chose – mais non)

des hommes , il fait froid, une pause dans le voyage  – je ne vois pas d’armes, il n’y en a jamais dans les images prises de cette voiture – les lieux sont calmes

ici on est en France, il s’agit du triangle de Gonesse où aurait dû s’installer un centre commercial, mais finalement non, un arbre – un autre

plus quelques autres – c’est la fin de l’hiver, c’est aussi l’Ukraine, à la fin du jour – parfois, le Chili, la Bolivie, l’Irak, l’Egypte, non vraiment c’est difficile de rester au calme, tranquillement – le journal le matin, les vendredis du climat, les samedis des gilets jaunes – le travail, ah oui, le travail

une image prise d’un drone, c’est en Hongrie, la plaine les ciels le bleu – je tiens aussi quelques animaux, ici un chien devant des jantes

(c’est à Iakoutsk, en Sibérie – moins 40 l’hiver, 25 à 30 l’été – au bord de la Léna) là des pigeons devant un vendeur des rues

c’est à Mexico – quelque chose du rêve ? oui sans doute – je continue, mais ce sont des choses trouvées hier du côté de Romny (c’est encore en Ukraine – c’est que ça ne veut pas lâcher – en Chine, des Ouïgours sont internés, massacrés sans doute mais on n’a pas de photo, non) ici un petit bateau

et là, le repas qui chauffe cuit embaume peut-être

comme une phrase qui nous serait dite, je vais remettre des fleurs rouges au début, pour un peu de douceur (elles viennent des États Unis – je vais retourner au travail) (j’ai du retard) (j’ai toujours du retard…) (j’avance quand même)

ah oui, encore deux images : celle-ci qui vient de Porto (je crois que je l’ai volée à Lou Dark)

avec son pont au double tablier au dessus du Douro et cette dernière, la plage d’Hammam Ghézèze (c’est en Tunisie, non loin du cap Bon) – les vieux vont se baigner avant six heures le matin (parfois une femme, habillée passe et elle aussi se baigne) : y entend-on presque le doux ressac et une mouette qui rit…?

 

 

d’un voyage à l’autre #5

 

 

 

ça s’est interrompu – et voilà que ça a repris (S. va beaucoup mieux, crois-je possible de croire) – il y a dans le dossier « image » un peu trop de documents, je m’en vais le vider – d’autant que pour l’Air Nu, je commence une nouvelle rubrique intitulée « Ville et cinéma » qui va me prendre un peu du temps qui me reste – dans les moments de presse, il faudra faire attention et preuve de patience – (un entretien à monter pour la petite fabrique du livre aussi, enfin, il y a des choses sur le feu)

commençons par cet arbre abattu, une série en cours qui a pour nom « souche Corentin » que je croise en allant travailler – c’est une image du robot – mais elle ne correspond pas aux voyages d’Olivier Hodasava – je la pose ici à titre de marqueur : le monde va son chemin (à Rouen, à Pantin dans l’école Méhul ce samedi 21septembre, à Washington où on espère que la loi va foutre dehors ce menteur truqueur voleur raciste homophobe et j’en passe à la tête de l’État, à Londres où cet autre du même acabit fait semblant de croire qu’il va tenir ses fausses promesses…)

(on ne la présente pas mais elle fut grugée) – continuons voulez-vous continuons

c’est sûrement l’été mais c’est une station de sports d’hiver – on nage – on se protège du soleil – on nous informe que le niveau des eaux monte, que la civilisation actuelle (kézako ?)  va vers sa perte en 2050 (on aime les comptes ronds) mais les affaires continuent (business as usual comme ils aiment à dire)

lui est mort mais pas elle – en Arabie recueillie sur son lit de millions de dollars : charmante – les images ne mentent que parfois et encore : admirable le partage du pied de poule carrés noirs et blancs etc. hein… –

(ce doit être en Irlande je crois bien – le flou a gagné les roses, c’est une horreur mais peu importe : nous en sommes les auteurs) –  il n’y a pas de quoi s’offusquer

on répare (wabi sabi) partout (ici c’est dans le Dakota) c’est dehors, on garde un oeil, on refixe, mourir pourquoi faire ?

