Dans le brouillard

(on ne la voit guère, mais sur l’image ci-dessus, la jeune fille, Haemi, fait signe (de son bras, côté passager) à son ami Lee Jongsu (hors cadre : c’est ce qu’il voit) : elle et son ami Ben arrivent chez lui…)  

 

 

ça va se passer à la campagne (les maison(s)témoin de la campagne, je ne suis pas certain mais les lotissements qui viennent et mangent les abords de la ville, oui) (je ne suis pas sûr) depuis un moment le brouillard est tombé et le type court

on se demande pourquoi – il cherche des serres abandonnées, en plastique, auxquelles son contemporain nommé Ben dit qu’il aime mettre le feu (pourquoi ? pour s’amuser)

(ici, voici Ben) (la question en sous titre s’adresse à la jeune fille, Haemi) un type à l’aise financièrement – il conduit un petit coupé allemand carrera 4S – c’est une voiture qui vaut à peu près dix années de smic – et je me suis arrêté à ça (c’est un peu bête comme idée, mais il en est ainsi) l’homme conduit cette voiture il revient d’Afrique (le Kenya, je crois) en compagnie de cette jeune fille, Haemi, dont notre héros (celui qui court dans le brouillard) est amoureux

ici il est de dos (il se nomme Lee Jongsu), elle est de face, elle paraît plus jolie depuis, dit-elle, qu’elle est passée par le bistouri – alors il la trouvait « moche », quand ils se sont connus, dans la même petite ville de la campagne voilà quinze ans peut-être, mais à présent les choses ont changé – elle doit avoir un charme – c’est à peu près certain, elle en a – mais la voilà qui revient d’Afrique flanquée de ce Ben, riche, sympathique, gai, accueillant, simple : toutes les qualités… et voilà qu’ils viennent le trouver, lui, notre héros, dans sa campagne – ce sont des plans d’une grande beauté lorsqu’elle danse devant eux deux, puis tout à coup, elle se rassoit et s’endort… – tout comme elle disparaît tout à coup… Lui la cherche, court, se demande, mais plus que tout, il cherche quelque chose comme la vérité (où a-t-elle disparu ? est-ce Ben qui l’a perdue, enlevée brûlée vive ou pas ? endormie ? qu’en est-il de leurs relations, à elle, lui, Ben ? toutes sortes de questions inépuisables et justement, tout se trouve dans ces questions)

qui est-il, lui, pour la chercher ? Certes, il l’aime (ou le croit, ou le rêve) mais devant son rival (est-il bien un rival ? ou un ami ? un ennemi ? un double rêvé ?qui est-ce ?) il ne peut rien, ou presque… Mais je voudrais revenir surtout sur la scène finale, où le jeune Lee Jongsu passe devant la voiture qui flambe (et je voudrais revenir sur ce feu, ces flammes) pour me souvenir des formidables histoires qui courent sur le film « Le Guépard » (1) dans lequel Luchino Visconti demandait qu’on dépose dans les tiroirs des commodes du palais des Salina des dentelles, des vêtements de luxe, des chaussures, peut-être des parfums (toutes choses qu’on ne perçoit pas à l’écran, puisque c’est – comme on dit – du « cinéma ») et je me suis dit, reconnaissant le feu qui passe derrière les vitres du petit camion que Lee Jongsu conduit, nu semble-t-il, et laisse derrière lui – je me suis dit : « s’il s’agit d’un vrai feu, ce n’est pas celui de la carrera 4S de Ben » (ici une image d’une serre qui flambe)

vraiment, à l’écran… (mais ce n’est qu’un rêve d’enfant…)

Toute la différence est sans doute là : le cinéma, qu’est-ce que c’est ? Une illusion pour dire le vrai ? ou une vérité pour décrire le mensonge ? En tout cas, Haemi (la jeune fille qui disparaît) qu’on ne reverra plus garde, quelques temps encore après la fin du film, un charme presque inoubliable…

(me revient aussi ce qui se disait d’Andreï Tarkovski dans le Sacrifice où le plan – sublime – de l’incendie de la maison a été réalisé deux fois – à la fin de la deuxième reprise, l’équipe pleurait…)

 

Burning, un film (magnifique, cependant) de Lee Chang-dong (présenté au festival de Cannes en mai)

(1) Formidable livre que la biographie de Luchino Visconti, en folio (4891), par Laurence Schifano « Visconti, une vie exposée »

 

Le Sacrifice (brûler…)

 

 

 

 

