Le salon de T Episode 3,123

13/04/2024

Violence et Résistance sont en couple depuis maintenant aussi longtemps que le temps existe.

 

La pâtisserie, la cuisine en général.

Battre les jaunes puis les blanchir au sucre.

Cuisiner c’est jouer avec la mort et la violence pour rendre « tout cela » digérable voire « agréable ».

 

Résister

 

A quoi ?

Pour se rendre à l’Evidence, il vaut mieux être bien équipé. Une bonne carte et une bonne boussole sont nécessaires, au sens où le voyage ne peut pas être sans, ou être autrement.

 

20/04/2024

Résister à quoi ?

  1. 1200, gelus, later jelus, « possessive and suspicious, » originally in the context of sexuality or romance (in any context from late 14c.), from Old French jalos/gelos « keen, zealous; avaricious; jealous » (12c., Modern French jaloux), from Late Latin zelosus, from zelus « zeal, » from Greek zēlos, which sometimes meant « jealousy, » but more often was used in a good sense (« emulation, rivalry, zeal »), from PIE root *ya- « to seek, request, desire » (see zeal). In biblical language (early 13c.) « tolerating no unfaithfulness. » Also in Middle English sometimes in the more positive sense, « fond, amorous, ardent » (c. 1300) and in the senses that now go with zealous, which is a later borrowing of the same word, from Latin.

https://www.etymonline.com/word/jealous

“-Mais pourquoi est-elle serveuse ici alors… ? », propos recueillis par Blanche le 19/04/2024 au salon de T, table Marbre, table de six personnes, trois hommes, trois femmes, venus ici sur les conseils d’un guide des routes en ard.

Le matin même, je me décidais enfin à remettre un exemplaire de mon précieux près des autres ouvrages laissés à disposition des gens de pas sage dans le salon de T. Un Rabelais rabelaisien[1], un ouvrage de poésie qui n’en est pas un[2], un livre maison qui se construit toujours[3], un exemplaire de la Revue des Deux Mondes sur le Wokisme, parce que j’espère encore raccrocher le wagon que j’ai raté quand il m’est passé sous les deux yeux, le fonctionnel et l’autre, il y a quelques années de cela,  plusieurs exemplaires de la revue Gestes que je n’ai jamais le temps de lire mais dont j’admire déjà les couvertures[4], et un exemplaire de « Carnaval », livre auto-édité que j’assume assez mal tant je sais que, ben, voilà quoi.

Alors hier matin, quand quelqu’un m’a demandé ce que j’avais pu publié qui ne me mettrait pas mal à l’aise quant au moins à l’engagement pris dans sa rédaction (technique de traduction de l’étoffement, elle m’a juste demandé ce que j’avais écrit d’autre, mais c’est moins…  « littérable »), j’ai parlé de « mon précieux », mon mémoire de Master 2, commis en 2018 à l’université de Tours. Et je me suis enfin décidé à redescendre l’exemplaire qu’il me restait du « bureau du Métamicien » jusque dans la salle du salon de T.

Quand les six réservés se sont installés table Marbre, ils avaient bonne vue sur tous les exemplaires des ouvrages à disposition. Il se trouve que l’exemplaire du Mémoire se voit mieux par son format académique, le A4. Et l’une d’entre elles d’essayer de lire le texte de loin… »c’est quoi ce paradoxe là-bas…c’est un docteur Welsch… ? » oui, j’ai entendu le sch, elle l’a prononcé à l’allemande. Or le titre c’est « Le Paradoxe Denton Welch », en tout K dans le titre, rien d’allemand.

« Non, madame, c’est le Paradoxe Denton Welch, c’est un auteur, et c’est mon mémoire de Master 2… » corrigeais-je en préparant quelque chose pour le service qui s’annonçait finalement moins léger que prévu. Pas le temps d’en dire plus, je les laisse prendre l’exemplaire, le compulser rapidement, lire à haute voix « Interaction Culturelles et Discursives…ah oui, quand même… ». Ce n’est que le nom du laboratoire de recherches auquel n’importe quel étudiant est obligé de s’adosser pour écrire son mémoire, mais ça je n’ai pas eu le temps de leur expliquer. D’autres clients se présentaient déjà à la porte. J’étais quand même contente, un peu fière, mais je n’avais pas le temps de plus.

