RENCONTRE

D’abord il faut que je vous dise qu’il n’y avait pas de livres chez moi, j’exagère, qu’il y avait très peu de livres chez moi lorsque j’étais petite, mes parents ne lisaient pas de livres, ils lisaient TéléMagazine ou le catalogue des 3Suisses, ou des notices de montage de maquette de bateau téléguidé. Seul mon frère avait des livres dans sa chambre, et il me semblait qu’il y en avait beaucoup, deux étagères avec une douzaine de livres chacune, derrière deux portes vitrées et coulissantes. Comme mon frère était bien plus vieux que moi (onze ans de plus), il partait la semaine à l’université, et je pouvais m’introduire dans sa chambre, avec beaucoup de précautions car le moindre changement dans la pièce serait considéré comme une faute grave, et je me souviens de monter sur sa chaise de bureau non stable, de pousser en silence une des vitrines pour dérober un Sherlock Holmes, ou un Arsène Lupin, ou un Gaston Leroux (Le Parfum de la dame en noir), avant de revenir à pas de loup le lire dans mon lit en cachant la couverture sous le drap.

De mon côté, je possédais des albums de bande dessinée, quatre ou cinq, et deux ou trois livres-disques (quand vous entendrez la clochette, tournez la page petits amis !), et aussi des volumes de la bibliothèque verte, Alice et la statue qui parle, Les Sœurs Parker et les ravisseurs. En tout, sans doute quinze livres, ce qui me semblait phénoménal. J’étais passée un jour, avec une fille de ma classe, chez ses grands-parents, sur la route de l’école, et j’avais vu chez eux la collection entière des albums de Tintin, une longue file de dos alignés, colorés, près de la cheminée, que j’avais considérée respectueusement, l’équivalent pour moi de la BNF.

En grandissant, je n’ai pu lire que des extraits de livres, uniquement grâce aux manuels scolaires. C’est dans leurs pages que j’ai lu La Conscience de Victor Hugo (en sixième, en cinquième peut-être) et que j’ai demandé à mes parents qu’ils m’offrent à Noël La Légende des Siècles, en deux tomes, format poche, un vert, l’autre violet, la plus merveilleuse des choses (je les ai encore), j’en lisais des passages à voix haute en mettant l’intonation, les pages se décollaient, et sans le vouloir je connaissais par cœur certains vers, et encore maintenant, si par hasard j’entends ou je lis « alors, levant la tête » mon cerveau enchaîne avec « se dressant tout debout sur ses grands étriers ». Ou si j’entends « elle est toute petite », je continue avec « une duègne la garde, elle tient à la main quelque chose, et regarde ».

Même avec peu d’argent, mes parents essayaient de me donner de quoi lire. Un jour ma mère m’avait ramené Poèmes à dire de Daniel Gélin (une valeur sûre, cet homme-là passait à la télévision), et pour ce livre aussi les pages se sont bientôt décollées. C’est à cette période que j’ai lu, relu, avalé un poème de Jules Supervielle.

Il y en avait d’autres, comme celui de Tristan Tzara, je le pose ici :

les fruits ruinés
les murs déchiquetés
la neige morte
les heures souillées
les pas verrouillés
ont rompu les rues
la honte de vivre
inonde mes yeux

les foyers éteints
le rire édenté
les places écrasées
la vieillesse harcelée
profilée dans l’âtre
toute la misère
pour marcher dessus
les chevaux éventrés
dans l’arène des têtes
les volets volés
les maisons ouvertes
les enfants dehors
les paroles de paille
pour seule vérité
vide matelas
pour ne pas dormir
ni rire ni rêver
le froid aux entrailles
le fer dans la neige
brûlant dans la gorge

qu’avez-vous fait qu’avez-vous fait
des mains chaudes de tendresse
avez-vous perdu le ciel
dans la tête par le monde
dans la pierre dans le vent
l’amitié et le sourire
comme les chiens à l’abandon
comme des chiens.

(Tristan Tzara, La Bonne Heure)

Mais le poème de Supervielle, c’est lui dont je voulais vous parler. Il était assez court. Me semblait magnifique. Ce n’était pas La Mer secrète. Mais je me souviens qu’il finissait par « Nous creusâmes ensemble nos fosses pour la nuit ».

J’ai grandi et j’ai eu accès aux livres autrement. J’ai pu m’acheter tous les Sherlock Holmes avec mon argent de poche sans plus les voler à mon frère, et d’autres livres aussi, souvent ceux qui me tombaient sous la main, sans direction, au hasard. Et puis j’ai travaillé. J’ai moins lu, et même arrêté de lire totalement, sauf des textes pédagogiques et des recueils de comptines. Je n’ai pas fait d’études de lettres, ce qui me donne des complexes. Ce n’est pas qu’on m’en ait empêchée, c’est qu’il fallait avoir un travail, car mon frère avait été à l’université jusqu’à ne plus pouvoir, ce qui était une charge pour mes parents. Je ne voulais pas leur peser financièrement.

Mais, lire était là, quelque chose de précieux, et écrire aussi. Petite, j’écrivais. Bref, je passe les détails.

Le poème de Supervielle, un jour, j’ai voulu le retrouver. Impossible. J’ai même racheté il y a une dizaine d’années un exemplaire de Poèmes à dire de Daniel Gelin. Il y avait bien Tzara et Claude Roy, « Jamais, jamais je ne pourrais dormir tranquille aussi longtemps que d’autres n’auront pas le sommeil et l’abri », mais pas lui. Donc, je l’avais lu ailleurs. Mais si c’était dans un manuel scolaire, comment le retrouver. Avec internet j’ai fait des recherches en ligne. Entre guillemets « Nous creusâmes ensemble nos fosses pour la nuit ». Pas de résultat. J’ai modifié mes recherches, peut-être que je me trompais, qu’il n’y avait pas « creusâmes », mais pour ce qui était des fosses j’étais sûre.

J’ai demandé parfois, quand j’y repensais, à des gens plus éduqués que moi. En résidence à l’IMEC j’ai cherché dans la bibliothèque, si grande, si magnifique, les recueils de Supervielle. Je suis montée dans les étages, tout en haut, sous la voûte de l’abbaye, là où toutes les revues sont rangées par ordre alphabétique, je ne l’ai pas trouvé.

Il y a quelques mois, ça m’est revenu ce poème, l’existence, quelque part, de ce poème. J’ai cherché et cherché encore. Je me suis demandé si je n’avais pas rêvé, réinventé un souvenir.

