À propos de So-hee

 

 

July Jung

 

 

on en est (comme souvent c’est le cas) à se demander si les réalisations (sont-ce–t-elles bien des réalisations ?) valent vraiment la peine qu’on se donne à les imaginer, puis en chercher les supports visuels, puis en agrémenter les billevesées, puis encore à la poser ici pour en faire la promotion là, tout ça pour quoi faire sinon nourrir des bases de données dont on nous réclamera le loyer suivant un protocole à base de consentement secret et tu… (à ce propos – je veux dire le loyer – : merci à CJ) – une tribune ? une influence (cette puanteur contemporaine) ? une publicité (pub dans le vieux monde qui n’est aucunement différent de celui-ci) ? Après il y a le cinéma (mais justement, celui-ci n’est qu’une usine à profit, à boite de bureau (box office) (caisse enregistreuse : combien de divisions ? combien de milliards ? et les mœurs du milieu (voir le gros russe, ces temps-ci; on voyait les frères W., on en sait la maxime « il n’y a que ceux qui travaillent qui travaillent », on en connaît les émoluments, les privilèges, les prébendes et les débordements festifs) – tout ça exhale une forte odeur de pourriture mais c’est le cinéma – cent cinquante millions de places vendues l’année dernière dans ce pays…) (il y en avait plus de 400 millions de vendues au siècle dernier, remarque aussi – ça devait rapporter moins aussi, remarque bien) un divertissement pour bourgeois ? on se demande… ça n’empêche pas d’y aller quand même, et lorsque le spectacle (disons) permet d’y voir (un peu) plus clair, autant le dire. Ici, en cette maison (depuis bientôt huit ans, je me retourne) trois cent vingt fois sur le métier (il y faudrait un index) remettre son ouvroir de cinéma potentiel…

 

On parle travail – conditions de travail : ça se passe à l’autre bout du monde, alors les mœurs sont différentes : ce sont de jeunes gens on aime à rire on aime à boire, on aime à danser – la vie est tellement belle et c’est tellement tant mieux… Dans les documents dont je dispose, il n’y a pas d’images de danse mais elle est pourtant là d’abord car le film débute par une séquence magnifique : une jeune fille (son prénom dans le titre du film, So-hee – interprétée formidablement par Kim Si-eun)  c’est elle qui fait signe, là

répète ses pas de danse, une fois dix fois – il y a  là un miroir, la jeune fille en survêtement de sport gris danse encore n’y arrive pas, remet ses cheveux en ordre, essaye encore… Et puis, et puis..
elle est en classe, c’est une lycéenne, son professeur ou quelqu’un de ce genre lui trouve un stage en entreprise : elle est ravie… Elle va pouvoir gagner sa vie, y entrer tout au moins, le monde du travail n’est-il pas celui dans lequel nous passons un bon tiers de notre vie éveillée ? N’est-ce pas le lieu de la dignité d’être humain, de vivre par soi-même, celui de la subordination aussi certes, mais celui du contrat, normalement loyal et sincère ? – on le signe conjointement, on obéit oui mais contre salaire et respect des droits.

Conquis, ces droits comme on sait : combien de morts pour ces idéaux ?

Au vrai j’ai une image d’elle, qui, à un moment, entre dans la salle de danse

Un lieu de vie. Un plaisir et un bonheur de danser avec celui qui pourrait devenir (ou qui l’est, on ne sait pas bien) son amoureux. Et puis les choses changent. Le travail et ses conditions.

les humiliations de la hiérarchie

un pays différent, des repas et des mets dissemblables, peut-être mais une même  humanité blessée, rompue, piétinée – une jeunesse surtout rendue esclave, et le contrat bafoué, inutile, sans effet – comme ici ? eh bien… oui, souvent oui – elle se battra, n’en pourra plus

un concours de circonstances, un téléphone qui ne répond pas, une mémoire effacée, un reniement peut-être : des blessures qu’elle ne parvient pas à soigner (celles infligées à l’âme même…)
Une deuxième époque : la venue de l’inspectrice de police (il y a enquête) (Bae Doo-na, magnifique – elle jouait déjà dans le premier long métrage de July Jung, A gril at my door (2014) vraiment bien aussi)

On cherche à comprendre

On trouvera

mais c’est sans espoir

Le film se clôt par une vidéo, le seul document qui reste dans le téléphone portable de So-hee : elle danse, elle danse dans son survêtement gris, elle danse et danse encore et parvient à réaliser sa figure, et son sourire alors, si radieux

 

About Kim Sohee  un film magnifique, coréen, magnifique de July Jung.