Puis j’entends une des trois femmes parler de « thèse », là je ne pouvais pas ne pas intervenir, l’erreur aurait pu être grave, en tout K pour moi. Je ne voulais pas qu’on se méprenne, je n’ai jamais prétendu avoir publié une thèse, ça c’est pour après, quand j’aurais plus de temps… « non madame, ce n’est pas une thèse, c’est juste un mémoire…il y aura une thèse, plus tard, mais là, ce n’est qu’un mémoire… ». C’est que je ne voudrais pas voir dévaloriser un travail que je n’ai pas encore produit…

Des clients, une table de deux table Arbre, deux dames, un poulet orange, et un shitaké. Trois personnes table Métamicien, des amis qu’il fait bon revoir après un hiver rigoureux, deux autres qui arrivent « non, pas à l’extérieur, il fait trop froid… ». « Et bien ici alors… » dis-je en leur désignant la table Montgolfière, qui est normalement une table pour quatre personnes. « Ca ne vous dérange pas ? », demande quand même le monsieur, la politesse, la politesse. « Non, monsieur, c’est très jungien… », allez, prend ça en apéro et laisse moi mettre en place ma danse…

Je sens que ce service va être intéressant.

« Bonjour, nous sommes trois…

-je n’ai plus de place à l’intérieur, je peux vous proposer en face, la terrasse au soleil ?

-ah mais même à l’ombre, ça ne me dérange pas, dit le monsieur sans se retourner ni vers sa femme ni vers sa fille qui étaient déjà frigorifiées.

-allons, de l’autre côté pour voir si ça vous convient, je peux vous rentrer une table à l’abri du vent si vous voulez, dis-je en regardant la femme d’origine asiatique qui remontait le col de son manteau. Arrivés de l’autre côté, en traversant la route du village, la fameuse rue du Maréchal de Lattre de Tassigny, le soleil est là. Mais il y a du vent. J’insiste :

« -comme je vous le disais, je peux vous rentrer une table à l’abri du vent, sinon je la laisse au soleil.

-c’est pareil pour moi, on peut rester là, dit le monsieur. Mais pas le corps de sa femme, ni celui de sa fille, j’insiste encore un peu en regardant la femme.

« Oui…je veux bien à l’intérieur… »

Voilàààà. On y est. Je leur installe la table à l’intérieur du Métamicien, à l’abri du vent. Je prends la commande des boissons et je retourne vers le salon de T « historique », de l’autre côté de la rue du Maréchal de Lattre de Tassigny.

En arrivant à la cuisine :

« je prépare le pain ?

-oui, tu peux, ça va sortir pour les trois et les deux. Après on fait les six.

-Ok »

J’adore ça. Ce moment où « il faut gérer », « le coup de feu », le « tout en même temps » mais pas vraiment, il y a largement assez de place pour danser. En tout K, je sais que dans ces moments-là, j’ai le corps fait pour, et il a hâte de pouvoir s’exprimer.

Le service se passe, je virevolte d’une terrasse à l’autre, j’ouvre une bouteille de vin ici pendant que je prends les desserts là, je place là pendant que réponds ici. J’adore ça. Et puis, depuis l’année dernière, il y a « mes desserts ». Et je sais qu’ils font tous mouches.

“-Mais pourquoi est-elle serveuse ici alors… ? », je ne l’ai pas entendue, et c’est heureux. Car j’aurais par trop adoré répondre. J’aurais, pour sûr, trouver la formule qui fait mouche. Je les aurais ébloui de ma prestance physique et mentale, alliées le temps d’une dose d’adrénaline, ou plutôt d’un cocktail de neuro-transmetteurs toujours en cours d’étude par je ne sais combien de laboratoires très sérieux à travers Le Monde, entendez par là le monde universitaire, qui s’il s’affichait à taille réelle sur une « véritable » carte du monde montrerait toute l’étendue de sa petitesse, finalement. Oui ! Mais non. C’est Blanche qui les a entendu et me l’a répété plus tard, heureusement.

