Il y a une faille

Il y a une faille. Dans la toile bleue de l’univers. Un accroc vivant et inquiet comme un regret impénitent. Il y a cette béance à travers laquelle je respire, ces jours de trop grande affluence  où les portes me tiennent lieu de douane. Et je ferme la frontière du monde pour m’agripper à cette issue. En ce moment, je la repasse. Vois comme elle soupire sous le fer, la vapeur s’éprend de ses fibres et je m’applique sur les lisières, précisément là où, de temps en temps, l’étole rebique, se rebiffe, crolle.

Je le raconte aux oiseaux. Des corbeaux au plumage humide, qui picorent le linge défait, ratatiné dans l’odeur de frais émanant de la malle. Je me contente de leur présence. Depuis que j’ai perdu le sillage des anges qui traversaient quelques fois jusqu’à moi. On n’est jamais digne d’un verre d’eau et j’ai osé le refuser.

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Souvent, je regarde au-delà. Partout, à tout moment. Bien sûr, les souris me voient refaire les lits de ces gestes amples, avatars d’une liberté publicitaire. Elles ne soupçonnent pas un instant que je déploie un horizon, une prairie, un lac, un mont.

Je me confie au léopard, souple chaleur au pied du lit. Je veux bien qu’il lèche mes mains, mais juste le soir, en ronronnant. Les griffures d’ambre sur son pelage me réjouissent. Je sens des tenailles et des crics  bourdonner dans mon ventre sec. Et je fourrage dans ses poils pour deviner l’odeur des jungles bruissant sur le plafond éteint.

J’envie cet autre côté, je le regarde fébrilement, parfois sous les yeux de l’orque de baignoire – Comment fait-il pour vivre dans un si petit espace ? -. Je le projette dans mon miroir et là les océans grignotent des remords d’îles et de fjords efflanqués.

Dans ma malle, les torchons s’accumulent, les serviettes de bain s’empilent, un oiseau trône sur la colonne, petit stylite  impassible. La table se couvre de mouchoirs, damier de couleurs variées. Ils n’ont en commun qu’un serrement, une chiffonnade, un épanchement. Ils ont le compte des sanglots. Je les efface à coups de fer.

De l’autre côté, un chat danse. Ses pattes sont dorées comme ce rire, le tien peut-être, qui sonne l’angélus dans ma tête. Je voudrais tant le caresser, je l’attire avec du lait et des senteurs de cuisine rousse. Jambe de sable d’Italie. Mais il ne vient jamais ici. Alors, je lisse les plaies de la faille. La cicatrice est toujours vive. Comme moi, te souviens-tu que je t’aimais ?

Florence Noël

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