entre deux sifflements crépitations

Je vais me tricoter une grande veste.
Je vais me tricoter une grande veste de glycine américaine qui est plus petite que les autres et moins show off
Je vais me surjeter et me point-de-rizer du schisandra pour avoir des clochettes rouges et blanches qui se font passer de loin pour des cerises
J’aurai des poches d’érable deshojo qui veut dire face empourprée en japonais, mais ventrues, en gueules de sabots de vénus
Mon dos sera piqueté de pousses de bégonia qui souffre d’avoir un nom de plante de vieux
Et de pousses d’hosta plus grand dedans, cherchant le dépliement
Les clématites me couvriront les bras avec leurs aiguilles à torsades
Mon col sera bordé de lancettes pourpres de passiflore au printemps car ce sera une veste de printemps
Le jacquard des pattes de kangourous sera difficile à faire à cause des bouches velues d’orchidées qui s’ignorent, mais j’aurais le choix de la couleur, rouge orangée et la multiplicité de jaunes, ou encore le violine qui coule bleu
Je m’assiérai sur la terrasse
Le merle et la merlette atterriront brutalement, comme des sauvages, et leurs pattes sur le sol feront top, top, ratop, ratop, vers la gamelle de croquettes pour chat
Dans mon feuillage d’heuchères, corail, chocolat, caramel, bronze, vert salade, je dirai à la merlette qui n’hésite pas à s’approcher juste à mes pieds comment vas-tu ? parce que j’aurai vu la plume presque blanche un peu défaite sur son aile gauche
J’attendrai que les pois de senteur majestic blue sortent de terre et s’enroulent sur les branches tortueuses du saule tortueux le bien nommé
Le géranium presque noir et dentelé ne m’agressera pas
La feuille d’acanthe blanche sera douce avec moi, et molle sous mes doigts comme du caoutchouc
Le cœur de marie montrera qu’il sait faire une forme en forme de quelque chose que les humains connaissent, par bonhommie
L’abutilon sortira ses lampions à jupettes, mais pas tout de suite, d’abord minuscules lanternes éclairées à l’avance
Je me demanderai quoi faire des pucerons sur les naissances si tendres des feuilles de camélia, je ferai semblant de ne pas voir que je ne les ai pas tous enlevés en y passant mon pouce et, en tant que divinité géantissime je me dirai que certaines vies ont de la chance, et puis je ne saura pas quoi faire du problème d’être cheffe décideuse et dominatrice, tout comme je ne sais pas quoi faire d’autres problèmes de chefs autrement plus nuisibles que les pucerons
Solanum pourpre et morelle laciniée ne sauront pas qu’ils sont de la même espèce, quasiment identique à une teinte près, ils feront le jersey du côté droit et du côté gauche de ma veste asymétrique
Je ne saurai pas faire les diminutions
Je ne saurai pas compter les mailles
Je ne saurai pas que le rosier liane de banks avait soif avant d’avoir vu ses feuilles abattues, désarmées, je me précipiterai mais il sera trop tard
Revivre ça n’existe pas
S’en soucier oui
Je préviendrai qui veut que le sophora twist baby prépare de la musique visuelle
Il lance des gouttes brunes deux par deux sur certaines de ses branches desquamées, grises, et l’écorce en dessous sort couleur d’olive
Chaque goutte va s’amplifier et s’accentuer en masque de médecin de la peste
Éclater jaune
Sentir la vanille
Les gens diront : c’est comme des becs de perroquet, je dirai oui ça y ressemble, les gens diront : il y en a tant ! je dirai oui, mais je ne sais pas ce que veut dire cette musique, est-ce qu’il est très heureux dans son pot, ou est-ce que, parce qu’il se sent mourir, il veut donner tout ce qu’il peut avant la fin ? je dirai oui mais je ne sais pas interpréter ce que je vois
Un jour ma veste sera morte
Ma veste de printemps
Ma veste de vent et de déflagrations qui s’entendent de loin
Le mot déflagration est un petit contenant, trop petit pour contenir les râles d’agonies
Ça vibre au loin, c’est tout près
Les ondes courent dans le sol, sous les cailloux de la terrasse
Les échafaudages ne tiennent pas
Ou alors pas longtemps, pas plus longtemps qu’une fleur de cobée cet été, un clignement de l’œil
Je me résoudrai à coudre pour assembler dos et devants et poches et manches de ma veste de printemps avec du seringat et de l’arbre au faisan, et pour cela j’utiliserai la technique du point invisible, mais rien n’est invisible même si tout disparaît
Est-ce que j’ai encore la place au creux des emmanchures de ma veste de printemps pour la plante des fées ? ses feuilles sont raides, piquantes, pointues, teigneuses, pas faciles à approcher ; ses fleurs sont comme un chapeau, celui du joker dans un jeu de cartes, ou bien celui du fou du roi, mais elle s’en fout des fous, et le fatsia aussi, qui monte un étage de feuilles à la fois méthodiquement
Sous l’apparence du fouillis, ma veste de printemps est méthodique
J’entends la double note des mésanges qui disent attention, ou viens là, ou où es-tu, ou je te connais, ou un message plus compliqué et attentif aux modifications
Ce que j’entends ne m’est assez souvent pas accessible
Le rouge-gorge saute d’un pot à l’autre en sachant où il va
N’est pas gêné par les moineaux, il n’y en a pas
À chaque fois c’est pareil, je me dis qu’ils sont tous morts, ou bien morts de peur et cachés
Et je suis soulagée quand ils reviennent, ternes, discrets

Happé

 

 