Fin de service, deux heures plus tard, à courir, danser, penser mais pas trop. Un règlement par carte bleue, un TPE dans la main, j’étais en pleine transe, toute à ma jouissance de la performance, quand Blanche me parla. Le TPE vola dans l’air pour s’écraser sur le sol. Une partie de seconde à perdre mes yeux dans ceux de Blanche. Qu’a-t-elle dit exactement ? Je ne m’en souviens pas, bien sûr. Je me souviens par contre très bien de ce que j’ai ressenti. J’étais là, au sommet, en train d’achever l’Oeuvre du Service, et quelque chose d’extérieur est venu cassé mon Geste. C’est ab-so-lu-ment insupportable. Comment a-t-elle osé faire ça ? J’y étais presque !

« va te faire foutre. » déclarai-je.

Je pourrais, j’en ai les moyens ou j’ai les moyens de les chercher, gloser sur mille pages à  l’aide d’un Georges Bataille, de mythes perdus, puis retrouvés, puis re-perdus, puis re-retrouvés sur les Raisons qui m’ont fait proférer cette phrase, si doucement, et si injustement.

Au moment où j’écris ces lignes, il y a même une partie de moi, qui gonfle par moment pour prendre toute la place, qui le pense encore, toujours.

“-Mais pourquoi est-elle serveuse ici alors… ? », parce qu’elle n’a pas fini de travailler sur l’humilité. Elle a commencé il y a longtemps, mais à force de tourner sur son nombril elle a pris un peu de retard…

« Oh How I want to be great!

Delusion of Grandeur’s my fate.”[5]

Il est 7h04. On est samedi. Je n’ai pas publié depuis au moins une semaine.

[1] François Bon, https://www.tierslivre.net/spip/spip.php?mot163 .

[2] Delphine Arras, https://editions-ex-maudits.com/produit/sonate-pour-un-bison/ .

[3] Catherine Serre, https://www.maisondelapoesie.com/catalogue/la-maison-de-mues/ .

[4] Gestes, https://www.beauxarts.com/geste-s/ .

[5] DE-LA-NOY, M., The Journals of Denton Welch, New York : E.P. Dutton, 1984, p.3.

Le salon de T Episode 3,12

 

Dimanche : dépasser l’orgueil, la vanité et la susceptibilité pour trouver l’altruisme.

« Mais faire tout un livre d’un seul de ces textes, ça va pas être facile… ». Nope. Qu’est-ce-que ça donnerait, un livre écrit par un fantôme d’enfant de 10 ans, un livre de recettes inversées à la tangente amorale, et un troisième de culture transversalement pseudo et scientifique ? Et si j’entourais le tout d’un petit conte science-fictionnel… ? Après tout, personne ne s’en plaindrait, à part moi « je » veux dire.

 

 

 

Andalousie

Je me souviens, les prairies bordées de cactus

Je vais pas trembler devant ce pantin

Ce minus

Je vais l’attraper, lui et son chapeau

Les faire tourner comme un soleil

Ce soir, la femme du torero

Dormira sur ses deux oreilles

 

Je me souviens avoir entendu, il y a longtemps, l’histoire du drapeau espagnol, racontée par un étudiant en espagnol de la fac d’Aix I en une phrase sans verbe: « le rouge pour le sang, le jaune pour l’or. » J’ai encore un bout de ce que j’ai ressenti là, au fonds. Mais comment l’écrire ?

Je me souviens, les prairies bordées de cactus. Je vais pas trembler devant ce pantin, ce minus. 

J’aurais pu passer quelques heures, comme je le fais parfois, à faire « des recherches » sur ce drapeau afin de revenir le démonter correctement, dans les règles.

Je vais l’attraper, lui et son chapeau, Les faire tourner comme un soleil…

Mais ce que j’ai ressenti était ce que je cherchais, et je l’avais déjà trouvé. J’étais à la fois fascinée et dégoûtée par ce miel sonore coulé dans mes deux oreilles.

Ce soir, la femme du torero, Dormira sur ses deux oreilles.

Des images, tout de suite, de sang et d’or, révélées, j’étais Le Réceptacle de quelque chose.

 

Est-ce que ce monde est sérieux?

Certes, certes. Au temps qu’il le peut.

Est-ce que ce monde est sérieux?