Enfin, ça fait longtemps que ça dure pour moi cette histoire là, plus d’un demi-siècle maintenant. Je ne sais pas pourquoi ça résonne tellement. «  Nous creusâmes ensemble nos fosses pour la nuit. » Le symbole de la solitude. La finitude. L’être humain si fragile, si animal. Je n’ai pas les capacités intellectuelles de dire pourquoi ça m’avait transpercée, et ça continue.

Ce matin (levée à 5h20, comme souvent), comme j’y repensais, j’ai cherché et cherché encore. Un seul résultat (entre temps, google me demandait si je ne voulais pas chercher fesses au lieu de fosses ?). Un seul résultat vers un pdf qui a mis longtemps à s’ouvrir sur mon ipad, au moins cinq ou six minutes (mon ipad est vieux, sa mémoire doit saturer). J’allais abandonner car ce pdf était celui d’une revue d’Amérique du sud, ALFAR, 1932, dans une langue que je ne maîtrise pas. J’ai survolé les pages, des publicités (Cada tarro de café El Chana, contiene 1.000 gramos neo de café, y un finisimo vaso como obsequio). J’ai fermé le pdf. Tant pis. Et puis je l’ai rouvert quand même. Et là je l’ai trouvé. Ensuite j’ai lu la mention La direcciòn de esta revista no devuelve los originales ni sostiene correspondencia acerca de éllos, publicando solamente trabajos rigurosamente inéditos.

Je ne peux toujours pas dire comment j’ai eu accès à ce poème au commencement. Mais il est là maintenant. Je comprends qu’il ne soit pas considéré comme un poème fondateur, comme « Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ». Mais il l’est pour moi d’une certaine façon.

Il y a une énigme, une double énigme, une triple énigme. Où ai-je lu ce poème, sur quel support ? Pourquoi est-ce qu’il est resté ancré en moi comme quelque chose inaccessible et en même temps possible ? Quel est ce poisson et la voix qui parle dedans ?

Je le pose ici, dans la maison[s]témoin. Peut-être que maintenant, en faisant une recherche internet, on le trouvera plus facilement. C’est quoi vos textes à vous, qui existent et qu’on ne retrouve pas, ou peu, ou mal ? Vos énigmes ?

RENCONTRE

Entourés de chandelles
Dont la flamme est fidèle
À notre chuchotis,
Nous allons aux nouvelles
Au milieu de la nuit.
Tous les couloirs sont vides
Et les dortoirs aussi
Et seules les étoiles
Collent à nos fenêtres
Comme de vieux espoirs
Toujours prêts à renaître
Et qui de leurs yeux fous
Ne peuvent rien pour nous.
Mais une voix s’élance,
Fruit mûr d’un long silence :
« Je te passe une étoile,
Éteins cette chandelle,
Donne-moi ce hibou
Contre cette hirondelle
Qui fait lever le jour.
Je change tes yeux gris
Dans une autre lumière
Pour qu’il te soit permis
De voir la terre entière
Et de mieux la juger.
Je te donne un poisson
Qui n’a pas besoin d’eau,
Toujours il ressuscite
Si on l’aime assez vite
Pour qu’il se donne entier,
Prends ce vivant objet
Et pour mieux t’en servir
Protège-toi les mains
De ces gants acérés
Qui forcent le destin. »
Alors la voix se tut,
Tout redevint l’impasse
Où plus rien ne se passe
Qui ne soit attendu.
Et dans nos froides chambres,
Soufflant sur nos bougies,
Nous creusâmes ensemble
Nos fosses pour la nuit.

 

pdf de la revue Alfar 

Fondamental

 

 

 

On peut sans trop se tromper (et bien que ce type d’échelle de valeurs ait quelque chose d’obscène) dire de ce film qu’il s’agit d’un des et même du meilleur dans son genre et de tous les temps – c’est excessif : comme de genre il s’agit de la science-fiction, on peut aller jusqu’à tout l’univers. Les avis peuvent varier mais on s’en fout : passons sur cet aspect si vous voulez bien. Le mieux pour l’appréhender s’il se peut (oui, c’est quand même possible) est d’en donner la structure : procédons par ordre (qu’est-ce que l’ordre ? « le désordre, c’est l’ordre moins le pouvoir » disait Léo tu te souviens ?). Ce qui constitue ce film (durée : deux heures et demie), ce sont quatre parties et un entr’acte. Durant chacune de ces parties sont exposées diverses facettes de l’histoire de l’humanité (rien que ça, mais ça quand même) mais jamais notre contemporain (on respire). Dans ces quatre parties, on trouvera l’émergence d’un objet, une entité (on en a glosé : le film sort en avril 68, il y a cinq ans, on a fait tout un pataquès médiatique de cet anniversaire 50 ans… (on a changé l’affiche, on a remasterisé l’affaire, on l’a représentée  – les auteurs sont morts, mais le marché s’en fout – on peut aussi regarder que la maison de production (la Metro Goldwyn Mayer) (Sam et Louis sont eux aussi morts depuis bien longtemps – Autant en emporte le vent et Ben Hur entre autres) (le lion ne rugit plus et l’art ne remercie plus les artistes) n’existe plus (faillite, rachat du catalogue, la loi du marché) – quelque chose (un fait social total dirait Mauss) : dieu peut-être…? en tout cas il s’appelle monolithe et il est noir – il apparaît vers la fin des parties, c’est une espèce d’énigme bienveillante (la bienveillance a quelque chose de pourri, comme on sait) – c’est ambiguë et on ne comprend pas bien. Alors voyons, tout en sachant que le film (budget estimation avant tournage : 6 millions de dollars, coût total après post-production : dix millions et demi – pour une idée de ce coût aujourd’hui, on multiplie communément par 9) a rapporté six fois ce qu’il a coûté (un peu moins de 4 millions d’entrées) à titre de comparaison, un film comme Avatar disposait d’un budget de 365 millions de dollars (en 2009) et en a rapporté (15 millions d’entrées) 3 milliards…) (pourtant,combien de fois plus merdique, vazy…).