 

il y aura toujours les chansons
j’espère
je lisais le journal, attablé, œuf mayo salade verte
la salade verte, avec l’œuf et sa mayo c’est tout un
j’écoute dans le poste cette petite merveille
je me prépare à assister aux leçons de Claudine Tiercelin
Métaphysique et philosophie de la connaissance
ce sera pour février si jamais il arrive
tu sais toi, de quoi ce sera fait
demain ?
parfois je me dis « tiens je vais en parler à… »
ou alors « il faudra que je le dise à quand je le verrai… »
il n’est plus
non, des fois la vie est con
des fois, belle
ce matin par exemple

il y a cette chanson qui tourne

Tu vois ce convoiQui s’ébranleNon tu vois pasTu n’es pas dans l’anglePas dans le triangle
Comme quand tu faisais du zèleComme quand j’te volais dans les plumesEntre les dunes
Par la porte entrebâilléeJe te vois rêverA des ébats qui me blessentA des ébats qui ne cessent
Peu à peu tout me happeJe me dérobe je me détacheSans laisser d’auréoleLes cymbales les symbolesCollentOn se rappelleOn se racolePeu à peu tout me happe
Les vents de l’orgueilPeu apaisésPeu apaisésUne poussière dans l’œilEt le monde entier soudain se trouble
Comme quand tu faisais du zèleComme quand j’te volais dans les plumesEntre les dunes
Par la porte entre-bailléeJe te vois pleurerDes romans-fleuves asséchésOù jadis on nageait
Peu à peu tout me happeJe me dérobe je me détacheSans laisser d’auréoleLes cymbales les symbolesCollentOn se rappelleOn se racolePeu à peu tout me happe

j’aime beaucoup ce
où jadis on nageait

je me trouve dans l’angle
dans le triangle
il faut bien tenir le cap
faire avancer le truc
La Maison
tu te souviens sa femme l’appelait la grande maison
elle va fermer
cinq ans durant
seras-tu là
qui saura jamais de quoi demain
sera fait

 

la chanson merveilleuse, Happe Alain Bashung avec Jean-Marie Fauque (ou l’inverse)

les images sont (c)MdBC – croquées plus que « rognées » par PdB

l’avenir est pour bientôt

 

 

 

 

dans ces moments-là, on est pris par quelque chose qu’on ne connaît que mal, déjà croisé déjà ressenti mais déjà disparu tout autant et c’est tant mieux, semble-t-il, tant mieux que ça ne réponde plus, tant mieux qu’on oublie, tant mieux que le calme revienne – il est plus doux que ces ruades, cris, terreurs aussi parfois des drames, non, oublier oui – revenir au film qui n’est rien (on n’en dévoilera que peu, presque rien)  (on est sortis de la salle et que reste-t-il, une image ou deux, un  what the fuck un rire, un sourire qui plisse vaguement les yeux – ici on travaillera à Rome – c’est une ville qu’on aime encore assez) comme on y a travaillé ailleurs (on aurait aussi bien pu en faire un passage numéro deux – cependant cette maison[s] ne cessera pas de tenter de comprendre et aimer et faire partager et continuer à rechercher et encore) ici encore, mais l’affaire est plus centrée sur un cinéaste (Nanni soi-même, je ne sais s’il agit pour son propre rôle) (il se prénomme Guiseppe au générique) et sa compagne /épouse peut-être productrice (Marguerita Buy alias Paola) . Alors commençons par le générique

des acteurs et des actrices

(ce n’est pas très clair, mes excuses)

ça me fait penser à cet humoriste

(j’ai oublié son nom, mais c’était un pseudo) qui poussant la porte d’un opticien

lançait un »salut les bigleux !! » retentissant

Jean-Yves La fesse voilà oui – comédie burlesque – c’est le genre d’ici, en moins burlesque parfois –  je repose les noms du générique en fin – ce cinéaste a toujours eut ses films produits par son épouse – sauf celui-ci – mais elle va avec lui chercher des appuis financiers (des sous en clair) par exemple l’appui des plateformes de nos jours,comme on fait maintenant (type Net-truc) :  et ils se heurtent à une espèce de nouvelle esthétiqueévidemment c’est un peu difficile à accepter et on condescend à tenter d’expliquer 

ça reste difficile – ils s’en vont sidérés

ils feront autrement –

avec des chansons par exemple

et de la dansec’est vrai il y a bien d’autres choses (un autre film, un autre contemporain,une autre disposition), les enfants aussi bien, notamment leur fille qui se marrie

avec un homme plus âgé – cette conjonction entre son film

son état de père

ses relations avec son épouse

ses rêves

et pour finir

évidemment l’amour…

 

Vers un avenir radieux un film (radieux) de Nanni Moretti

 

 

 

sons de maison

Hier quelqu’une est sortie que je ne connaissais pas — je connais maintenant tous ceux et celles qui sortent entre deux clinquements de casseroles, la fenêtre du restaurant donne sur ma cour, et je suis souvent dans ma cour, je fais les cent pas, je réfléchis, je fume ma cigarette électronique parfumée à la pastèque, je suis abasourdie par la fleur du bégonia géant, toute blanche, que je n’ai pas vue se former, je suis curieuse des appendices en formation de mon pied de houblon qui est un pied femelle (« c’est une fille ! »), — Son nom Humulus lupulus vient du latin « humus » qui signifie « terre » et « lupulus » qui veut dire « petit loup » — ce sont de futurs cônes qui sont particulièrement beaux, qui seront bientôt  particulièrement beaux

