épisode 14, dessin

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Retourner vers l’enfance, se tourner vers la maison d’enfance, y surprendre autre chose que de la nostalgie. Une force, une sorte d’invincibilité. Une soif, une avidité de comprendre et d’agir, les yeux ronds, ronds comme des roues de charrette, ronds comme les grandes roues des foires du trône, écarquillés comme dans le conte où des yeux gigantesques aperçoivent le tranchant d’une épine depuis une distance extraordinaire pour aider le héros à passer une épreuve.

Et puis tracer. Coopérer. On dessine toutes les deux aux moments de flottement, lorsqu’on nous donne le droit de faire ce qui nous chante, sur la même feuille une rue, elle fait des visages singuliers, chacun une coiffure différente et je fais les décors, les murs, les lampadaires – je n’en ai jamais vu « en vrai », sur la route pour venir à l’école il n’y a pas de lumière la nuit, c’est un village, je tiens ma connaissance des lampadaires d’autres dessins que je regarde yeux ronds dans d’autres temps de flottement. Parfois on se décale. J’ajoute des détails sur son côté de feuille, elle complète le mien. Et au final tout se tient, une longue rue pleine de passants. Notre technique est telle que nous les faisons de profil, parfois un chien de face. Pour les autres enfants, à ce que je peux en voir, c’est l’inverse (chacun sa feuille, tout le monde de face et les chiens de profil). Je fais les poches, les boutons des manteaux. Elle place une poussette et un passage piéton. Je ne sais plus laquelle, après avoir installé les fenêtres aux jardinières fleuries, s’attaque à dessiner le ciel. Des nuages bien cernés, aux courbes parfaitement rondes, guirlandes. Hier, comme la lumière d’hiver arrivait bas, le dessous des masses allongées brillait et le dessus, violet et sombre, paraissait irréel. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue, ma voisine d’encrier. Peut-être comptable – elle était très sérieuse et très organisée, le côté de sa feuille n’était pas chiffonné et sa main savait s’empêcher de frotter l’encre, moi ça bavait. D’ailleurs si je cherche son nom sur grand maître google je vois qu’aujourd’hui elle « dirige 2 entreprises (2 mandats) ». Il est possible qu’elle ne dessine plus, c’est logique s’il lui manque les moments de flottement.

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2 réflexions au sujet de « épisode 14, dessin »

  1. souvenirs… nous étions trois, pas dns même école (deux couvents)) et ne dessinions que pour accompagner le roman que nous écrivions tous les jeudis chez l’une ou l’autre avec grand séreux et quelques controverses

  2. c’est bien ça, le « comme ça nous chante » et cette liberté qui s’attache (parfois) aux chansons – justement oui… – et à l’amitié aussi, oui

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