Carte postale de Babylone (2)

 

 

 

 

il y a un moment où je me disais qu’il serait utile au monde de supprimer je ne sais quel potentat (l’embarras du choix, certes) pour profiter d’une retraite privée de liberté mais aux frais de la princesse comme on disait (à l’heure où les indemnités de retraite se réduisent et où l’âge d’y parvenir s’éloigne dans une brume épaisse et épidémique) (ça aurait donné un bon moteur à une action) et puis j’ai cessé d’y penser – j’ai regardé des images

le beau Danube avant qu’il ne se jette, bleu, dans la mer, Noire – Bulgarie, Roumanie, ces contrées lointaines et inconnues (de moi) (ma mère avec son frère y furent  voilà plus de quarante ans, ah j’ai oublié)

au loin, l’île de San Giorgio Maggiore – le scintillement du soleil et la bâche au premier plan intitulée – des voyages, partir, « fuir là-bas fuir » disait le poète

ici le bac qui rallie les deux rives de la Volga à Nijni-Novgorod (c’est en Russie)

là une officine qui vend des sandwiches au sud ouest de Londres (UK) (STGME2 s’est fait vacciner, t’inquiète) (son prince consort de mari aussi) (pour le pape, pareil), Portslade Road, une rue normale d’une ville immense, peut-être mais aujourd’hui, où en sommes-nous ? avec nos maxs, nos gels, nos distances sociales (qualificatif de maçon) nos vaccins nos maladies estampillées en anglais, masculin féminin et après ? – laisse, allez ça va passer –

une femme fume à sa fenêtre (nord de Londres, Blockwill road) sans volonté de faire paraître des officines de cuisine (mais je les aime, les turques ou les grecques d’ici – et d’ailleurs, d’ailleurs) (c’est que j’aime à manger dans la rue (il y avait cette chanson de Brassens qui faisait « qu’ce soit en grandes pompes comme les gens bien/ou bien dans la rue comme les pauvres et les chiens ») et les cornets de frites de la porte de Charenton achetés par Francis Lemarque qui à pieds venait en ville)

Istanbul et son Bosphore vu de haut de la rive asiatique, la porte de Léandre, la chaîne qui empêchait les bateaux de passer du temps où elle s’appelait Constantinople, ou Byzance – partir oui

pour finir cette enclave chèrement acquise et gardée par des jardiniers bruxellois qu’on salue (nous aussi, passionnément) (on ferme à six, on rouvre à six, on végète en appartement, en maison, en prison, en asile, on se repose on pète des câbles, des durites, des plombs – on aime à nous savoir inquiets et on nous abreuve de chiffres – on tient le coup,oui, certes, mais jusqu’à quand ?)

 

 

Sur le toit près de la cheminée

cheminée 7.5.16

(cliquer pour agrandir.)

Je ne suis pas ramoneur ni père Noël, je suis donc monté sur le toit près de la cheminée. Il y avait cette antenne râteau qui ne fait décidément pas moderne (on préfère les soucoupes non volantes dirigées toutes dans le même sens).

Les pigeons les adorent, j’admire toujours leur art de l’équilibre : c’est comme pour un programme télé, un doigt d’amusement, un doigt de politique, un doigt de jeux, un doigt pour les malentendants.

Le vent soufflait fort et les tuiles étaient un peu glissantes. J’entendais le bruit d’une sorte de courant continu qui sortait des barres parallèles en métal. Je me suis demandé si ce genre de dispositif servait aussi de paratonnerre (est-ce que cela existe encore ?), en cas d’éclairs toujours difficiles à saisir en photo.

Après tout, depuis cette altitude, on aperçoit toute la campagne environnante : quelques bovins paissent au loin (in pace), les champs sont clos, à chacun son pré carré et les vaches seront bien gardées !

Il n’y a pas de loups dans les environs car je n’ai pas vu de brebis : c’est sûrement plus haut que quelques rares bergers (une espèce en voie de disparition) veillent sur leurs troupeaux, avec leurs chiens affectueux, et le fusil de chasse en bandoulière.

Le vert des prairies contraste avec le bleu gris du ciel : c’est là que se bousculent les moutons.

J’avais emporté ma scie égoïne, j’ai sectionné la base de l’antenne. Ici, personne ne regarde plus la télé, car l’idéal serait d’en créer une soi-même (une « télé libre » comme lorsque Mitterrand en 1981 ouvrit la porte aux « radios libres »). Plus besoin de passer par Bolloré et autres magnats de la presse.

Je sais qu’on est surveillés, et que notre maison est dans le collimateur de la gendarmerie. Des « témoins » passent de temps en temps pour essayer de voir ce que l’on concocte à l’intérieur. Ils doivent penser que cette habitation est une sorte de succursale de la bande à Julien Coupat.

Maintenant, je redescends par l’échelle en bois, j’ai jeté l’antenne en bas depuis le sommet du pignon. Je ramasse les morceaux, on ira les porter à la déchetterie (oui, on respecte l’environnement).

Cet après-midi, ça m’occupera, je vais me mettre un film en DVD dans le lecteur : A Hard Day’s Night (Richard Lester, 1964).

Je dois dire que c’est l’élection de Sadiq Khan, le nouveau maire de Londres, qui a déclenché cette idée. Des images du « swinging London », et enfin une nouvelle qui fait plaisir !

Tous les occupants de la maison-témoin sont partis faire une randonnée : là, je suis seul, tranquille, juste en compagnie des Beatles. Le temps devient de plus en plus sombre : est-ce que cela ne va pas tourner à l’orage ?

texte et photo : Dominique Hasselmann