mais n’en sont à présent qu’à l’étape de commencement, je suis aussi curieuse de la silène à fleurs doubles et des grappes qu’offre l’arbre aux faisans, mais peu importe, ce serait trop long de décrire un par un tout ce que j’ai mis en pots ici, l’idée est que je connais toutes celles et ceux qui sortent dans la cour qui longe ma cour, la dame à l’accent ukrainien qui me salue toujours avec intensité, le jeune homme assis sur une palette pour fumer, la jeune fille à lunettes très discrète, mais hier cette femme que je ne connaissais pas. Elle est sortie. Elle voulait prendre la lumière, ça se voyait. Elle s’est avancée au milieu de la cour qui fait aussi office de parking, avancée à un endroit où personne parmi celles et ceux que je connais ne s’avance. Elle a regardé les toits, le ciel. Elle avait l’air surpris de cette bataille dans le ciel, les mouettes qui par moment deviennent acariâtres, et bavardes et inarrêtables. C’était comme une découverte pour elle. Elle ressemblait à une femme qui n’aurait jamais vu de mouettes. J’ai eu envie d’être cette femme qui n’aurait jamais vu de mouettes et qui découvre.  Ensuite on a entendu des pleurs d’enfants. Cette année les touristes sont très nombreux. Il y a beaucoup de familles. Il y a beaucoup d’enfants. Il y a beaucoup d’enfants qui pleurent. Pas tout le temps, mais régulièrement, ça arrive, les pleurs. Comme une idée qui se rappelle à soi. Quelque chose qu’on aurait oublié. Et j’aime cette femme, parce qu’elle ne découvre pas les pleurs d’enfants, elle les connait. Elle quitte le clinquement des casseroles et les ordres donnés qui s’étendent plus loin que la fenêtre, et elle essaye d’attraper les cris, de voir d’où viennent les cris, ça m’a toujours ému les gens qui essayent de voir. On se tord le cou. On n’est plus tout à fait soi. On désire être transformé par les ondes extérieures. Les enfants pleurent aussi à cause de ça, de l’obligation d’être là sans bouger, d’être obligé de subir l’instant sans bouger, coincés dans une poussette ou collés à une main. Les parents viennent ici parce que c’est un endroit célèbre. Les enfants n’aiment pas la célébrité. Ils trouvent ça légèrement barbant. Aussi, je suis d’accord avec eux. Et les mouettes crient sur la célébrité des lieux et elles les recouvrent de fientes blanches, laiteuses. Elles n’en ont rien à faire de nos sarcasmes et de notre façon de nous habiller, à nous, humains, surtout le dimanche matin quand les cloches sonnent. Ici, quand les cloches sonnent, il y a beaucoup de jupes plissées bleu marine, beaucoup de gens qui sentent le savon et lancent un regard assuré,  déterminé, sans rien qui marque la surprise. Je crois qu’il y a deux camps ici, et je suis du côté des mouettes et des pleurs d’enfants, à côté de mon latin qui dit petit loup, petit loup, comme un surnom gentil qu’on donne.

« C’est le plus important. Tu ne crois pas ? »

Ma mère est ma maison.
Ma mère est faite de texte.
De textes.
C’est de plus en plus visible. C’est ce qui arrive avec les paysages en grands dangers, brossés par le vent, réduits à l’essentiel. Il ne reste plus que la ligne d’horizon et l’armature d’un tronc, un peu d’herbe, le bleu de la mer, c’est tout. Ce qui faisait foisonnement, la végétation dense, les ruelles, les fontaines de Trévise, les habitants et leurs déambulations, les points de vue panoramiques avec la rose des vents gravée sur une table d’orientation, les fêtes folkloriques, les processions de la fête de Saint Bernard, tout ce qui perdait le regard, les cigales la nuit, les nappes sur les tables dehors, froissées, éclairées par les lampadaires, les craintes d’orage et d’inondations, tout s’est enfui, recroquevillé, a disparu.
Il ne reste que quelques histoires droites, réduites au plus simple déclencheur. Ce sont toujours les mêmes. Il ne reste à ma mère que du texte. Elle écrit de moins en moins, et puis plus du tout. Des cartes de vœux, et je ne sais plus la dernière fois qu’elle a rempli un chèque. Ses lettres sont de plus en plus tremblantes, maintenant ce sont des chiffres qu’elle trace, elle fait ses comptes qui sont des contes, car elle ne s’appuie pas sur des données mathématiques. Je veille bien à ce qu’elle ait toujours des stylos à portée de main. Je lui ai acheté un cahier, c’est elle qui me l’a demandé, elle devrait y poser des additions, en tout cas c’est ce qu’elle désire, c’est l’outil de repérage auquel elle se raccroche.
J’ai longtemps cru que rien n’était plus éloigné de ma mère que le texte. Je disais :
elle parle pour ne rien dire
ce qu’elle dit n’a pas de sens
elle dit une chose et son contraire
elle parle pour parler
elle fait de l’air avec sa bouche et ses cordes vocales, c’est ce que j’ai longtemps cru.
En fait, elle est au-delà du texte, ce qu’on peut qualifier de prouesse.
Ou elle se trouve bien au-dessus du texte. Tout en haut. C’est lui qui la porte. Ce sont ses fictions qui la tiennent, soutiennent. Dans le paysage réduit à l’essentiel qu’elle est devenue, sa ligne d’horizon et son tronc sont ses fictions.
Elle me les répète sans arrêt.
On pourrait penser à un problème cognitif, à une maladie dégénérative, à une baisse des capacités logiques, à une perte de raisonnement, oui, beaucoup pourraient le penser, mais elle s’en fout. Elle répète. Elle ne se sent pas malade. Je vais bien, elle dit, et puis j’ai toute ma tête.
C’est le plus important.
Tu ne crois pas ?
Heureusement que j’ai toute ma tête.
C’est bien, je suis contente.
J’ai vendu la maison, je me suis bien débrouillée. J’ai été futée, heureusement.
(la maison a été vendue par obligation, ce n’est pas elle qui l’a voulu ou s’en est occupée, elle me montre le papier du notaire et m’explique qu’il vient d’arriver au courrier, c’est moi qui lui ai donné il y a six mois, nos histoires se chevauchent, parallèles qui ne se rencontreront pas, mais je veille bien à ce qu’elle ait toujours des stylos à sa disposition)
Plus son paysage se minimalise, plus j’augmente le mien, factice. J’ajoute et j’ajoute des pots sur la terrasse de cailloux cernée de murs.
Chaque matin je vais voir si le pied de houblon trouve une nouvelle direction avec sa tête de serpent. J’ai soif de lianes. Les clématites, les chèvrefeuilles et les tiges de cobée s’enroulent ensemble, selon la même chorégraphie indistincte. Les feuilles des capucines de Canaries s’élèvent, larges près du sol, réduites dans l’ascension. Le schisandra croule de fleurs discrètes qui se confondent avec des cerises, et son feuillage de soie cache un peu le géranium menthe dressé, debout. L’akébia n’en finit pas de faire de nouvelles volutes dans sa course avec les haricots géants d’Espagne. En Espagne, lorsque ma mère était enceinte de moi, elle a assisté aux processions, capuchons sombres, deux trous noirs pour les yeux, torches levées dans l’obscur, chants funèbres, et elle a eu peur. Ma mère est ma maison.

