visite virtuelle #2 la Salle d’Eau

 

 

Ce sont deux éviers, deux lavabos, deux vasques, l’une et l’autre dominées par des produits étiquetés codes barres prix qualités compositions emplois, baumes, crèmes, douceurs et satin, beauté et hygiène, extraits et concentrés, ou plus haut placée cette quintessence parfumée, et aussi mousses précipités appareils et émulsions force senteurs, essences et et et… vérification immédiate sur le support de faux argent par des yeux exercés et depuis longtemps rompus à ce type d’exercice -plutôt matinal, mais n’anticipons pas.

Séparer les usages, comme il se doit des genres (sauf à certains moments capitaux que, comme disait le poète, « ma mère m’a défendu de nommer ici ») (il parlait, certes, d’autre chose) : si ici se trouve le masculin, là sera le féminin (on choisira comme on aime préfères-tu, chéri-e être proche de la fenêtre ou …?  – on pensera (plus tard, nous avons le temps) à poser sur les vitres de celle-ci un film, opaque, de préférence à un tulle peu imperméable, afin de ne pas provoquer quelque atteinte à la pudeur, de ne pas choquer un voisinage semblable pourtant en tous points, mais justement cesser de s’identifier et les vaches -hors du lotissement- seront bien gardées…)

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Cette maison nous est proche parce que nous la partageons ; nous accueillons ici des couples (jeunes) (ou des vieux, si elle se trouve de plain pied)  : en salle de bain, certains sont  des habitués (on pense naturellement -naturellement, ce naturel-là est ici marqué au coin de l’usage, de la présence, de l’habitude- à la scène d’ouverture de « L’Arrangement » (Elia Kazan, 1969) (on ne se refait pas, comme on voit, et même s’ il y a pas mal de choses dans la vie, il y a le cinéma, aussi)  d’autres sont des novices un peu comme en amour : faut-il apprendre ou se lancer, tempérament ou caractère, friction fusion, se jeter ou attendre ? Deux visions du monde, insuffisantes peut-être, mais un homme et une femme (et s’il se pouvait qu’il en arrive deux du même genre pour partager cette antre, qu’en dirait le courtier -la courtière – la (ou le) « commercial-e » ? Mais rien. Rien. Non, rien de rien -sans en penser moins, évidemment – : vendre, vendre vendre voilà tout) (comme il est bon de partager le monde en deux, ici l’ombre, là la lumière) différences, onctions, soins de beauté, d’esthétique ou d’hygiène, on partage, il en est aussi ainsi des taches, la lutte pour les places, ici on est nu et on abolit dans l’omission besoins, efforts, tensions chaleurs vapeurs humeurs odeurs pour ne se consacrer qu’à une certaine apparence, s’oindre et se masser, se regarder et rectifier l’alignement des cheveux, du derme des ongles, des rides…

Ici, comme ailleurs dans cette maison, trônent, feulent, passent et disparaissent certains fantômes (on vient d’y croiser Kirk Douglas et sa femme du moment, Deborah Kerr -on emploie leur patronyme à la ville, peut-être ne sont-ce, comme pour Kazan, que des pseudonymes dus aux raccourcissements produits par les gardes d’Ellis Island – on y a vu pratiquement nu (« Allons, mon père ne faites pas l’idiot » disait-il)  Burt Lancaster en guépard, on y verrait sans doute (inutile de convoquer Sir Alfred, son « Psychose » (1960) et Janet Leigh, magnifique comme dans « La Soif du Mal » (Orson Welles, 1958) interprétant cette jeune madame Vargas) encore cette autre jeune femme qui remplace, pour sa grand-mère -qui ne passera pas la fin du film- une baignoire par une cabine de douche -la grand-mère est Claude Gensac, la jeune fille Salomé Richard, le film « Baden Baden » (Rachel Lang, 2016) (à la rigueur) , d’autres encore et tant d’autres hommes ou femmes, enfants ou chiens chats, qui jouent ici quelque chose de la vie réelle et tous les jours vécue par nous-autres, simples mortels à la connaissance binaire oui ou non, y aller ou pas , laver, curer récurer, et rincer, couper, poncer, nettoyer et jeter, frictionner puis détendre, caresser, effleurer, pincer, choyer puis épiler, comparer, regarder à nouveau l’effet au miroir, se reconnaître ou se haïr, un coup de rasoir ici un autre de peigne, là, prêts pour la jungle ou seulement le jardinage, décidément ce monde et cette maison…

Une réflexion sur « visite virtuelle #2 la Salle d’Eau »

  1. (fou tout ce qu’on voit dans les miroirs de cette salle de bain, du travelling grand angle je dirais) (pour donner une idée, mais sans savoir si ça existe techniquement) (enfin c’est du travelling avant arrière c’est sûr, avec des angles sacrément grands) (et nous aussi on y est quand on frotte la buée) (avec ce bruit caractéristique qui doit bien s’entendre dans un film mais je ne sais pas lequel) (un western je dirais, avec Henry Fonda, c’est possible ?)

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