Je ne voudrais rien expliquer, juste montrer : je crois bien qu’il s’agissait de mon douzième lustre et on (encore merci, mille fois)  m’offrit l’intégralité de la filmographie de Stanley Kubrick – un coffret, édité chez Taschen – treize longs métrages – treize disques laser dvd – plus un gros livre d’images et tout un appareil critique, dont l’entretien fleuve que Stanley Kubrick donnait au magazine Playboy d’octobre 1968 – j’en ai sélectionné quelques unes – je les pose en allant dans la chronologie du film – elles m’ont inspiré – peut-être dois-je dire aussi que, de ce film, les étudiant.es de maîtrise de cinéma et moi d’alors (1980 je crois bien) avons été invité.es par le prof (s’appelait Goimard, Jacques de son prénom, portait des costumes et des cravates de couleurs vives – les cravates, pas les costumes) à nous emparer toute une année durant – j’avais en charge de m’occuper des moyens de transports; pour d’autres, ce furent la religion, les repas, les moyens de communications, et les rôles, les effets spéciaux, le scénario, la musique, les dialogues, etc etc on en passe (ce qui inférait de voir le film un certain nombre de fois – mais j’ai arrêté de compter après dix) – je l’ai revu il y a quelques mois, avec le dvd sur un petit moniteur : ça ne vaut pas…

 

la première partie sera sans dialogue (comme les dernières) – avant notre ère – nous ne sommes pas encore redressés, l’un d’entre eux (ou elles, à ce point, pas encore d’études de genre) découvre l’arme, s’en sert et domine (ça veut dire qu’il tue) – dans sa joie de vainqueur il lance son arme au ciel comme s’il voulait le défier –

l’image passe de l’os (l’arme…) à la navette spatiale (Orion III) – qui va s’accorder (au son de la valse de Strauss – un si beau Danube bleu et un regard (pour moi) vers Claudio Magris) s’accorder disais-je à la station orbitale – c’était l’affiche première du film – on suivra un type quelconque qui souhaitera bon anniversaire à sa fille (interprétée par la fille du réalisateur) : l’intérieur de la station orbitale

ce n’est qu’une étape avant d’aller sur la Lune (les premiers pas de l’homme sur la Lune datent du 20 juillet 1969…) : un signal y a été détecté, l’homme est enquêteur (j’aime à le croire) – on a creusé pour chercher d’où vient ce signal, ici en bas, le creusement, la fosse, la mine

la découverte du (ou d’un ?) monolithe – image du haut : on (l’humanité) touche le monolithe

image du bas, le son explose, assourdit – cut – un an et demi plus tard

à bord du vaisseau Discovery – avec l’ordinateur (super-ordinateur -méga-ordinateur, tout ce que tu veux) HAL l’oeil rouge…

lui gouverne, les hommes suivent – mais il dévie (HAL tel est son petit nom), il se trompe – il débranche les cryogénéisés, (et les tue…) par mégarde peut-être (probablement pas : il veut prendre le pouvoir) – restent les humains : que se passe-t-il ? ils s’isolent dans une capsule de survie (ils ne veulent pas que HAL les entendent – on le croyait infaillible –

ils parlent HAL ne les entend pas mais les voit et lit sur leurs lèvres – on lui en veut

ENTRACTE

HAL profitant d’une sortie qu’il ordonne

tuera l’un des astronautes (ou cosmonautes – un humain en tout cas) – il en reste un cependant (Bowman se nomme-t-il) qui parvient à rentrer à nouveau dans le vaisseau

ce sera donc lui ou HAL – c’en est fini – magnifiquement rouge…

HAL chantera une comptine puis périra – carton

ici prend place une séquence, toute de couleurs de vitesses de cris de bruits de musique, psychédélique en diable – un parcours – sans dialogue – un chemin vers l’infini sans doute – mais où est-ce ? – loin – à travers les galaxies – loin de tout –  jusqu’à cette chambre – on retrouve Bowman – seul – brise un verre – seul : il regarde (image du haut)

dans le lit, c’est lui – en amorce droite cadre c’est lui – il se voit – il va mourir – il se voit  (et se voit voir) : le (ou un?) monolithe, là devant lui allongé, mourant – cette lumière

puis le foetus astral dans la* placenta qui regarde la Terre bleue, toute la vie, oh Suzy…

je le remets : ici tel est sa place

juste une merveille –

 

je me souviens de la première fois que je le vis, au cinéma Contrescarpe (ça n’existe plus) l’écran n’était pas grand, la salle comble et les gâteaux que nous avions mangé étaient à l’huile afghane – je me souviens, une merveille… (il y a cinquante ans d’ici)

 

Ce billet en spéciale-dédicace à l’hôte de cette maison (Kiki de Bayeuze) pour ses douze lustres – le féminin* de la placenta, pour Catherine Serre et sa Maison des Mues

une histoire de lieux

Je raconte des histoires, je dis Elle s’habitue, mais je n’ai aucune idée de ce qu’elle perçoit et comment, aujourd’hui dans la marée de mots toujours la même marée des mêmes mots mêmes légendes mêmes anecdotes elle dit qu’elle se sent bien ici, qu’elle ne peut pas être mieux, tout va bien — c’est pour me rassurer ? — J’ai ma voiture — montrant le fauteuil roulant — Je téléphone — montrant la sonnette qui pend sur le matelas du lit médicalisé — J’appelle et on m’emmène au réfectoire — parfois elle dit Cantine mais jamais Restaurant comme nommé sur le dépliant, nous ne sommes pas dans un coin touristique. Elle raconte plusieurs fois, je réponds plusieurs fois en modifiant un peu mon intonation, je fais les variations qu’elle ne fait pas, nous nageons, moi à contre-courant pour la tenir, l’accompagner, ses yeux d’aujourd’hui très vides, elle parle pourtant comme d’habitude, raconte pourtant comme d’habitude, parfois elle rit de choses qui ne sont pas si risibles, je l’accompagne, je ris aussi et je m’arrange pour lui tenir la main. Je remarque ce qui n’était pas là la dernière fois, la peau de sa gorge toute plissée quand elle se penche, un seul chausson, l’autre pied est bandé, mais Tout va bien, elle le répète, je regarde le chausson unique isolé contre le mur, tout neuf. Elle prend la boîte de bois ronde où elle a rangé les médailles, elle les prend une à une et me les donne, je dois lui lire ce qui est indiqué sous les lauriers, République française et l’année, elle dit C’est important, il y a aussi dans la boîte un porte-clés à qui elle refuse la fonction de porte-clés, il est médaille de plus, et pourquoi non, ce sont toutes ses médailles dans les albums, dans les pochettes, dans les tiroirs, car elle a fait la guerre, la guerre du sens, c’est-à-dire que ne voyant pas de sens elle en a mis partout en reracontant le passé le présent à sa sauce, reracontant les mêmes histoires mêmes anecdotes qui n’existèrent pas, je ne veux pas la contredire, si je le faisais elle se retrouverait seule, je dis À dimanche en partant, elle me dit À dimanche en agitant la main, je raconte des histoires, elle aussi, mais c’est si compliqué la vérité, nous inventons mais nous ne mentons pas.