les Voiles écarlates

(le réalisateur tient la camera)

 

 

l’agent avait l’intention de décrire ce film par ailleurs tout à fait recommandable mais il s’aperçoit que dans le pack destiné (par la distribution) à la presse (et donc, par là, à la promotion sur les lieux de vente – plv dit-on dans  certains environnements écosystèmes univers, comme il vous plaira) de l’omniprésence  de la figure du (peut-être) premier rôle – voilà qui m’indispose – OSEFU2P* certes des états d’âme de l’agent mais tout de même, ça m’ennuie grââââve.

De là à m’abstenir de parler de ces Voiles écarlates, il y a un pas (d’autant plus grand que je n’en parle pas mais en glose).

Bah, le film est réussi mais son matériel merdique – ici quelques qualificatifs pour puristes

On est bien avancé – mais voilà de nombreux mois que je me pose la question de ces images produites pour « faire parler » (craché-je dans une soupe indigeste ?certes) (au début des années quatre-vingts du siècle dernier, j’avais eu l’ambition de décrire ces films-annonce – j’ai jeté les habits de la thèse avec ou par ou grâce à la nécessité de gagner ma vie) – il s’agit de raconter les quelque vingt (peut-être) premières années de la vie d’une jeune fille – elle perd sa mère qui meurt d’un viol apprendra-t-on – son père revient de la guerre (il s’agit de la première mondiale) (est-ce son père ? c’est son père)

– trouve à s’employer (il dispose de mains d’or) comme menuisier, puis se fait jeter comme un malpropre, on ne l’aime pas au village mais il continue à vivre cependant – sa fille grandit et embellit – le film est une merveille – les images n’en rendent que peu compte (mais n’est-ce pas le jeu ?) (est-ce jeu ?) qu’importe ici la jeune fille(Juliette Jouan, charmante certes)

elle chante est heureuse (mais on ne voit pas son éducation,son avancement en âge comme le film le décrit si joliment) ici son père (Raphaël Thiéry, parfait)

on commandera au menuisier une figure de proue, qu’il réalisera en prenant pour modèle sa femme, morte – cette figure ornera un voilier

on l’aperçoit ici – magnifique – ces voiles-là sont écarlates, certes,mais d’autres viendront du ciel – on en voit d’autres ici (le petit jouet bord cadre à gauche,dans les mains de la jeune fille à douze ans peut-être)

car oui, il y a dans le rôle un peu de magicienne Yolande Moreau (magnifique) , dans le rôle de la mère adoptive disons, Noémie Lvovski (vivante et forte)

et puis la robe écarlate elle aussi

l’amour (dans le rôle de l’amoureux, Louis Garrel sérieux et attachant)

la brouille

le film est magnifiquement écrit, magnifiquement réalisé (le réalisateur est au cadre) et magnifiquement dirigé (on avait vu de lui La bocca del lupo avec une image brouillée et un scénario empli de turpitudes; Bella et perduta raté ais avec quelques images formidables; mais un Martin Eden qu’on avait manqué).
Et une musique formidable, elle aussi (Gabriel Yared, au meilleur).

Pour le reste…

 

L’envol  un film de Pietro Marcello (inspiré (librement dit-on) d’un conte d’Aleksandr Grin (ou Green, ou Grine) titré Les voiles écarlates) (titré Scarlett  (Écarlate) pour l’export)

 

 

  • OSEFU2P : on s’en fout un petit peu

 

 

 

Riace (2)

 

Pour Becky Moses

 

 

C’est un village qui se trouve à l’extrême sud-ouest de l’Italie, sur le continent ou presqu’île – sous l’avant de la plante du pied (on a ici vaguement situé

proche de Monasterace Marina) – le maire en a été un certain Domenico Lucano – Mimmo pour le monde, Mimmo u’curdu (Mimmo le kurde) pour ceux qui le connaissent et savent ses agissements : il a recueilli des Kurdes à la fin du siècle dernier, dans ce village, les a aidés a s’installer et par là a magistralement contribué à la renaissance d’un village exsangue (le sud de l’Italie et plus particulièrement la Calabre – je ne veux pas parler du nord – manque cruellement de travail et la main y est mise basse sur les revenus par la mafia. Ou alors par l’État quand il est représenté par le fascisme (la ligue du nord). Qu’on le veuille ou pas, cette réalité vertueuse est combattue par le pouvoir : Mimmo est traîné en justice, il est condamné – (13 ans de prison,   500 000 euros d’amende – le double de la peine requise par le procureur : tu m’as compris) (une paille) fait appel depuis France si je comprends bien. Il a été fait citoyen d’honneur de la ville de Bobigny (préfecture de Seine-Saint-Denis, 93) puis d’autres encore. Nous en sommes là, et attendons la procédure. Cependant, Mimmo Lucano a écrit un livre, titré Grâce à eux sous-titré Comment les migrants ont sauvé mon village. Il n’est pas question de baisser les bras,il n’est pas question de laisser les réfugiés mourir dans la Méditerranée ou ailleurs :ils’agit d’une simple question d’humanité. On a déjà donné un compte-rendu de ce livre ici et on continue, ici,par une onomastique des localités et des lieux cité.es dans le texte (toponymie) et le livre. Un index, une façon différente (un peu fastidieuse, mais elle a des raisons pratiques) de lire le même livre – si la logique comptable avait quelque qualité, ce serait celle d’indiquer de quoi parle le livre (le plus: de Riace (on s’en serait douté) puis de la Calabre (voilà) et puis ensuite l’Italie- vous verrez).
Donc en hommage à Mimmo Lucano, en accord avec les principes qu’il défend, et pour favoriser la lecture de son livre.
La semaine prochaine, on pratiquera de la même façon sur les noms propres de ce livre (anthroponymie) , ce qui complétera cette lecture et cette approche.
Avec nos remerciements à l’auteur du livre et aux Riacesi pour défendre (ainsi que par exemple Cédric Hérrou, Longo Maï, Rosmerta et tant d’autres) les valeurs auxquelles on ne renoncera jamais.

ici (sur les conseils de Simone W. qu’on remercie) le premier volet; on posera ici le troisième la semaine prochaine.