Ce type est un cinglé (mais on ne le sait pas exactement, on le suppose seulement) il est vieux (c’est un acteur fétiche) il a commencé juste après la guerre (la deuxième mondiale) avec Ingmar Bergman mais je l’ai connu aussi dans un film dont j’ai rédigé le découpage plan à plan (pour « l’Avant-scène Cinéma » du temps de Claude Beylie) « Dimenticare Venezia » de Franco Brusati (« Oublier Venise », 1976) dans lequel une vieille femme (je crois me souvenir qu’il s’agit de sa mère-mais plus sûrement, à me relire, de la bonne ou de sa nourrice) incarnée par Nerina Montagnani déclare « rose rouge, coeur ardent » qui m’est comme le seul et unique langage des fleurs qui me reste aujourd’hui ( le langage des fleurs, comme la carte du Tendre, sont pour moi des choses que je ne veux pas chercher à élucider). Je divague, c’est cette maison qui en est le témoin : dans ce film-ci, elle se trouve toujours sur cette île où Ingmar Bergman a tourné nombre de ses films (Gotland). Le héros en est un vieil homme (on n’a pas tellement avancé, je sais bien) qui veut conjurer le sort qui échoit au monde (une guerre mondiale – la troisième donc- qui dévastera tout). Si je l’ai choisi ici, c’est pour renouer avec la maison(s)témoin, parce que abandonnée quelques semaines, il faut y faire quelque chose d’assez spéciale (le film, au début et à la fin, baigne dans la musique de Bach – la passion selon Saint Matthieu- et c’est assez spéciale en effet) (1). Mais Andrei Tarkovski est, lui-même assez spéciale aussi.
Il a dédié ce film à son fils et depuis sa sortie (en 1986, grand prix spécial du jury à Cannes -président Sidney Pollack) j’ai cherché à le voir. Puis, vu, après « Andrei Roublev » j’ai aussi vu (il y a peu – compte en est rendu ici) le film de Chris Marker, où on voit précisément ce fils venir embrasser son père (celui-ci est mourant et mourra, en effet, quelques semaines plus tard). Il y a quelque chose chez Tarkovski et dans son amour du cinéma qui tient d’une sorte de miracle (lequel miracle est à l’oeuvre dans son dernier film, ce sacrifice donc).

Le vieil homme, incarné par Erland Josephson, donne à Dieu tout ce qu’il possède et c’est ainsi qu’en un plan extraordinaire en fumée s’envole sa maison.

sacrifice 1

À la vérité, je dois de dire que je n’ai pas exactement compris ce film (ici, il est accroupi devant sa maison en flammes et se rend compte, peut-être, du sacrifice qu’il a consenti). A la première vision j’ai juste été subjugué : on voit que le feu est mis, c’est lui qui l’allume, il n’y a personne dans la maison, toute la famille est partie se promener.

sacrifice 2

C’est lui qu’on voit (difficilement) au premier plan : son sacrifice, est-ce le fait d’un fou ? On se dit « non c’est pas possible…! » d’autant que la maison est dépeinte d’un bout à l’autre du film comme idyllique et belle, joyeuse et tranquille…

sacrifice 3

Voici la famille qui revient : le prend-on pour un fou ? L’est-il devenu ? L’imminence de la guerre est-elle, a-t-elle été réelle ou une simple vue de son esprit malade ?

sacrifice 4

Toute la famille est submergée (l’eau qui affleure ici est tellement magique). La maison brûle.

sacrifice 5

Et lui, ce vieil homme, voit cette femme, sa voisine

sacrifice 6

en qui il croit, et il la remercie.

sacrifice 7

La maison est en cendres

sacrifice 8

et on emmène le vieillard vers l’ambulance qui le conduit à l’asile (l’affaire est entendue donc : on a affaire à un fou).
Tout au long du film, je suis resté subjugué par les images. Ce plan où la maison brûle, où on court après le « fou », où on le rattrape

sacrifice 9

car il faut l’interner (déchirant)

sacrifice 10

il en va de la vie du monde, peut-être : du vrai cinéma.

sacrifice 11

Et donc, et comme à l’accoutumée, tout est, encore, à refaire…

Y voir une allégorie de l’art, de la religion, y comprendre que la voisine agit comme un être doué de pouvoirs de sorcellerie (blanche puisqu’elle est censée avoir permis d’éviter la troisième guerre mondiale…), pourquoi pas ? Restent, toujours et comme toujours au cinéma, les images qu’on en a gardé…

Et donc, dans cette maison(s)témoin, l’une des plus belles façons de dire, au monde, qu’il faut y croire.

 

 

 

(1) : on pourrait expliquer le fait que ce billet soit posé aujourd’hui par la conjonction qui a voulu que dans les flammes, durant la nuit dernière, en fumée se sont envolées des milliers de choses qui auraient du participer à l’édification de la « quatrième travée » de la Cité des sciences et de l’industrie, accident (probablement) qui ne peut laisser l’auteur indifférent.