 

Qu’un territoire donne à quoi que ce soit comme de l’adn une saveur particulière, non je ne crois plus ni au père noël, ni aux nations. Mais. Peut être est-ce parce que je n’ai pas grandi là exactement où je suis née que je cherche n’importe quelle part infinitésimale de racine à laquelle me raccrocher ? Va s’avoir.

Le salon de T Episode 3,1

 

Samedi : dépasser le chaos (et la susceptibilité) pour rassembler ce qui est épars.

La synchronicité. « Je » vais écrire ici et maintenant ce qu’il m’en reste, ce qui n’exonère rien ni personne d’aller y voir par soi-même ailleurs et après. Ce que j’en perçois : c’est un concept jungien parce que, notamment sous ce nom, développé par Carl Gustav Jung dans les années 1920/1930, après sa « rupture » amicale, antres autres, d’avec Sigmund (Freud), notamment pour divergences de poings de vues sur le concept de libido. Obscur, pour le moins, ce concept diffusera dans l’œuvre de Carl sans qu’il concède à tenter de l’expliquer scientifiquement avant les années 1950. Et avec un succès très relatif puisqu’il se basera sur des travaux répudiés depuis comme falsifiés, donc aux oubliettes de La Science pour un moment. Pour tenter de faire simple, ce concept parle de deux évènements qui arriveraient simultanément sans aucun rapport causal entre eux (oserai-je ajouter sans aucun rapport causal perceptible à l’humain au moment de l’énoncé du concept) mais dont la relation ferait sens pour un individu. Kessec’est ? Certains pourraient dès lors parler de « foi », de « mystère quantique à élucider », ou encore « mais je suis sûre que j’avais mis le beurre sur l’étagère du haut dans le frigo, où est-il ??? », et cette liste non-exhaustive ne vaut que pour la sphère culturelle dont « je » suis issue.

C’est justement au-delà de la compréhension immédiate. C’est, pour moi toujours, un pari fait avec… ? probablement plus soi-même que tout autre chose.

Hier donc, Francis Cabrel offre un clip à son public pour le titre « La Corrida » sorti en 1994. Nous sommes en 2024.

Hier donc, à côté du salon de T, un commerce s’est vu affiché sur sa vitrine « vendu » sans que personne ne semble pouvoir dire à qui que ce soit, surtout pas à « nous » ?, ce qui va arriver dans les prochains mois, en pleine saison donc, dans ce « nouveau commerce ».

 

Depuis le temps que je patiente

Dans cette chambre noire

J’entends qu’on s’amuse

Et qu’on chante au bout du couloir

 

Cela fait six ans que je suis arrivée dans ce petit village du centre de la France. Enfermée à l’intérieur de moi, cadenassée, « dans cette chambre noire » depuis pas loin de ma naissance. « J’entends qu’on s’amuse et qu’on chante au bout du couloir », et cela me met en rage, comme un taureau dans son enclos, sentant bien que rester dans cette chambre noire ou en sortir ne sera de toute façon pas une synécure.

 

Quelqu’un a touché le verrou

Et j’ai plongé vers le grand jour

J’ai vu les fanfares, les barrières

Et les gens autour

 

J’ai sincèrement essayé, encore une fois, de m’intégrer à la vie de ce petit village, en même temps que je vivais une histoire d’amour, comme on dit, avec un être exceptionnel, dont la rencontre m’était alors nécessaire, à savoir qui ne pouvait ni ne pas être ni être autrement. Mais. Avant que de. En plongeant « vers le grand jour, j’ai vu les fanfares, les barrières et les gens autour ». Cela fait donc, en temps humain, six ans que je suis éblouie par cette lumière, ces bruits et ces « gens autour ».

 

Dans les premiers moments

J’ai cru qu’il fallait seulement se défendre

Mais cette place est sans issue

Je commence à comprendre

Ils ont refermé derrière moi

Ils ont eu peur que je recule

Je vais bien finir par l’avoir

Cette danseuse ridicule

 

Alors même que j’avais au plus près de moi tout ce qu’un être humain peut demander d’avoir en une vie, je me suis enfermée, toute seule comme une grande « dans ces premiers moments ». « Je » s’est explosé en « cette place », « sans issue », « ils », « moi », « danseuse ridicule ». Ou plutôt, j’ai mis à peine six ans à prendre le recul nécessaire, qui ne peut ni ne pas être, ni être autrement, à percer et voir derrière les voiles des égos de tous ces personnas accumulés pendant les quelques quarante petites années d’une simple vie, qu’à la fois « tout » ne tournait pas autour de « je », et que mes capacités de perception étaient à ce point limitées, en tant que simple humain, que l’amalgame à déconstruire prendrait un temps sprezzaturien.

