Mercredi, c’est férié (et c’est cinéma), j’ai manqué mon rendez-vous de la semaine dernière, j’ai eu des ennuis, gros, chiants, horribles, et le cinéma est passé à l’as : je n’y fus point, et je n’en regardai point non plus ; au Royal, ils donnaient « Amy » (Asif Kapadia, 2015) mais on n’a pas réussi à trouver l’envie je suppose (il y en avait aussi un autre, « Lolo » (Julie Delpy, 2015) ça n’a pas pris non plus) . On doit à la vérité de dire que je ne suis allé nulle part, sinon bosser et faire le journal, et avec ce chamboulement, j’ai perdu l’énoncé du mot de passe dans cette maison.
J’ai gardé à l’esprit la pyramide que construit le héros du Sacrifice (Andreï Tarkovski, 1986), tout s’en est allé, il faut bien qu’on l’illustre. Je vais perdre mon temps, et mes idées heureuses, à établir pour que l’assurance, en argent, me les rembourse, des listes des objets disparus (livres, meubles, vêtements, vaisselles casseroles…).
J’ai gardé au coeur l’existence de cette maison-là (vingt deux années et toute l’enfance, la jeunesse et l’adolescence des enfants). En fumée, sans l’ombre d’une raison ou du moindre sens : non, évidemment, rien à dire, arracher les objets de la mémoire pour les réduire en cendres, en bouillies, les couvrir de suie, d’eau et de suie, un peu comme ces billets de banque tachés lorsqu’on veut les voler.
J’ai gardé le son tranquille des 4 ou 5 heures du matin, des pages tournées, ce sont les livres qui me manquent, les objets aussi, cette valise dans laquelle on aurait trouvé un fil, électrique et orange, ces chaussures, qui bruissaient aux pas, celui de la radio fondue sur le frigo dans un même état, impossible à ouvrir (« il y avait des choses dans le frigo ? » demandait l’expert : mais comment dire ? oui, du beurre probablement, je ne sais plus, je ne sais plus), les cloisons qui laissaient passer les notes du ukulélé, du violon, du clavecin, du piano, la guitare j’en jouais, elle est là noircie, je me souviens du jour de l’achat, en septembre soixante dix huit, mais du prix ? du prix d’il y a trente sept ans ?
Du cinéma ? On me demande des dates, des valeurs de remplacement, des chiffres, non point de descriptions, ni de littérature. C’est du cinéma, on a coutume de dire ce genre de choses : dans « le Sacrifice » l’anecdote raconte que ce plan (l’avant dernier, qui dure plus de six minutes) de l’incendie de la maison a été tourné deux fois et qu’il a fallu reconstruire la maison afin de la refaire brûler (c’est du cinéma : Visconti aurait-il exigé qu’on mît dans les tiroirs les mouchoirs, et dans les armoires vêtements et chaussures, à nouveau, qu’on en cherchât ? ) : tout est-il à remplacer ? Comment faire sans dictionnaire ? Comment donner valeur à ce livre d’artiste si précieux mais à présent grisé ?
En réalité, c’est difficile de vivre sans ses objets familiers : quand on sort, on prend le nécessaire, on garde ceci en poche, bizarrement un parapluie, cela aussi, un petit bocal qu’on ferme d’un couvercle bleu. On sort, derrière soi, à clé, deux tours, on clôt la porte. Ce soir-là, vers vingt et une heure trente, c’est ce que j’ai fait. J’avais écouté ce que je racontais sur L’aiR Nu qui venait de paraître. L’employée aux écritures m’avait envoyé (qu’elle en soit à nouveau ici remerciée) un texto pour m’en féliciter ce soir-là, minuit passait, le trente et un commençait à peine.
Le cinéma continue, je n’ai pas vraiment d’idée, mais il continue (j’ai vu passer quelques plans de « All abour Eve » (Joseph Mankiewicz, 1950), quelques autres de « Jackie Brown » (Quentin Tarantino, 1997), et puis j’ai lu une critique de « Fatima » (Philippe Faucon, 2015) qui m’a bien fait rire). Le cinéma continue oui, mais je ne sais pas exactement quand.
Une réflexion sur « Onze novembre deux mille quinze »