Et puis je n’ai pas osé lui dire, pas aujourd’hui, qu’il est prévu, dans cette maison médicalisée aux chambres médicalisées, que chaque porte de résident soit décorée par une photo d’un lieu qu’il aime, suivi d’un texte. Du texte je parlerai un autre jour. La photo est celle-ci

 

Ces chers parents

 

 

 

 

de la nécessité de décrire avant d’écrire – longtemps la question des sources de ces images s’est posée au rédacteur – longtemps à y penser, à se demander ce que veulent dire les films-annonces (ici les images en sont issues), que mijotent-ils (en quatre-vingt-un lors de l’examen de maîtrise, l’un des membres (une femme) du jury m’informa que Chantal Akerman (que j’adule, que j’adulais sans doute moins alors) pour l’annonce donc de son News from home (1977) avait commis une bande-annonce uniformément noire – et quelques mots en voix off – ah non, je n’avais pas vu) (j’avais vu quelque autos, des poursuites et des baisers, quelques scènes de lit, quelques affriolantes émotions) (j’étais – je suis toujours sans doute – pétri de cette analyse structurale qui m’a bercé longuement jusqu’à ces sciences sociales qui aident, comme béquilles, à comprendre et interpréter) (ah ce si cher Claude Lévi-Strauss…) – on a affaire à un documentaire – un fils, aidé de son frère, tentant de découvrir élucider mettre au jour quelque chose sur leurs ascendants communs – des images animées, des photos des voyages – une valise comme la malle de Fernando peut-être

on l’ouvre

des photos, noir et blanc, de la fin des années quarante

jolies et simples

des gens animés de conviction, qui entreprennent – souvent dans ces époques troubles (mais elles le sont toutes…), le rédacteur se demande ce qu’il en aurait été de ses idées, de la défense de son droit si dans ces temps il avait été immergé – des gens de peu sans doute, un peu

en tout cas pas des célébrités – peut-être reconduits à la frontière, renvoyés dans l’union des républiques socialistes soviétiques pour laquelle ils (et elles) avaient développé affects et espoirs

probablement (mais le pacte germano-soviétique ? la famine d’Ukraine ? les purges du petit père des peuples ? les blancs les rouges ?)

qui serions-nous pour les juger , vu.es d’ici, du siècle suivant

munis de nos pauvres souvenirs ?

notre vision d’un monde fantasmé disparu

de nos yeux nos propres yeux, les fiches, les archives, les regards qui surveillent – le monde qui précède la guerre froide – leur monde au sortir de la guerre, l’enfer, et celle d’Espagne, et la découverte d’eux

apprendre à regarder, sans doute – apprendre d’où nous venons – ici les deux frères à la gare

eux comme nous, passent les trains – passent les vies –

oui, le fait est que nous n’en savons que peu – notre patrimoine génétique, notre matrimoine tout autant – nous sommes là, assis et nous y pensons – il y a un moment sans doute exceptionnel (pour moi, c’est une première chance de le retrouver) on voit les deux frères hantés

on les discerne à peine (ainsi que leurs parents, voilà tout)

espions, probablement – et se taire sur ces actions – oui, aussi – le deuxième moment de chance mienne est la mise en scène du début, où le réalisateur sort avec sa valise

ce café bistrot me disait quelque chose (j’y déjeune parfois avec A.) (c’est pour ça) par là (on aperçoit la grande maison dans l’arrière-plan de la première image)

non, mais rien – la chance

 

Mes chers espions, un film documentaire de Vladimir Leon
dans la série Documenaire,  ici même cette autre merveille

Non, aucun

 

 

 

ce pays est une tuerie, vraiment – on le voit dans ce film comme on le voyait dans les autres – une tuerie – le film s’intitule Aucun ours un titre qui lui va bien – il a été primé à Venise, au festival nommé Mostra (montrée, affichée je suppose) qui est une manifestation voulue par le fils de l’ordure (tu sais bien, celui qu’on a pendu par les pieds, sur une place de Milan, en avril 1945 – on a oublié, mais dans le pays en question, il n’y a pas tellement de différence si tu veux mon avis) (il y avait dans la péninsule dite ibérique, deux autres types du même acabit, mais qui s’en sont tirés tranquillement, eux) (que ces gens-là soient maudits) – cette manifestation qui a lieu au lido perdure et montre donc le cinéma, mondiale, comme à Berlin, Cannes, Toronto ou Locarno – ce n’est pas tant qu’on aime ce genre de rencontres, mais elles font parler, donnent de l’ampleur et de l’écoute et permettent de ne pas oublier. Il ne faudrait pas parler de ces choses-là parce qu’elles fâchent, ce n’est pas diplomate ni bien élevé (les tortionnaires aiment à rester dans le calme et le silence de leurs geôles).

C’est l’histoire d’un réalisateur de cinéma

qui prend des photos dans un village 

les villageois tentent de le convaincre qu’il a pris en photo un couple illégitime – ce qui est doublement faux : la photo n’existe pas, le couple légitime non plus, sinon dans le fantasme des habitants (lesquels attribuent à la naissance une fille en mariage à un garçon – tu vois le niveau) –  s’ensuivent des développements

des palabres

une espèce de prestation de serment

toute une tradition abjecte et machiste – le monde de nos jours – abus de pouvoir, emprisonnements, mises à mort – il y a ici pourtant ce mouvement Femme Vie Liberté qui existe – il y a depuis quelques mois des révoltes qui tentent d ‘être matées dans le sang – par ailleurs, dans ce film, on en tourne un autre, de l’autre côté de la frontière (du côté turc) mais rien ne va plus non plus

le réalisateur a une patience formidable, une gentillesse à tous égards du meilleur aloi – le monde (ce monde-là mais comme le nôtre) fonce à une allure incoercible –  droit dans le mur

dis-moi, dis qu’allons-nous devenir ? Alors on tente de le conduire ailleurs, ou on tente de le dissuader, ou on l’emmène de ce côté-ci, à gauche par là, au fond

bien sûr que non, par là, il n’y a aucun ours…

 

Aucun ours un film (formidable) de Jafar Panahi (2022)

Ici même :

Trois Visages un autre film, magnifique, du même réalisateur.

Partir (Hit The Road) tout autant, du fils du même.