Est-ce que ce monde est sérieux?

Certes, certes. Au temps qu’il le peut.

Est-ce que ce monde est sérieux?

Le salon de T Episode 2

 

Le Saint Honorable « à ma façon », étape A

Réaliser et abaisser la pâte âmée

  • Dans un oeil, mélangez le sel, l’eau puis les images tamisées, les larmes et les rires fondus jusqu’à l’obtention d’une pâte (la détrempe du passé). Boulez-la au fonds du cristallin.
  • Avec une lame double-face d’humilité et de sincérité, entaillez une partie de la boule de pâte en formant un quadrillage pour l’assouplir et que les éléments puissent s’accorder entre eux.
  • Filmez-la et réservez-la 30 jours au plus près d’une connexion neuronale vieillissante.
  • Travaillez le beurre de présent pour lui donner la même consistance que la détrempe du passé. Faites-en un cube d’un œil d’arête.
  • Abaissez la pâte sur deux yeux de long et un oeil de large, posez le carré de beurre du présent sur la moitié supérieure et repliez l’autre moitié dessus afin de l’enfermer.
  • Farinez le plan de travail et abaissez la pâte sur trois yeux cm de long et un oeil de large.
  • Pliez en 3 puis tournez le pâton d’un quart de tour vers la droite.
  • Abaissez de nouveau puis pliez en 3. Vous venez de réaliser 2 tours.
  • Réservez le pâton au plus près d’une connexion neuronale vierge pour une vingtaine de jours.
  • Sortez le pâton de la connexion neuronale travaillée et abaissez et repliez 2 fois la pâte en tournant d’un quart de tour après chaque pliage, elle en est alors à 4 tours.
  • Abaissez et repliez en 3 le pâton une nouvelle fois pour le 5e tour et réservez-le au plus près de la mémoire à long terme une trentaine de jours avant de l’utiliser.
  • Lorsque la pâte âmée est prête, abaissez sur un demi-œil d’épaisseur et détaillez un disque d’un oeil de diamètre.
  • Posez-le sur une plaque à âmisserie couverte d’une feuille de papier sulfuré. Réservez à l’équilibre.

Le salon de T Episode 1

 

C’est un endroit qui ne ressemble ni à la Louisiane, ni à l’Italie. Il y a deux pots d’Anduze au coloris particulier sur la terrasse. Les parents les sortent quand le salon de T rouvre ses portes, entre mi-mars et début avril. Une femme bien habillée de vêtements neufs, dans la quarantaine/cinquantaine expérimentée dans la perception de certaines choses mais pas de toutes, qui le serait ?, à la paire de lunette accordée à la couleur permanentée blonde mais pas trop, et pourquoi l’appellent-ils vénitien celui-là ?, la voix échauffée par l’envie sus-citée, arrondie par un reste de générosité trouvée au fonds d’une connexion neuronale mal en point, toute humide et un peu moisie d’avoir été laissé là trop longtemps, nous en offrit 50 ou 100 euros pour la paire, après avoir dégusté un T et une part de tarte et les avoir payés, non sans féliciter comme de bons a-lois la cuisinière.

Dans des mondes parallèles qui doivent bien exister puisqu’en j’ai perçois l’écho, faible mais néanmoins substantiel, je m’entends, seule, lui répondre « mais prenez-les, si ça vous fait plaisir… », lassée par la déliquescence surjouée d’une sociétaire de la Comédie Humaine. Ou, dans un autre, me prendre, seule, pour un Sire Anneau de Berge en Vrac et lui déclamer une diatribe de nez d’Anduze « à ma façon » pour tenter de réveiller le reste de ses connexions neuronales sur toutes les « autres choses » qu’elle n’a pas vu, ou plus sûrement pour tenter de la toucher là où, sans même le savoir, elle avait touché et blessé, sans trouver de centre sur cette amas de chair inerte où mes coups auraient porté.

