Vendredi 2 : marcher (carte postale)

 

 

souvent en passant sur le pont, celui sous lequel hurle les loups, c’est juste et simplement beau – au Change – on passe, les touristes avancent à l’envers photos selfies la conciergerie, là, au bord du fleuve qui charrie pas mal ces temps-ci, ils sont venus – il y a quelques difficultés mais on oubliera vite – un événement en dégage un autre – il n’y a pas une semaine le passage en force des abrutis du cinéma – des hommes, le pouvoir et la haine – ça commence à ne plus être possible et elles ne leur marcheront même pas sur la gueule comme ils ont marché sur elles, cependant – le mot de Virginie Despentes avait de la classe comme on dit quand on parle de la lutte – formidablement juste – il y a des morts dans la rues, il pleut, ça s’étend, on s’est mis en grève dans les universités et on voit ce qui se passe dans les hôpitaux – on voit ce qui passe dans les âmes des gens quand les maternités ferment, les unes après les autres, de plus en plus loin, on n’attend pas d’enfant, on n’en veut pas : un monde comme celui-là, le leur donner ? Non merci…
Souvent, en passant sur le pont, je prends une image – je ne m’arrête pas je ne veux pas faire le touriste probablement – j’ai du mal à lire en moi souvent, je marche, oui, mais pour m’arrêter, il faut un but – je marche, je photographie

ce serait beaucoup plus beau si on disposait du point – mais non, je passe, j’impressionne, je ne veux pas qu’on me voie, je ne veux pas qu’on m’interroge – j’ai peur certainement des autres comme au cinéma je ne prends plus d’image – je ne suis pas à égalité avec les gens, je suis perdu déjà – je vois le fleuve et je me demande la frontière vers Lesbos, l’ignoble cynisme de ces dirigeants – ils se rencontrent aujourd’hui, chez l’un va l’un chez l’autre viendra l’autre – jets privés, valets de pieds et ordonnances – je me souviens du visage de ce type, voilà trois ans, qui portait la valise du numéro un mondial et souriait au bras de celui qui recevait son excellence Donald T. – le déclenchement du feu de dieu

tu te souviens – je me souviens : peu de choses, le fleuve qui s’en va à l’aval, les mouettes qui rient, ma ville, ses ponts, la fin du jour, je me souviens – tout à l’heure sur le boulevard, une femme avançait avec un peu de difficultés – quelque chose comme quatre vingt cinq printemps fermement mais boitillant un peu – manteau bleu foncé sur jupe grise cheveux serrés mocassins plats fatigués bas opaques au bras tenant à main gauche cabas de cuir au creux du coude et un exemplaire du figaro, à main droite le parapluie, elle traversait la rue des Saints-Pères, au fond il y avait le fournisseur en chocolats de la cour – dans ces quartiers, ils ont oublié le changement de régime, TNPPI y vivait : comme ma poche il m’est familier – elle marchait sur le trottoir, j’ai adapté mon pas – je me disais elle va entrer dans un immeuble, lequel à ton idée ? parce que c’est sûr, elle était arrivée, alors lequel, puis j’ai repris mon pas : non, pas celui-là… – j’ai vaguement précisé son profil – à ses tempes passait sa teinture – au 198 elle entrait posait sur le concierge électronique un badge hésitant : elle avait disparu – sur le boulevard il ne pleuvait plus – c’était un matin – sur le pont, je suis passé, sur la rive droite, il y avait l’ange

j’avançai vers mon destin comme à l’accoutumée – je marchai en ville  – à l’esprit cette chanson qui dit « et loin de nos villes / comme octobre l’est d’avril » il était six et demi trois de mars – une autre image 

il n’y a pas le point, il n’y a que la vue 

Une réflexion sur « Vendredi 2 : marcher (carte postale) »

  1. il y a la beauté, la nécessité, la tristesse discrète puisque cela dure et durera des mots comme de la ville (et la petite nostalgie d’une qui a bien connu aussi la marche dans ces rues et le regard qui passe mais s’attarde malgré soi sur ce fleuve)

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