C’est que les êtres qui hantent la maison[s]témoin nous sont chers, elle a quelque chose du panthéon, quelque chose de tellement inexistant, volatile, incertain et inutile, visitée dans son décor de pacotille, ses pièces sans vie, sans histoire, sans familiarité, tous ceux là y habitent, y sont parce qu’on les y pose, ils s’en iront sûrement un jour, exiger l’ouverture de ces portes, de ces murs, exiger l’enlèvement de ces gravats, de ces ordures, de ces déchets, exiger que ici, toi qui y entres, exiger que toi gardes (ou perdes) tout espoir…
(les photos sont de l’auteur, prises du DVD où Martin Scorcese explique ses liens avec le cinéma italien).
Ca commence dans la cour de l’immeuble
une rafle, la deuxième guerre mondiale, Rome, on emmène les hommes, on laisse les femmes et les enfants (on se souvient, à l’occasion, de la mi-juillet quarante deux, au vélodrome d’hiver, à Paris), elle c’est Pina, Nanarella, c’est la plus grande actrice de tous les temps et de tout l’univers, on dira ce qu’on voudra, une merveille, une des merveilles du monde du septième art, une merveille de l’humanité : et que serait l’humanité sans amour ? C’est lui qu’on lui enlève, Francesco, elle déjà veuve, elle qui l’aime, elle crie, hurle, se bat, frappe, se déchaîne court vers la sortie
on lui déchire le coeur, tu sais bien comment ça se passe chez nous autres, les humains, elle court et hurle « Francesco!! Francesco!! »
il est embarqué, sait-on alors qu’il va vers la mort ? et qu’elle y court, elle aussi ?
qu’on la laisse, elle court, sort, elle crie, court
court
lui la voit dans le camion, elle court crie « Francesco!! » quelques secondes
lever le bras, crier encore crier
on tue, on arme le fusil, on tire, on tue
dans la rue, morte…
Résister.
« Rome ville ouverte », Roberto Rossellini, 1945.