Plus simplement, Blanche lui répondit :  «  nous savons ce que sont ces pots d’Anduze, Madame. Sachez d’ailleurs que le coloris est une commande spéciale et qu’il n’en existe qu’une centaine de ce type-là. »

Et la dame est reparti avec ses yeux ébahis, sa bouche ouverte avec un reste de tarte à T sur les molaires, et je suis restée près de Blanche pour apprendre.

Chez Tata Aïcha

Un appartement de la banlieue parisienne dans les années 1980, chez « tata Aïcha ». Ce n’est pas ma tante, c’est celle de mes sœurs. Ce n’est pas non plus la tante de mon frère. C’est la sœur de Ben. Elle est marié à un homme si vieux qu’il ne se lève plus de son fauteuil. Elle a un œil au beurre noir. Sur sa peau marron, ça fait étrange, comme un maquillage de mythe expliquant la double nature des choses. D’ailleurs elle est habillée comme un personnage de conte arabe, elle joue comme si elle était dans le hara d’un grand seigneur omeyyade ou abbasside. Rétrospectivement, je vois un peu ma sœur dans ce qu’il me reste d’images de tata Aïcha. Même si ce n’est pas ma tante, c’est celle de mes sœurs. Ce n’est pas non plus la tante de mon frère. C’est la sœur de Ben. Ben est le père de mes sœurs, mais pas notre père à mon frère ou à moi. On est trop blancs pour ça.

Le salon marocain est en L le long des murs de la salle principale de l’appartement. Les adultes se sont assis dans le L, se faisant face et se parlant de choses d’adultes. Le tissu des banquettes est aussi riche que la tapisserie est déjà pauvre.

La table est entre eux tous pour accueillir les collations éternellement fraîches et présentes, et le thé à la menthe toujours, toujours prêt à être servi en allongeant le geste au-dessus des petits verres sans en mettre une goutte à côté.

La caméra ne s’attarde pas sur eux, mon frère l’avait à peine allumée, on en voit que quelques dos assis sur des poufs en cuir.

Il se fait un petit travelling le long de la banquette pour arriver sur sa cible. Un corps d’enfant, le mien, posé là, seul, un peu plus loin. Il en étouffe déjà quelques rires…des plantes vertes un peu plus loin semble avoir plus de vie que ce petit corps. En y repensant, je crois que c’était la première fois que je m’essayais à la catatonie sans en connaître le mot. Ne rien faire, ne pas bouger, respirer à peine pour survivre, les bras qui semblent se détacher et vouloir couler sur le sol. Les yeux fixes sur rien.

Il continue son travelling en appelant mes sœurs « discrètement » pour qu’elles le rejoignent. Il garde le petit corps aussi inerte qu’il le peut au centre de l’image. Puis il recule pour prendre la distance nécessaire, qui ne peut ni ne pas être ni être autrement pour profiter au mieux.

Le micro sur la caméra capture tout bruit, tout mot, tout pouffement. Au centre de l’image, le petit corps ne bouge toujours pas. Je crois que j’avais réussi à totalement m’anesthésier.

« hey…je vous donne 5 francs si vous allez mettre une claque à Alexia… ? allez… ! »

On entend les petits rires des deux petites filles. C’est Ilhem qui y va. Elle s’est toujours faite avoir.

Sur l’image on voit le petit corps d’une enfant de 4 ans qui court en direction du petit corps inerte d’une enfant de 10 ans, s’arrêter devant, mettre une claque au visage, et revenir en courant.

La main droite du petit corps inerte de l’enfant de 10 ans ne devait pas être assez anesthésiée, elle se lève, se colle à l’endroit du choc, le regard se tourne vers l’œil de la caméra au moment où les rires du frère éclatent et remplissent la bande-son. Puis la main, le bras, le petit corps de l’enfant de 10 ans reprend sa position, sans aucune larme, sans avoir ouvert les lèvres, sans avoir essayer de se défendre. A quoi bon ? Personne n’a rien vu. Ou plutôt tout le monde a vu. Et personne n’a rien dit. Alors, a quoi bon ?

Tout le petit corps de l’enfant de 10 ans s’est remis en position. Je crois que ce jour-là, j’ai réussi quelque chose. Je cours peut être derrière depuis.