 

A.
Acquaformosa (localité) 157,161
Africo (localité) 40-41, 149
Afrique 13, 27, 51, 117, 147,173, 175
Afrique Centrale 113
Afrique du Nord (Urgence, décret) 158
Afrique subsaharienne 175
Agrigente 67
Albanie (Albanais) 67, 90
Algérie 67
Allemagne 71, 75, 76, 78, 81
Amérique 99, 117, 187
Amérique du Nord 105-6
Amérique du Sud 55, 94, 99, 122
Amérique latine 42,105
Andes 54, 99
Arabie 25
Argentine 53-54-55,59, 71, 99-100, 101, 105
Asie 27
Aspromonte 40-41, 173
Atlantique (océan) 107
Australie 71,101

B.
Badolato (localité) 80, 82
Badolato Marina 81
Bagaladi 89
Balduina (la, quartier de Rome) 108
Barbarie (figuiers) 9
Bari 125, 140
Belgique 71
Berlin 118, 130
Bologne 115, 118
Bova et Bova Marina (localité) 40-41, 89
Brancaccio (localité) 86
Brésil 37
Brindisi 68
Brooklyn 108
Buenos Aires 54-55, 93, 99-100, 102-3, 105-6, 164

C.
Calabre 10(n), 11, 13, 36, 23, 26, 32, 36, 39, 42, 48, 66, 69, 84, 89-90, 95-96, 100, 106, 109, 112, 114, 122, 129, 135, 139, 143, 152-4, 159, 163-5, 168-9, 174, 179, 182, 186
Californie 105
Camini (localité) 161
Canale Foggia (localité) 68
Castelbuono (localité sicilienne) 152
Castel dell’Ovo 85
Catanzaro(localité) 17 (cour d’assises), 168-9
Catanzaro (province voisine de Riace) 26, 29, 80,145
Carlopoli (localité) 145
Catanzaro (Stade) 122
Caulonia (localité) 135, 157, 161
Cercle d’Unité Prolétarienne 60
Cetraro (localité) 47
Chantemerle (Hautes Alpes, Longo Maï) 91
Cilicie 24
Cinisi (village proche de Palerme) 28, 118-9
Chili 122
Colègme (localité près de Turin) 88
Cosence 47(province de),118
Cuzco (Pérou) 54, 99

D.
Diyarbakir (localité Turquie) 125

E.
Ellis Island 107
États-Unis 75, 101, 106, 108, 118
Égypte 158
Erythrée 119
Ethiopie 119
Europe 45, 55, 78, 82, 84, 106-7, 126, 141, 173

F.
Florence 118
Foggia 118, 125
France 81

G.
Gênes 125, 133
Grèce 6
Grèce antique 60
Gioiosa Jonica (localité) 43-44, 161
Gioia Tauro (localité) 15, 21, 45

I.
Italie 13, 26, 67, 75, 80, 82, 114, 118, 139, 158, 164, 174,181, 185,
Italie du Sud 40-41, 53, 58,79, 113, 141
Italie du Nord 8, 71, 122, 128
Irak 70
Iran 69, 70
Islamabad (les aigles de) 92
Isola di Capo Rizzuto (camping naturiste) 122

K.
Kaboul (le potier de) 92
Kenya 51
Kosovo 67
Kurdistan 70,75,78, 176

L.
Lampedusa (île) 67
Lamezia Terme 118
Latina 118
Locri 48, 154, (parquet de)161-2
Locride 25, 31, 48, 69, 70,128, 174
Libye 13, 106, 116, 119, 139, 158

M.
Machu Pichu 100
Maghreb 158
Maison du Pèlerin (Riace) 49, 69,70
Maggiore (piazza, Bologne) 115
Manhattan 108
Maracana (stade) 38
Maroc 67
Medaglie d’Oro (avenue, Rome) 108
Méditerranée 24, 68
Messine 83,102, 118
Mexique 117
Milan 6, 41, 119, 124
Mineo (localité CARA) 158
Montevideo 99
Moscou 75
Moyen-Orient 117

N.
Naples 15, 51, 85, 102, 118
Nesci l’acqua (lieu-dit) 147
New-York 106-7, 109, 118
Nicotera (localité) 46
Nigeria 13
Nord 10, 139
Notre-Dame-Mère-des-émigrants 54 (missions Argentine)

P.
Padoue (banque populaire éthique de) 85
Pakistan 175
Palazzo Pinnarò 85
Palerme 20, 28, 29, 118, 150
Parc des Fontaines 150
Paris 6
Pérou 54, 99
Perse 69
Piémont 122
Pistoie 118
Plaza de Mayo (la place de mai, Buenos Aires) 104
Pouilles 66-67, 125
Pollica (localité) 94
Porto Alegre (Forum social mondial) 133
Proche Orient 175
Provence (naissance de Longo Maï) 82
Puerto Madero (ort de Buenos Aires) 103