Rêver

L’agent fait un rêve. Il marche dans le hall d’un grand bâtiment, comme un immeuble de bureaux. D’ailleurs il a des collègues ici, qu’il va sans doute rejoindre. Seulement, il ne sait pas par où passer. Il y a les tourniquets qui demandent une carte magnétique, mais il n’en a pas. Il pose sa main dessus, et le tourniquet bascule. Il passe avec la honte d’avoir resquillé. Resquiller le travail, ça n’a pas vraiment de sens, mais c’est ce qu’il ressent. Il a peur de prendre l’ascenseur, non il n’a pas peur, il voit que l’ascenseur ne s’ouvre pas. C’est une porte avec une poignée, comme une porte de bureau. Quelle drôle d’idée pour un ascenseur. Et puis il est déjà dans l’escalier, dans les étages, c’est très difficile à gravir. Dans les escaliers il y a des gens sur des chaises de bureaux, en fait il y a des bureaux à même les marches. Tout est très confus, paroles dans tous les sens, on se bouscule. Un bref instant, il est dans le métro. Il y a des bureaux et des gens partout. Il arrive à un étage où il n’y a personne et il y va. C’est un supermarché dont les rayons sont quasiment vides comme suite à un souci d’approvisionnement massif sur tout un pays. Le plafond est délabré. Il voit l’immeuble de loin, depuis une colline, c’est l’immeuble où il est, et lui est sur la colline herbeuse et sèche, en plein soleil, et regarde l’immeuble. Il y a un risque d’attaque missile à tout instant, d’ailleurs le ciel est pluvieux maintenant, au-dessus. Mais en bas, face au supermarché, non, à l’immeuble, il y a un grand parking surchauffé de lumière. C’est étrange cet immeuble isolé eu milieu des steppes et collines, mais sans plus. À nouveau à l’intérieur, il sort de l’étage et rentre dans le restaurant du musée. Il y a des statues à vendre. Il a chaud. Quelque chose d’érotique couve. Il descend dans le cinéma qui est au sous-sol. Mais le film ne démarre pas. Il se cache avec une femme entre les immenses fauteuils et l’entend tout près de lui, sa respiration contre son oreille et son cou. Quelque chose va se passer. Il regarde sa jupe, la peau de ses jambes, mais le film ne commence pas, l’agent immobilier se dit que ce n’est pas éthique d’avoir un rapport sexuel avec une acheteuse dans un cinéma. Son érection est si forte qu’il a du mal à franchir les rangées de fauteuil pour partir d’ici. Il a une maison à vendre et doit retrouver l’étage où ça se passe. Il sait que s’il baise il va se réveiller. La jouissance est un lever de soleil. Pourtant, il sait que c’est un rêve, et qu’il aurait pu baiser, après tout. Il descend ou monte les étages mais trop de monde, trop de bureaux. Il cherche un interrupteur sur les murs recouverts de moquette. Dans la colline, l’immeuble reflète le soleil, ça l’éblouit. Il se réveille.

Le jour s’est levé, il fait clair dans la chambre de l’agent immobilier. Il se demande un instant où il est. Il n’est pas dans sa chambre mais dans le faux canapé Månstad, il a transpiré. Un rendez-vous va arriver, il entend une voiture se garer. Il va dans la cuisine, ouvre la fenêtre et sort. Il se faufile jusqu’aux piscines puis gagne une haie d’épineux, qui arrachent un peu son costume. Encore quelques minutes et il atteint un terrain vague qui longe la quatre voies. Il va dans l’autre direction, et s’enfonce dans les champs et les forêts.

Partir

 

 

 

un jour je m’interrogerai sur le matériel dont je me sers pour illustrer ces billets (qui est celui dont on dispose auprès des distributeurs, et donc destiné à être exporté auprès des publics potentiels putatifs conditionnels ou hypothétiques ou j’en sais rien) (il s’agit de science du marketing – le cinéma en est friand au point d’y consacrer (il faudrait que quelqu’un compte quand même) mais certainement au minimum le tiers du budget d’un film (quand même ce n’en serait pas la moitié) (il y a certainement ce genre de statistique dans les wtf écoles de commerce (à trente ou quarante mille l’année quand même) qui donnent envie de gerber) (je cesse ici mais n’en pense pas moins) – pas aujourd’hui 

 

ici une chanson qui n’a que peu à voir avec le film (pas certain qu’on l’entende d’ailleurs – c’est sans importance) (je pose Ray quand même en photo d’entrée de billet)

il s’agit d’une route, prise par l’aîné des deux fils d’un couple, il s’en va et jamais ne reviendra… N’en pas trop dire pour ne pas effrayer le petit (ils l’accompagnent tous – la famille (comment se passent les départs, définitifs ? Par la force ? la contrainte ?) ils l’accompagnent donc – c’est l’aîné

qui conduit la voiture, au début (une voiture de sport utilitaire – dont on tait la marque – prêtée par un ami). Il y a dans l’auto un chien (Terry, il me semble (au fond de l’image, dans le coffre)

qu’on a trouvé quelque part) – à l’avant la mère (formidable  Panthea Panahiha), à l’arrière le père (Hassan Madjouhni) et le petit frère (une espèce de star de série télévisuelle dans son pays, Rayan Sarlak) ici à l’image (reprise sur l’affiche du film)

(assez cabot mais semble-t-il vrai dans l’illusion – vrai semblant) le voyage

qui  s’effectue sous nos yeux ne conduit nulle part

– on parlera un peu ensemble (l’aîné avec le père)

ils partagent ici une pomme – sur la route qui conduit à l’exil permanent des enfants

– une terreur une seule voie de sortie – la famille qui a tout vendu

pour acquitter le prix de ce voyage – mais c’est pour vivre qu’il est parti

ou pour ne pas mourir

de l’espoir dans ce voyage

ces paysages magnifiques

et puis

politique absconse d’un état débilitant – mais c’est le leur – des films iraniens qui se font malgré tout – le moyen Orient à feu et à sang, pour son pétrole ? le monde actuel – aujourd’hui – un film réalisé par un homme (il est de 84) dont le père est interdit de tourner (Jafar qu’on aime aussi) – un humour et une douceur magnifiques

merveille sensible et tendre – des cagoules

comme le Kukluxklan, de l’argent, des tractations – et tout à coup, l’aîné aura disparu…

 

Hit the road un film de Panah Panahi

ici le générique

et la suite

 

 