on met des gens et ça vous a tout de suite une autre esthétique pas vrai ? (elle, Megan Rapinoe, équipe de football des US qui refuse d’aller saluer le peroxydé machiste et homophobe, elle, je l’aime bien) – une espèce de journal – je fais défiler les images

tu te souviens, le changement de direction au CNC ? concussion, renvoi d’ascenseur, non les affaires continuent – ils ont changé de locaux, sont boulevard Raspail à présent, un certain Boutonnat préside…- rapport de cause à effet, qu’en savoir ? – et tant qu’elles continuent, pourquoi s’en faire ? préparons plutôt l’échéance prochaine –  je dispose aussi d’images de cinéma, je les range dans un coin à part – le truc est encombré, c’est à ne pas croire- faut que je range, mais je suis malade, il est 5h10 et je ne dort plus depuis une heure – je vais fatiguer, mais je travaille, j’y travaille

j’avance je ne sais vers où – ma fièvre monte, mes bronches s’enferrent, je tousse, un thé, un café, quelque chose ?

ça se passe à Dublin, le pont a été baptisé Samuel « bon qu’à ça » Beckett (j’ajoute évidemment des guillemets – une rue, un pont, un édifice à son nom, quelle reconnaissance…) (que de son vivant il ait crevé de faim n’est pas le sujet) (d’ailleurs,il n’y a pas de sujet)

(en dédicace spéciale à  Elisabeth Legros-Chapuis – la photo est d’elle je pense) (moi je serai plutôt celui qui nage, là, bord cadre en bas à gauche) (j’aime nager)

un type attend (c’est en Angleterre, Manchester quelque chose)

ici (Charleroi, en haut : la Sambre) du linge sèche,voitures indifférentes, trains bientôt dans son fracas

quelques fleurs rouges (de Waterloo, Iowa) pour saluer Sharon Tate (on a vu le film de Tarentino – performance d’acteurs, certes, mais misogynie assez grave j’ai trouvé)

pour finir, Fatoumata Diawara aux Vieilles Charrues avec Mathieu Chédid (parce que le monde recèle des merveilles – quand même)

sur l’écran

Sur l’écran la pianiste s’agite, mais le son est coupé.
C’est une allégorie. Elle s’agite en silence pour dire toutes les femmes effacées, inconnues, oubliées.
« J’ai un mauvais pressentiment mais qu’importe » dit le héros sur une autre chaîne.
« Fais ce que tu as à faire quoi qu’il advienne », lui conseille-t-on.
_ Je ne te promets rien. » répond-t-il.
Moi non plus j’ajoute à voix basse (et donc pour moi-même). Le héros frappe à une porte. Il est question de sorcières, comme d’habitude. Les femmes effacées, inconnues, oubliées, nocives, ça fait très longtemps que ça dure, que ça se propage dans les esprits, les fictions et les réalités en rendent compte chacune nourrissant l’autre et l’inverse.
« Crache le morceau! » dit le héros.
Très bien.
Ma question est – que cette maison[s]témoin soit le témoin de ce questionnement – en a-t-il toujours été ainsi ? Pendant les deux cent-cinquante mille ans où nous étions chasseurs-cueilleurs (deux cent-cinquante millénaires, c’est-à-dire peu ou prou une durée d’environ cent vingt-cinq civilisations cul à cul), pendant ce temps où nous étions tapis autour des foyers, réunis, effrayés par les prédateurs, effrayants pour nos proies, en a-t-il toujours été ainsi ? Et les vénus callipyges ? Quelles mémoires racontent-elles silencieusement ?
Il y a plusieurs niveaux de connaissance, plusieurs niveaux au sens propre : dans la cave d’une maison témoin, les fossiles et les questionnements ; au rez-de-chaussée salon salle à manger cuisine, le théâtre, l’agent immobilier qui organise la visite (c’est un homme, ou bien c’est une femme avec le lexique et les automatismes d’un homme) pour les clients, un couple (sans doute qu’elle demande où pourra se brancher la machine à laver) ; à l’étage, la salle de bain aux miroirs kaléidoscopiques qui nous traquent, nous définissent ou que nous nous évertuons à tromper, rigoureusement peints à la main quand nous en avons l’énergie et/ou l’occasion, et puis les chambres où s’agitent des rêves. Et passent des allégories de pianistes travaillant leur instrument en robe de soirée sans que personne n’entende.