R.
Reggio de Calabre 19, 21,29, 61, 92, 118, 165-6, 170, 173
Riace (et Riace hors les murs) 18, 19, 25, 26, 29,30, 31,35-36, 39, 41, 48-49, 51-52, 54-55,57-59, 62, 67,69, 71, 73, 76-78, 79-82, 85,86, 91, 93, 94, 99, 100-1-2, 106, 109, 111-4, 117-8, 122-3, 127-9, 133-5, 144-6, 147, 157-9, 163, 164-6, 167-9,170,171-2, 173-4, 175-9, 180-3, 185
Riace (mairie de) 9, 11, 15, 16
Riace Marina (village au bord de la mer) 63-65, 68, 79-80, 93, 112, 134, 178
Rio de la Plata 99
Rojava 78
Rome 25, 29, 37, 48, 58, 76, 118, 139, 159,170
Rosarno (localité) 45 (lycée de), 116, 119 (bidonville)
Ryakyon (ancien nom de Riace)’ : petit ruisseau) 65, 109,144

S.
Salento (région d’Italie -pointe du talon) 67
Salerne (province de) 106
San’Arsenio (localité) 106
San Calogero 17
San Ferdinando (bidonville de) 10, 15, 21, 119, 172
San Ferdinando (n) 10
San Giovanni (place, Rome) 117
San Luca (localité) 41
San Pantaleone (localité) 89
San Rocco (paroisse) 47
Sanctuaire des amis des Sts Côme et Damien 69
Sicile 37, 67 (canal de), 86, 139
Siderno (localité) 160
Somalie 67, 119
statue de la Liberté 107
Stilo (localité) 85
Stigniano (localité) 96, 101
Sud 9, 10, 83, 86, 95, 109, 112-3, 136, 139, 146,148
Syracuse 118
Syrie 24, 70, 78,175

T.
Thaïlande 42
Trentin (montagne du Nord) 48
Tunisie 67, 158
Turin 10, 58, 88, 118
Turquie 24, 65, 70, 75, 78,125-6

U.
Udine 118
Uruguay 54, 99

V.
Val d’Aoste 128
Val de Suse 118
Val di Non (localité,pommes) 50
Varèse 42
Vérone 118
Vibo Valentia (province voisine de Riace) 26
Village global 14

Z.
Zones fragiles(Italie du sud) 146

 

 

De deux films (Elles)

 

 

il faudrait lister les points de rencontre, les occurrences, les ressemblances – les singularités, c’est que l’un se déroule de ce côté-ci du Pas-de-Calais; l’autre ailleurs (Yorkshire je suppose – en réalité, Bradford, West Yorkshire) – l’un est réalisé par une femme (Clio Barnard) et l’autre un homme (Jérémie Elkaïm) – c’est important, il faudrait mais non, deux films dont le sujet, l’objet ou le scénario sont en correspondance – à quelque différence près : une femme d’un certain âge, blanche, rencontre et aime un homme d’une autre couleur de peau (ici, mon préféré évidemment, il est dj ou l’a été (probablement pakistanais) – là il est réfugié (d’Iran, il tente d’aller en Angleterre) – un sujet difficile – toutes les deux sont veuves, toutes les deux étaient battues par leur mari (crevés, mort de cirrhose, flics ou autre) (tendance front national dégueulasse les deux) – comment vivre, survivre, revivre ? Les deux films, l’un français donc

l’autre britannique,

donnent de l’espoir. Les deux aussi font la part des choses, les relations avec les voisins, avec la famille… Alors on n’a pas l’intention de comparer, d’évaluer, de décerner quelque palme – il y a toujours cet élan dans les mots qu’on pose, jury ou juge – et bien sûr que c’est une affaire entendue, markettée tapis rouge/or/smoking et robe longue fendue coiffures maquillages – photograpĥes et paparazzi – le cinéma dans toute sa méphitique splendeur – non, il y a cet aspect il y a d’autres angles – il y a cette façon du cinéma français de se regarder nombrilique – et plutôt clitoridique en l’occurrence (trop de scènes de lit, certes…) – et la façon britannique plus sociale, plus lissée polissée pas aseptisée, non, mais plus simple, plus douce aussi peut-être (il n’est pas certain, si on veut aller dans ce sens, que la sexualité soit une (et encore moins la) bonne porte de compréhension des humains – elle représente, cependant et au même titre que la mode ou la gastronomie, quelque chose comme une image de marque du pays d’ici comme on sait). En tout cas, et pour parler franc (!), le cinéma sans musique m’indispose au plus haut point – une dimension manque alors – une esthétique et une joie, un plaisir sûrement aussi… Dans Ali & Ava cette dimension est présente ainsi qu’on l’aime (le public dispose d’un échantillon, folk/country/rap/punk/rock comme on voit tout ça est très anglo-saxon), dans Ils sont vivants il n’y en a simplement aucune…  Alors comment te dire ? (cette question, qui fait le pendant des « voilà », « j’ai envie de dire » et autres « en même temps »ou « du coup » si contemporains…) deux images de ces deux femmes, ici Béatrice

(Marina Foïs, formidable, vraiment) et là Ava

(Claire Rushbrook, formidable tout autant – qu’on avait adorée aussi dans le Secrets and Lies de (Mike Leigh, 1996))

 

Ali & Ava (Clio Barnard, 2021) et Ils sont vivants (Jérémy Elkaïm,2021)

 

 

j’ai, ici, pris le parti de ne parler que de films que j’estime – ici on les aime assez, mais ce sont les sujets, les idées, les personnages aussi bien qui (nous) sont parallèles et si contemporains – on a le droit d’aimer qui on veut, qui on peut sûrement aussi bien – mais ici, c’est cette singularité de disposition qui m’interpelle – il y a toujours eu, dans mon amour du cinéma, cette façon de le concevoir comme un, unique, et un tout qui, à chacune de ses apparitions sur mon horizon personnel, continue et continue encore et toujours la même et semblable histoire – les histoires qui nous sont racontées n’en font qu’une – les personnages sont toujours les mêmes – j’aime me rendre compte maintenant, ici, écrivant ces lignes, que ces deux héroïnes sont blondes, blanches, déclassées – cette façon de dire la classe sociale, tu vois : ici déclassée est une qualité (même le vocabulaire me dessert…) – j’espère me faire comprendre…

d’un rivage à l’autre – épisode 18

 