 

d’un rivage à l’autre – épisode 18

 

ce texte, écrit suivant une consigne de l’atelier d’écriture hiver 22 de François Bon, tente d’élucider la réalité d’une des maisons de l’enfance (au vrai de deux, sauf que quand je connus la seconde, je n’en étais plus un, d’enfant) – c’est en cela qu’elle constitue un épisode du raku élaboré ici et auquel on contribue – elle se tenait au bout d’une allée de platanes centenaires, longue dans le souvenir, ombrée droite on apercevait au loin quelque bâtiment – il y avait là un chien, berger allemand, tenu par une chaîne – cette maison, celle d’un de mes oncles marié à une de mes tantes (fatalement : mais c’est un oncle par alliance, cette tante étant sœur aînée de ma mère) – il y avait dans la grande cour d’entrée où aboutissait l’allée de nombreux bâtiments, dont certains chaulés eux aussi avaient un toit arrondi, des chais ou des caves, où étaient entreposés les restes des moûts des raisins après les vendanges (je me souviens de cette odeur) qu’on nous dépeignait comme des endroits  maléfiques et sacrés (des sables mouvants qui engloutissaient quiconque avait le front d’y entrer –  le moût s’obtenait alors par foulage mais je n’y ai jamais assisté) – les cépages des raisins étaient le syrah et le cabernet sauvignon (noir), donnant des fruits mauve foncé – plus tard, vers la fin des années cinquante (ou le début des années soixante, je ne sais pas) après expropriation (avec dédommagement, je crois bien), cet oncle acheta une autre propriété du même ordre, (même cépage en tout cas crois-je me souvenir) située à une centaine de kilomètres au sud de Rome. Il ne fait pas de doute que les souvenirs mêlent les deux maisons en une seule et même pourtant différente et semblable aussi pourtant – blanche grande claire grandes fenêtres et voilages – je me souviens assez bien de celle d’Italie, j’y suis allé à l’été soixante treize, lors du voyage que nous avions entrepris, un de mes amis et moi, dans sa deux chevaux 

 

 

il y a une ombre, un fantôme, une goule, quelque chose qu’on cache – même si on cherche à (se) la cacher, elle réapparaît – c’est là et ça ne partira jamais – il y avait dans le milieu de l’escalier qui allait à l’étage, dans la courbe, un pallier où donnait une petite porte qui elle-même donnait dans un espèce de grenier – probablement une remise – un endroit où se trouvaient les objets au rebut mais à cette époque-là, on gardait les objets, c’était juste après guerre, on ne faisait pas encore dans le jetable le gâchis les déchets – on gardait peut-être bien tout et lorsque les gens étaient riches, ils gardaient ce qu’ils avaient acquis
“après-guerre” qu’est-ce que ça veut dire, laquelle ? plus on s’en éloigne et plus elle paraît illusoire, finie, défendue – elle n’a jamais voulu écrire, ni lire d’ailleurs : elle a vécu ces moments-là (elle est de 26) et plus tard les autres qui seront retracés plus loin

– partout des images – partout des portraits des gens (ou des lieux) qu’on aime sans les connaître –
des lieux, ici l’un d’eux
c’est une vue de Hammam Lif (une ville de banlieue par laquelle on devait passer pour rejoindre la propriété de F. (à Créteville – aujourd’hui c’est une prison)) (olives et vignobles) (devant chaque rang, un rosier) – c’est certainement là et ça hante (Hammam parce qu’il y avait là des sources d’eaux chaudes, thermes sans doute – Lif , ça veut dire la vie en arabe – ajoute un “e” et c’est la même chose en anglais) : de l’autre côté du mont Boukornine, là

 

cette maison-là était celle où vivait sa sœur – son étage où se trouvaient les chambres, les salles de bain et au milieu de l’escalier, dans son coude, ce petit pallier et cette petite porte (foncée de bois arrondie en son haut) – y retourner aujourd’hui et voir les deux canapés de cuir blanc qui se faisaient face, de part et d’autre de la table basse (verre sur fer forgé) sur laquelle elle posait un ou deux livres de photographies ou d’autre chose, devant une cheminée tellement inutile – sur l’avaloir vaguement oblique il avait installé un grand miroir vénitien qui mimait un soleil dont les rayons de bois dorés s’étalaient sur la presque totalité du muret

aucune idée de la façon dont ils emménagèrent – il a bien fallu qu’ils emménagent – il paraît que F. lui a fait une cour incessante assidue envoyant fleurs bouquets bijoux cartes et d’autres choses encore – on aime à romancer – il venait la chercher le soir vers sept heures chez ses parents dans sa décapotable beige sellerie de cuir fauve – il y a eu cette chanson bien plus tard, au sujet d’une femme, un homme qui lui disait

tu ne me trompes pas va |
avec ton cinéma hum hum |
ta robe et tes chaussures |
de la couleur de ta voiture |”

ils allaient dîner, au Kram ou à la Goulette, un restaurant de poissons juste au bord de l’eau
dans le grenier, la remise à laquelle on accède par une petite porte arrondie, au milieu de l‘escalier, au dessus d’une armoire il semble qu’on ait trouvé là des lettres, des photos et un cahier – la couleur de la couverture n’est pas précisée – dans un carton, on les a déménagés et on a remis à l’intérieur, sur la planche du bas, le carton dans l’armoire quand elle a été remontée en Italie

il y a eu les événements et il a bien fallu qu’ils déménagent – aucune idée de la façon dont ça a pu se dérouler – F. avait les cheveux gominés, noirs, peut-être peignés une raie sur le côté il sentait le vétiver et aimait les vêtements de cachemire et les foulards de soie – dans le souvenir il est impeccable, veste de lin doux chemise de couleur tendre sourire agressif sûrement – jamais réussi à savoir sa nationalité, Italie Libye Tunisie ailleurs encore, jamais su

la maison de Frosinone elle aussi était chaulée, on accédait à l’étage par un escalier extérieur : le premier étage était indépendant – vignes et oliviers, un rosier devant chaque rang de ceps – au loin, là-bas, la mer auprès de laquelle on mangeait des granites après le bain et la douche – citron ou fraise –

F. avait aussi la réputation d’être violent – avec sa femme – avec ses employés – certes c’était une autre époque – d’où viennent ces bruits ? comment se crée une réputation ? qui peut savoir ?  – longtemps peut-être durant une vingtaine d’années c’est là qu’ils vécurent sans enfant – il y avait dans la buanderie du rez-de-chaussée à laquelle on accédait par la cuisine, remisée cette vieille armoire, à l’intérieur des vieilleries – là le carton, il a bien fallu qu’ils déménagent les meubles – sa femme le traita ainsi qu’il l’avait mérité lorsqu’il s’éteignit (crabe au colon) (marrant comme les mots prennent un double sens) (il avait cet esprit plus ou moins colonial – ses employés l’aimaient bien, paraît-il – dans le souvenir, mais le seul vraiment présent (et probablement faux mais on s’en fout) il pelait sa pêche avec un couteau et une fourchette)

il a bien fallu qu’elle entrepose les meubles quelque part lorsqu’elle revendit la propriété à l’un des contremaîtres – elle ne pouvait plus supporter de vivre là elle n’avait jamais aimé ni la campagne ni la terre ni ces satanés vignobles – et encore moins ces oliviers tordus par les ans – et puis c’était trop loin de Rome – c’était vers la fin du siècle précédent je ne sais plus qui y alla pour déménager quelques choses ici ou là, reprendre le miroir, les objets auxquels il tenait, non, je n’ai rien pris de particulier* mais le carton est toujours quelque part, dans un grenier, une grange, le fond d’un garage – l’armoire a été remontée dans un appartement via di Ripetta au 22 je crois – elle a disparu, ce siècle avait cinq ans

il y a une ombre, un fantôme, une goule, quelque chose qu’on cache – même si on cherche à (se) la cacher, elle réapparaît – c’est là et ça ne partira jamais – partout des images – partout des portraits des gens (ou des lieux) qu’on aime sans les connaître (ici l’un d’eux)

