Sur le toit près de la cheminée

cheminée 7.5.16

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Je ne suis pas ramoneur ni père Noël, je suis donc monté sur le toit près de la cheminée. Il y avait cette antenne râteau qui ne fait décidément pas moderne (on préfère les soucoupes non volantes dirigées toutes dans le même sens).

Les pigeons les adorent, j’admire toujours leur art de l’équilibre : c’est comme pour un programme télé, un doigt d’amusement, un doigt de politique, un doigt de jeux, un doigt pour les malentendants.

Le vent soufflait fort et les tuiles étaient un peu glissantes. J’entendais le bruit d’une sorte de courant continu qui sortait des barres parallèles en métal. Je me suis demandé si ce genre de dispositif servait aussi de paratonnerre (est-ce que cela existe encore ?), en cas d’éclairs toujours difficiles à saisir en photo.

Après tout, depuis cette altitude, on aperçoit toute la campagne environnante : quelques bovins paissent au loin (in pace), les champs sont clos, à chacun son pré carré et les vaches seront bien gardées !

Il n’y a pas de loups dans les environs car je n’ai pas vu de brebis : c’est sûrement plus haut que quelques rares bergers (une espèce en voie de disparition) veillent sur leurs troupeaux, avec leurs chiens affectueux, et le fusil de chasse en bandoulière.

Le vert des prairies contraste avec le bleu gris du ciel : c’est là que se bousculent les moutons.

J’avais emporté ma scie égoïne, j’ai sectionné la base de l’antenne. Ici, personne ne regarde plus la télé, car l’idéal serait d’en créer une soi-même (une « télé libre » comme lorsque Mitterrand en 1981 ouvrit la porte aux « radios libres »). Plus besoin de passer par Bolloré et autres magnats de la presse.

Je sais qu’on est surveillés, et que notre maison est dans le collimateur de la gendarmerie. Des « témoins » passent de temps en temps pour essayer de voir ce que l’on concocte à l’intérieur. Ils doivent penser que cette habitation est une sorte de succursale de la bande à Julien Coupat.

Maintenant, je redescends par l’échelle en bois, j’ai jeté l’antenne en bas depuis le sommet du pignon. Je ramasse les morceaux, on ira les porter à la déchetterie (oui, on respecte l’environnement).

Cet après-midi, ça m’occupera, je vais me mettre un film en DVD dans le lecteur : A Hard Day’s Night (Richard Lester, 1964).

Je dois dire que c’est l’élection de Sadiq Khan, le nouveau maire de Londres, qui a déclenché cette idée. Des images du « swinging London », et enfin une nouvelle qui fait plaisir !

Tous les occupants de la maison-témoin sont partis faire une randonnée : là, je suis seul, tranquille, juste en compagnie des Beatles. Le temps devient de plus en plus sombre : est-ce que cela ne va pas tourner à l’orage ?

texte et photo : Dominique Hasselmann

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En une poignée d’heures, le temps d’un passage du noir au blanc sans tabac et d’un volte-face dans l’effroi, j’ai été amené à faire une croix sur mon passé, sur mon avenir aussi d’ailleurs, et c’est à cet instant, bien que groggy, sonné, engourdi et alors que le jour (qui se fout de savoir comment on s’est levé, si on s’est levé, si on se relèvera) nous aura vu titubant quitter la baraque où le plan avait été punaisé au mur et progresser en direction du terrain où les trois Force projetaient alors de bâtir la maison-témoin, que j’ai compris – vue trouble, entrailles couinantes, épaule amochée – à quoi allait désormais ressembler mon existence, mon quotidien (une nuit interminable) et grâce à quel trou on me ferait disparaître de la circulation sans que je pusse en finir avec ma vie.

Ainsi, pendant des mois ont défilé architectes et chargés de bureaux d’études, ingénieurs du projet économiste de la construction, des sites et sols pollués, géotechniciens, conducteurs de travaux, chefs de chantier et leurs ouvriers, contrôleurs techniques, spécialistes du gros œuvre, de la couverture, de la plomberie, du chauffage, de la peinture, des cloisons (fausses, doubles, creuses), ceux de la voirie, de l’éclairage, de la signalisation, des réseaux d’eau (eau potable, tout-à-l’égout, eaux pluviales) et des réseaux secs (électriciens, gaziers, techniciens du téléphone, de la fibre optique). Tout avait été si bien pensé par les trois Force que chaque jour je découvrais de nouvelles têtes, de nouveaux corps, de nouvelles odeurs corporelles, de nouvelles fonctions, voyais revenir des métiers disparus, observais de près des outils que je ne connaissais pas, cherchais les différences entre les casques, les lunettes de protection et les salopettes, les chaussures de sécurité et les chaussettes, suivais les allées et venues des chefs et des sous-fifres, des précaires, des contractuels, des sans-papiers, des apprentis, des travailleurs clandestins, des intérimaires, des forts en gueule, des qui encaissaient ou se faisaient tabasser, des suicides déguisés, des minutieux, des cache-misère, des violeurs, des amoureux du travail bien fait, des harcelés, des traîne-savates, des cracheurs, des tatillons, des professionnels de la débrouille ou de la dissimulation, des menteurs, des taiseux, des types impeccables, classais par corps de métiers ou par ordre alphabétique, de A à Z, ensuite dans le sens inverse puis, une fois le jeu des sept familles fermé, une fois les familles composées, prenais un plaisir à mélanger plâtriers, charpentiers, tonneliers, huissiers, carriers, enduiseurs, terrasseurs, ficheurs, raboteurs, tourneurs et lambrisseurs, terrassiers, façadiers, cochetiers, charrons et charretiers, poseurs, contre-poseurs, pinceurs, coffreurs, bardeurs, louveurs, piqueurs, plafonneurs, rocailleurs, faiseurs de nez, chaufourniers, cimentiers, fontainiers, tailleurs de pierre, scieurs de pierre, peintres, plombiers et chauffagistes, chauffagistes et plombiers, manœuvres, limousins, maçons, scieurs de long, corvoyeurs, briqueteurs, soucheveurs, carreleurs, huchiers, marbriers, menuisiers, miroitiers, serruriers, verriers, parqueteurs, adoucisseurs, treillageurs, batteurs, couvreurs-zingueurs et même un fumiste dont la présence n’avait rien à voir avec la supposée cheminée puisque non prévue dans le plan et absente sur les plans mais avec moi – sa mission étant de m’empêcher de fumer dans les murs (et c’est d’ailleurs depuis ce jour-là qu’on commença à me surnommer « la cheminée »).