Ce type est un cinglé (mais on ne le sait pas exactement, on le suppose seulement) il est vieux (c’est un acteur fétiche) il a commencé juste après la guerre (la deuxième mondiale) avec Ingmar Bergman mais je l’ai connu aussi dans un film dont j’ai rédigé le découpage plan à plan (pour « l’Avant-scène Cinéma » du temps de Claude Beylie) « Dimenticare Venezia » de Franco Brusati (« Oublier Venise », 1976) dans lequel une vieille femme (je crois me souvenir qu’il s’agit de sa mère-mais plus sûrement, à me relire, de la bonne ou de sa nourrice) incarnée par Nerina Montagnani déclare « rose rouge, coeur ardent » qui m’est comme le seul et unique langage des fleurs qui me reste aujourd’hui ( le langage des fleurs, comme la carte du Tendre, sont pour moi des choses que je ne veux pas chercher à élucider). Je divague, c’est cette maison qui en est le témoin : dans ce film-ci, elle se trouve toujours sur cette île où Ingmar Bergman a tourné nombre de ses films (Gotland). Le héros en est un vieil homme (on n’a pas tellement avancé, je sais bien) qui veut conjurer le sort qui échoit au monde (une guerre mondiale – la troisième donc- qui dévastera tout). Si je l’ai choisi ici, c’est pour renouer avec la maison(s)témoin, parce que abandonnée quelques semaines, il faut y faire quelque chose d’assez spéciale (le film, au début et à la fin, baigne dans la musique de Bach – la passion selon Saint Matthieu- et c’est assez spéciale en effet) (1). Mais Andrei Tarkovski est, lui-même assez spéciale aussi.
Il a dédié ce film à son fils et depuis sa sortie (en 1986, grand prix spécial du jury à Cannes -président Sidney Pollack) j’ai cherché à le voir. Puis, vu, après « Andrei Roublev » j’ai aussi vu (il y a peu – compte en est rendu ici) le film de Chris Marker, où on voit précisément ce fils venir embrasser son père (celui-ci est mourant et mourra, en effet, quelques semaines plus tard). Il y a quelque chose chez Tarkovski et dans son amour du cinéma qui tient d’une sorte de miracle (lequel miracle est à l’oeuvre dans son dernier film, ce sacrifice donc).
Le vieil homme, incarné par Erland Josephson, donne à Dieu tout ce qu’il possède et c’est ainsi qu’en un plan extraordinaire en fumée s’envole sa maison.
À la vérité, je dois de dire que je n’ai pas exactement compris ce film (ici, il est accroupi devant sa maison en flammes et se rend compte, peut-être, du sacrifice qu’il a consenti). A la première vision j’ai juste été subjugué : on voit que le feu est mis, c’est lui qui l’allume, il n’y a personne dans la maison, toute la famille est partie se promener.
C’est lui qu’on voit (difficilement) au premier plan : son sacrifice, est-ce le fait d’un fou ? On se dit « non c’est pas possible…! » d’autant que la maison est dépeinte d’un bout à l’autre du film comme idyllique et belle, joyeuse et tranquille…
Voici la famille qui revient : le prend-on pour un fou ? L’est-il devenu ? L’imminence de la guerre est-elle, a-t-elle été réelle ou une simple vue de son esprit malade ?
Toute la famille est submergée (l’eau qui affleure ici est tellement magique). La maison brûle.
Et lui, ce vieil homme, voit cette femme, sa voisine
en qui il croit, et il la remercie.
La maison est en cendres
et on emmène le vieillard vers l’ambulance qui le conduit à l’asile (l’affaire est entendue donc : on a affaire à un fou).
Tout au long du film, je suis resté subjugué par les images. Ce plan où la maison brûle, où on court après le « fou », où on le rattrape
car il faut l’interner (déchirant)
il en va de la vie du monde, peut-être : du vrai cinéma.
Et donc, et comme à l’accoutumée, tout est, encore, à refaire…
Y voir une allégorie de l’art, de la religion, y comprendre que la voisine agit comme un être doué de pouvoirs de sorcellerie (blanche puisqu’elle est censée avoir permis d’éviter la troisième guerre mondiale…), pourquoi pas ? Restent, toujours et comme toujours au cinéma, les images qu’on en a gardé…
Et donc, dans cette maison(s)témoin, l’une des plus belles façons de dire, au monde, qu’il faut y croire.
(1) : on pourrait expliquer le fait que ce billet soit posé aujourd’hui par la conjonction qui a voulu que dans les flammes, durant la nuit dernière, en fumée se sont envolées des milliers de choses qui auraient du participer à l’édification de la « quatrième travée » de la Cité des sciences et de l’industrie, accident (probablement) qui ne peut laisser l’auteur indifférent.
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