 

* : mais si, sa montre, une Piaget automatique calibre 51 (le fond blanc en était cassé) (réparée, des chiffres romains y indiquent les heures, le 4 est s’écrit IIII)

Album (dispersion,… ) (7)

 

 

 

 

sait-on jamais ce qu’on est en train de faire ? je regardais ces images, un jour, j’ai continué (j’ai dû découvrir – si ça se trouve – une pile de magazines dans un coin (se fut-il agi de « Lui » ou autre joyeuseté plus libidinale, y aurais-je attaché (tant d’) importance ?) (je veux dire 7 billets, ça commence à faire) (je vais te créer un lien, t’en fais pas) (les visiteurs, les futurs acquéreurs, les passants, les oisifs (qu’ils – ou elles – soient femelles ou mâles) (on s’y perd, hein) les intéressés, les habitués et autres ectoplasmes planant dans les parages du lotissement ne m’en voudront pas, j’espère : je ne garde que ceux (et celles) que j’aime) (quoique parfois, je cède à l’actualité mienne) il y avait le goût du décor (comme au cinéma : longtemps ici, je parlerai encore de cinéma – notamment « Mon cher enfant », sans doute la semaine prochaine – on posera le billet quelque part entre la cuisine (où la famille s’alimente) et la chambre – dans le salon, le père consulte internet et facebook – mais nous verrons) – je récapitule, sur les oreilles je porte casque diffusant une musique que j’aime (rien ne peut, jamais, se passer sans musique) (je veux dire au cinéma – le film sans musique, c’est presque une honte – par exemple les frères Dardenne (qui produisent pour partie ce « cher enfant ») n’en posent guère dans leurs réalisations) – « Shine on you, crazy diamond » chante le groupe – et c’est ainsi que je commence

 

la légende est inutile (quoi que je ne sache pas qu’on reconnaisse ici le garçon) (je pose une étoile (*) laquelle renvoie à l’énoncé du nom de l’artiste – je ne vois pas qu’on le reconnaisse sur l’image)

je n’ai lu que peu de choses sur cet Anthony-là (je l’ai adoré, pratiquement, dans la Strada (Federico Fellini, 1954) ( la verve et la grâce de Zorba le grec (Michael Cacoyannis 1964))

les images viennent dans un ordre que je connais pas (il n’y en a pas) – ici, je reconnais que l’affaire est tremblée (ils sont sept et mercenaires (John Sturges, 1960) toute ma jeunesse sans doute (je l’ai vu au Pax) (la musique magique) – en numéro 2, Steve McQueen, avant dernier en noir Robert Vaughn – en premier le chauve Yul Brynner (et les autres, Charles Bronson, James Coburn (sans doute le dernier, là), Brad Dexter et Horst Buchholz) (c’était à A., rue des Otages, l’immeuble a été détruit, remplacé par un commissariat de police (partout et justice nulle part) (je dis ça pour aujourd’hui, 19 mai où ça défile dans la rue, envie de gerber) ici un chanteur

le premier (*) chanteur (ils font le même métier) était Julien Clerc – ici on a droit à Gérard Manset – (son Manteau Rouge) ah bah

Jacques Audiard (on vient de voir Dheepan, palme d’or à Cannes en 2015 – c’est pour ça – mais cette conjonction qui me fait frémir : le carnage de Charlie hebdo, de l’Allée verte Nicolas Appert en janvier : où en était-il, en montage ?) (entendu parler avec Michel Ciment) (et non, je ne l’aime guère – tant pis) un autre chanteur, Rachid Taha

(on aura remarqué que : 1. la nappe de la table de la salle à manger de la maison[s]témoin est jaune (il s’agit d’une toile cirée); 2. il n’y a encore que des représentations mâles)

hasard objectif, voici Simon Abkarian (qu’on avait aimé dans Djam) (Tony Gatlif, 2017) (un film gréco-turc…)  (un de mes héros que je croisais au tabac qui fait le coin de la petite rue (en impasse donc) où on trouverait un musée de la poupée – vers Rambuteau (impasse Berthaud) – s’il venait à l’idée saugrenue d’en rechercher un) un type extra – et voici, extra aussi, une réalisatrice, dessinatrice

on l’aime beaucoup, Marjane Satrapi (Persepolis, entre autres – prix du jury, Cannes 2007)

Léo et sa musique – je croyais que c’était à Monte-Carlo (où il naquit) mais non – c’est à Montreux – de la même manière je confonds : pour Marjane je pensait qu’elle était l’auteure (elle en aurait été tout à fait capable)  des Hirondelles de Kaboul (mais c’est Yasminha Khadra) (réalisé ciné d’animation par Zabou Breitman)

ah la la Maria Casarès… (après ça va être difficile, hein Mélanie…pfff)


ici dans le rôle de Marguerite (alors Antelme) Duras dans « la Douleur » (faut que je le lise, ça fait partie des  obligations) porté à l’écran (comme on dit) par Emmanuel Finkiel, (2017) mais je ne l’ai point vu – dommage ? je ne sais…

un chanteur, Christophe, « les mots bleus » et les autos de sport – salut l’artiste

et puis Blaise Cendras (cette image, ce visage qu’on ne connait que peu) (si tu veux que je te dise, c’est surtout pour ça, ces images, pour les reconnaître si par hasard on les croise) (dans la rue, ou au cinéma) (juste pour savoir que ce sont elles et eux)

quelque chose de la Révolution incarnée (on l’aime assez, encore, Adèle croisée aussi au bar-tabac de Jourdain, un jour – qu’est-ce que ça peut faire ?)

c’est Ingmar Bergman photographié par Irving Penn (merveilleuse image hein) (fait penser à ce matin où j’écoutai, avec le café, une photographe qui disait que « les stars n’aiment pas la photo » – elle les traque – comment aimer un prédateur ? comment vivre sans image de soi, aussi, quand on est actrice (ou teur) chanteur (ou teuse) – il faut fermer le poste avant sept heures moins cinq en vrai) – et puis

Marceline (Loridan Ivens) qu’on a déjà vue ici (ça ne fait rien) – et pour finir, l’une de mes héroïnes (il en est d’autres, mais elle, Anna Magnani…) (dans la Voix humaine, texte de Cocteau pour le théâtre – mise en scène Roberto Rosselini, 1948, première partie de L’amore)

magique

 

la photo d’entrée de billet est de Denis Pasquier.