ce texte, écrit suivant une consigne de l’atelier d’écriture hiver 22 de François Bon, tente d’élucider la réalité d’une des maisons de l’enfance (au vrai de deux, sauf que quand je connus la seconde, je n’en étais plus un, d’enfant) – c’est en cela qu’elle constitue un épisode du raku élaboré ici et auquel on contribue – elle se tenait au bout d’une allée de platanes centenaires, longue dans le souvenir, ombrée droite on apercevait au loin quelque bâtiment – il y avait là un chien, berger allemand, tenu par une chaîne – cette maison, celle d’un de mes oncles marié à une de mes tantes (fatalement : mais c’est un oncle par alliance, cette tante étant sœur aînée de ma mère) – il y avait dans la grande cour d’entrée où aboutissait l’allée de nombreux bâtiments, dont certains chaulés eux aussi avaient un toit arrondi, des chais ou des caves, où étaient entreposés les restes des moûts des raisins après les vendanges (je me souviens de cette odeur) qu’on nous dépeignait comme des endroits  maléfiques et sacrés (des sables mouvants qui engloutissaient quiconque avait le front d’y entrer –  le moût s’obtenait alors par foulage mais je n’y ai jamais assisté) – les cépages des raisins étaient le syrah et le cabernet sauvignon (noir), donnant des fruits mauve foncé – plus tard, vers la fin des années cinquante (ou le début des années soixante, je ne sais pas) après expropriation (avec dédommagement, je crois bien), cet oncle acheta une autre propriété du même ordre, (même cépage en tout cas crois-je me souvenir) située à une centaine de kilomètres au sud de Rome. Il ne fait pas de doute que les souvenirs mêlent les deux maisons en une seule et même pourtant différente et semblable aussi pourtant – blanche grande claire grandes fenêtres et voilages – je me souviens assez bien de celle d’Italie, j’y suis allé à l’été soixante treize, lors du voyage que nous avions entrepris, un de mes amis et moi, dans sa deux chevaux 

 

 

il y a une ombre, un fantôme, une goule, quelque chose qu’on cache – même si on cherche à (se) la cacher, elle réapparaît – c’est là et ça ne partira jamais – il y avait dans le milieu de l’escalier qui allait à l’étage, dans la courbe, un pallier où donnait une petite porte qui elle-même donnait dans un espèce de grenier – probablement une remise – un endroit où se trouvaient les objets au rebut mais à cette époque-là, on gardait les objets, c’était juste après guerre, on ne faisait pas encore dans le jetable le gâchis les déchets – on gardait peut-être bien tout et lorsque les gens étaient riches, ils gardaient ce qu’ils avaient acquis
“après-guerre” qu’est-ce que ça veut dire, laquelle ? plus on s’en éloigne et plus elle paraît illusoire, finie, défendue – elle n’a jamais voulu écrire, ni lire d’ailleurs : elle a vécu ces moments-là (elle est de 26) et plus tard les autres qui seront retracés plus loin

– partout des images – partout des portraits des gens (ou des lieux) qu’on aime sans les connaître –
des lieux, ici l’un d’eux
c’est une vue de Hammam Lif (une ville de banlieue par laquelle on devait passer pour rejoindre la propriété de F. (à Créteville – aujourd’hui c’est une prison)) (olives et vignobles) (devant chaque rang, un rosier) – c’est certainement là et ça hante (Hammam parce qu’il y avait là des sources d’eaux chaudes, thermes sans doute – Lif , ça veut dire la vie en arabe – ajoute un “e” et c’est la même chose en anglais) : de l’autre côté du mont Boukornine, là

 

cette maison-là était celle où vivait sa sœur – son étage où se trouvaient les chambres, les salles de bain et au milieu de l’escalier, dans son coude, ce petit pallier et cette petite porte (foncée de bois arrondie en son haut) – y retourner aujourd’hui et voir les deux canapés de cuir blanc qui se faisaient face, de part et d’autre de la table basse (verre sur fer forgé) sur laquelle elle posait un ou deux livres de photographies ou d’autre chose, devant une cheminée tellement inutile – sur l’avaloir vaguement oblique il avait installé un grand miroir vénitien qui mimait un soleil dont les rayons de bois dorés s’étalaient sur la presque totalité du muret

aucune idée de la façon dont ils emménagèrent – il a bien fallu qu’ils emménagent – il paraît que F. lui a fait une cour incessante assidue envoyant fleurs bouquets bijoux cartes et d’autres choses encore – on aime à romancer – il venait la chercher le soir vers sept heures chez ses parents dans sa décapotable beige sellerie de cuir fauve – il y a eu cette chanson bien plus tard, au sujet d’une femme, un homme qui lui disait

tu ne me trompes pas va |
avec ton cinéma hum hum |
ta robe et tes chaussures |
de la couleur de ta voiture |”

ils allaient dîner, au Kram ou à la Goulette, un restaurant de poissons juste au bord de l’eau
dans le grenier, la remise à laquelle on accède par une petite porte arrondie, au milieu de l‘escalier, au dessus d’une armoire il semble qu’on ait trouvé là des lettres, des photos et un cahier – la couleur de la couverture n’est pas précisée – dans un carton, on les a déménagés et on a remis à l’intérieur, sur la planche du bas, le carton dans l’armoire quand elle a été remontée en Italie

il y a eu les événements et il a bien fallu qu’ils déménagent – aucune idée de la façon dont ça a pu se dérouler – F. avait les cheveux gominés, noirs, peut-être peignés une raie sur le côté il sentait le vétiver et aimait les vêtements de cachemire et les foulards de soie – dans le souvenir il est impeccable, veste de lin doux chemise de couleur tendre sourire agressif sûrement – jamais réussi à savoir sa nationalité, Italie Libye Tunisie ailleurs encore, jamais su

la maison de Frosinone elle aussi était chaulée, on accédait à l’étage par un escalier extérieur : le premier étage était indépendant – vignes et oliviers, un rosier devant chaque rang de ceps – au loin, là-bas, la mer auprès de laquelle on mangeait des granites après le bain et la douche – citron ou fraise –

