Rien à voler

Dans toutes les maisons qu’il loue, il garde toujours un souvenir du lieu, rien de trop précieux, ou de très visibles, pour ne pas que ce menu larcin puisse être détecté, juste un élément du décor, qu’ainsi enlevé, prélevé de son lieu originel, il peut garder en souvenir avec lui. C’est un acte irréfléchi, instinctif, qu’il n’explique pas ou très mal, rarement en tout cas, un geste qui remonte à son enfance. Il a commencé avec des livres qu’il volait dans les librairies. Il ne les volait pas pour les lire, juste comme un souvenir du lieu dans lequel il était entré. Comme certains emportent dans un petit flacon quelques grains de sable des plages sur lesquelles ils se baignent. Comme toutes ces photographies d’endroits dans lesquels on ne fait que passer, qu’on ne peut garder avec soi que sous la forme d’une image en deux dimensions. En souvenir. Mais ces livres, ces cartes postales, ces bibelots qu’on dérobe ainsi à la hâte, quand on les retrouve chez soi, on a souvent du mal à savoir finalement d’où ils viennent vraiment, qui nous les a donnés ou si on les a volés. Leur origine. Avec le temps notre sens de la propriété s’estompe. Notre mémoire nous joue des tours.

Dans la maison-témoin il est démuni. Il n’y a rien à voler, ce n’est qu’un décor factice, une projection d’habitat. Une hétérotopie. Un espace concret qui héberge l’imaginaire.

« Dans toute culture, dans toute civilisation, des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui sont dessinés dans l’institution même de la société, et qui sont des sortes de contre-emplacements, sortes d’utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels, tous les autres emplacements réels que l’on peut trouver à l’intérieur de la culture sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables. » *

* Michel Foucault, Des espaces autres, Hétérotopies. Architecture, Mouvement, Continuité 5 (1984) : 46-49.