 

Les divers billets (au nombre de six) qui constituent cette dispersion se trouvent ici.

 

Couleurs

(de face, c’est tout moi)

 

 

Je me souviens que lorsque je lisais la biographie de Nicolas de Staël

(ici Agrigente) j’avais été m’entretenir avec Marie-Claude Char pour melico (un site créé pour exercer et faire vivre la mémoire de librairie contemporaine, assassiné par un prince du discernement) – je me souviens parfois de choses diverses (il y avait aussi la bio de son René dans le même genre – par le même biographe, Laurent Greilsamer) ici des fleurs rouges

il y était question de la maison d’édition qu’elle avait créée (avec son amie Michèle Gazier) nommée des Busclats – je n’ai rien oublié  je sais que c’était au café du coin Bonaparte la place – ce n’était déjà plus le divan en face – depuis bien longtemps Marguerite ne vivait plus dans le même pâté de maisons – ici une fenêtre de Pierre Bonnard (et Jipé ne vivait plus au dessus non plus, depuis bien longtemps)

je me souviens qu’alors j’avais autant qu’aujourd’hui dans certains états mis mon âme – je ne parvenais pas plus qu’aujourd’hui à écrire – j’avais dans le tiroir des post-it – je voudrais parvenir à oublier, tu sais, mais non c’est là – c’est là, le chêne ou le taxus bagata qu’il avait planté pour les filles, et la fin abjecte assénée par son épouse (souvent j’ai désespéré de trouver quelque chose à écrire à ce sujet-là) – une autre fenêtre, de Guiseppe Abatti

alors bien sûr je vaque d’ici à là, parfois à tenter de retrouver Norma, de reprendre l’histoire du parc, tenter de retrouver le fil de la maison

je dispose des images, il m’arrive de les tailler un peu, j’en prends ici ou là, j’en vole j’en taxe – ici ce magnifique reflet dû à Nathalie Holt

je rapporte ici les images que je trouve dans les divers voyages que j’effectue sur les pas par exemple d’Olivier Hodasava – j’en prends parfois d’autres, je voudrais raconter des histoires en un sens – le bois

(ça se passe en Russie, du côté d’un bled nommé Briansk) (il pourrait s’agir d’un voyageur qui raconte quelque chose à un autre, lequel en fait part à un troisième) – ou les drapeaux (« c’est la voix des nations et c’est la voix du sang » disait Brel)

(Las Végas, les étoiles il y avait dans les soutes de Walt Disney un Diego de la Véga – Diego de l’Étoile, le Zorro du jeudi après-midi dans le poste) (nous n’avions pas conscience de cette guerre froide alors; nous ne ressentions pas cette peur qu’on explique parfois, encore aujourd’hui, de la bombe et de la troisième guerre mondiale : ce spectre s’est évaporé, nos parents y croyaient-ils ?) – ici ailleurs encore

(ce minuscule trait noir, bord cadre en bas à droite, cette marque, ce trait blanc : le premier (ou le second ?) manifeste du surréalisme indique en première page « la pensée ce trait blanc sur fond noir » (pourquoi pas bleu, pourquoi pas un aéronef, pourquoi pas celui qui nous amenait sur ce continent ?) des images d’étoiles

et de fleurs, bouquets joliesses et couleurs – une espèce en vie – un autre bouquet

je croise mes fantômes souvent, ici Violetta Para

et son « Merci à la vie » sans cesse chanté, fredonné dans un matin de soleil (ça ne fait rien, Victor Jara et ses quarante quatre balles dans le corps, ça ne fait rien « Le bouton de nacre« ),  il y a dans le cinéma cette foi et cette tentative de se souvenir et puis la lumière s’allume, on sort – pluie soleil nuit ou brouillard, le monde est là et du film il ne nous reste rien que ces quelques sensations sentimentales –

héroïne des temps modernes (au deuxième plan, le type badgé garde l’attitude de son genre, une femme porte à sa bouche souriante sa main fermée surprise, une autre – elle porte une statuette en main, un de ces césars qu’on attribue ce soir-là – semble sociale-traître – tu te souviens, social-traître ?) Adèle oui, merveilleuse héroïne tout autant – d’ordinaire (cet ordinaire-là qu’on cherche) mai commence vers le dix par Cannes (les accréditations de Béatrice, le studio de Claude Beylie, le jury où les élèves de la Fémis (et Renée Blanchard) ont une voix) et se termine par Roland Garros (il s’agit d’un aviateur qui le premier traverse la Méditerranée sur un monoplan, je crois que c’était avant-guerre) – oui voilà, c’était ça aussi, ce billet : la guerre (froide ou non) cette affaire d’hommes, n’est-ce pas ? Entend-on encore parfois un « ce qu’il leur faudrait, c’est une bonne guerre ? » – alors elle pouvait être bonne, et elle le redevient, la patrie la nation, il y avait cette tendance qui présidait pour poser ici des couleurs – ici c’est à Honfleur

certains vont jusqu’à se supprimer – faire partie d’un grand tout –  et puis les images et les écrits, alors j’ai gardé pour la fin, une fin bien éphémère, cette trahison et cette image qui fait monter la rage

(le sociologue Edgar Morin et Dominique Voynet pour compléter la légende) c’est cette semaine que ça a eu lieu – ici, dans ce si beau pays – et tu crois qu’on va oublier ? on sort de la salle (le film était bien), il fait doux, son bras au notre, on marche, il fait doux – on avance, alors – on avance sans trop rêver, sans trop se leurrer – il est tard pourtant – se hâter, oui, pour raconter et faire revivre ces moments joyeux – vive le cinéma ? – allez une dernière

 

la plupart des images des tableaux de Nicolas de Staël taxées chez le frangin

add. de dix heures du matin :
en même temps – ou du coup – ou en fait – ou voilà – ou genre _ ou en mode – ou jveux dire – ou j’allais dire – ou on va pas se mentir – ou bien d’autres choses encore, sur la photo d’entrée de billet que je repose ici

(les pieds des danseurs y sont coupés c’est pour ça) ils sont trois de face – on a juste à choisir (un indice : je ne porte de marcel qu’avec manchettes) (sauf à Rome, bien sûr)