F. avait aussi la réputation d’être violent – avec sa femme – avec ses employés – certes c’était une autre époque – d’où viennent ces bruits ? comment se crée une réputation ? qui peut savoir ?  – longtemps peut-être durant une vingtaine d’années c’est là qu’ils vécurent sans enfant – il y avait dans la buanderie du rez-de-chaussée à laquelle on accédait par la cuisine, remisée cette vieille armoire, à l’intérieur des vieilleries – là le carton, il a bien fallu qu’ils déménagent les meubles – sa femme le traita ainsi qu’il l’avait mérité lorsqu’il s’éteignit (crabe au colon) (marrant comme les mots prennent un double sens) (il avait cet esprit plus ou moins colonial – ses employés l’aimaient bien, paraît-il – dans le souvenir, mais le seul vraiment présent (et probablement faux mais on s’en fout) il pelait sa pêche avec un couteau et une fourchette)

il a bien fallu qu’elle entrepose les meubles quelque part lorsqu’elle revendit la propriété à l’un des contremaîtres – elle ne pouvait plus supporter de vivre là elle n’avait jamais aimé ni la campagne ni la terre ni ces satanés vignobles – et encore moins ces oliviers tordus par les ans – et puis c’était trop loin de Rome – c’était vers la fin du siècle précédent je ne sais plus qui y alla pour déménager quelques choses ici ou là, reprendre le miroir, les objets auxquels il tenait, non, je n’ai rien pris de particulier* mais le carton est toujours quelque part, dans un grenier, une grange, le fond d’un garage – l’armoire a été remontée dans un appartement via di Ripetta au 22 je crois – elle a disparu, ce siècle avait cinq ans

il y a une ombre, un fantôme, une goule, quelque chose qu’on cache – même si on cherche à (se) la cacher, elle réapparaît – c’est là et ça ne partira jamais – partout des images – partout des portraits des gens (ou des lieux) qu’on aime sans les connaître (ici l’un d’eux)

 

* : mais si, sa montre, une Piaget automatique calibre 51 (le fond blanc en était cassé) (réparée, des chiffres romains y indiquent les heures, le 4 est s’écrit IIII)

Mais c’est qui ?

 

 

Lorsque je repris l’atelier, j’ai cessé avec la prise de tête de la consigne (j’écoute, je lis, je prends des mesures, j’exécute, certes, mais j’ai quelque chose comme besoin de me tenir sur certaines aises) – j’ai lu quelques contributions (j’adore voir et comprendre comment ces ami.es (éphémères, certes) sortent vainqueur.es du bourbier) et j’ai lu et vu la contribution de Françoise Renaud (quelques années de connaissance entre nous) et elle y posa quelques images de ce bourg – j’aime me promener – j’ai l’habitude de croiser le monde – parfois, je le suis – je n’étais pas bien sûr de la façon dont ce petit bourg cévenol était arrivé à la maison mais c’est parce que, aussi, une de mes meilleures amies vit du côté d’un autre, dans le coin, nommé Saint-Ambroix (enfin le coin je ne sais pas bien, non loin par là (vers l’est) dans un certain sud de la France) (un jour on y fut, il y avait en haut de la colline des mimosas, une maison abandonnée – elle est en réfection me dit-elle) oui, c’est pour ça : une sorte d’envie de voyage, un épisode de quelques heures jours ou semaines – mois qui sait mais l’hiver me pèse, tu sais – ces temps-ci où rallongent les jours sans qu’on parvienne à y prendre goût – et passant par là, donc, je me disais « il n’y a donc personne » car les rues furent vides un moment – puis à y regarder de plus près, moins – donc ces gens, ces gens-là, mais qui est-ce donc ? 

 

En vrai, le village, le bourg, l’endroit ou la commune débute sur la rive opposée de la Vis  (par là elle va grossir l’Hérault)

rive gauche donc – il y a là une cascade (contrechamp)

y regardant de plus près, trois ou quatre humains

difficile à dire – si on veut aller voir c’est par là

mais non, on avance et, pour tourner à droite, on laisse la départementale (cent-dix je crois bien)

et on croise cette maison :

derrière les arbres sous la véranda

est-ce un signe à l’auto enregistreuse

il semble – on passe – on avance rues étroites personne, pratiquement – puis un homme qui promène son chien (peut-être vaque-t-il, est-il sorti fumer, qui peut savoir) (il est loin, est inscrit quelque chose sur son vêtement)

on prend à gauche, une petite rue qui tourne – monte – fait bon on dirait pas vrai (surtout à l’ombre, oui)

un type qui monte dans sa camionnette (décoration peintures quelque chose) (on ne le verra plus) à la fenêtre du premier étage

(regard caméra) (soleil irisé) rue étroite

elle et il s’écartent – lui

elle

si je pensais qu’il était quelque chose comme onze heures et demie c’est qu’il y a, au bout de la rue ce bar du jardin, cette espèce d’ardoise, ce menu (11,90e ça va encore – les clichés datent de 2016 (ou 14) il me semble – cinq ans au moins)

plus loin, cette petite affichette qui indique

que c’est ouvert, à droite par là – en effet

il s’agit de l’Escope du jardin (kézako l’escope? j’ignore), il y a là quelqu’un, il regarde – je pars, c’en est presque fini – ici le foyer

si on me demande, je dis que c’est un maire ce Jean (un ex-maire) – ou Jacques – ou Jérôme – ou quoi – enfin Rouquette oui –  ces images, presque les dernières, suivantes, bordent le cimetière (je me sentirai plus en fin d’après-midi – j’aurai mangé, on aurait mangé, on se serait un peu assoupis sous les platanes, l’ombre de la place aurait rappelé celle de l’Île-Rousse)

elle aussi promènerait son chien – on passerait doucement, en se retournant

elle nous aurait probablement déjà oubliés – on s’en va, il y encore lui – parait décidé

au revoir

on part