De l’autre côté de la rue

de l'autre côté de la rue

Face au grand terrain loti, maintenant largement ouvert sur la rue, le mur d’enceinte de l’ancienne propriété ayant été abattu pour laisser voir le parc, ou ce qui en reste, et les premières maisons du lotissement, dont la notre, la témoin, jeux de parallélépipèdes blancs animés de grandes verrières, c’est toujours l’alignement de petites villas, un peu hétéroclites, leurs barrières, leurs tout petits jardins assez touffus pour que la vie du nid, l’aisance un peu étriquée de leurs propriétaires, soit préservée.

J’aime bien nos maisons.. elles ne sont pas totalement indignes, même si c’est un ton en dessous, en mineur, des architectures de villas du début du 20ème siècle qu’admirais tant quand, il y a très longtemps, j’étais étudiante en architecture, ou tentais, cela n’a pas duré, de l’être,.. cette pureté presque brutale, ces proportions qui se mariaient dans mon petit panthéon à celles des bâtiments cisterciens du sud ou aux églises romanes d’Auvergne, dans la plénitude de leurs proportions, dessins dans l’air, des formes et pierres aux formes et béton.. mais aux heures où je m’ennuie, et même si je dois meubler les moments creux par diverses tâches, pour le cabinet, sur l’ordinateur de mon coin bureau dans l’entrée, ou un peu à cause de cela, les moments d’ennui ne manquent pas pendant les heures d’ouverture, surtout en semaine, je regarde avec de plus en plus d’amitié, de l’autre côté de la rue, juste en face, encadrée par les deux pans du mur de clôture qui ont été conservés, habillés de vigne vierge, pour donner l’image d’une entrée au lotissement, encadrée de nouveau par les deux piles de son portail, une petite villa que je me refuse à dire kitch – on n’injurie pas ses amis, non, je pense coco, c’est mon terme pour le ridicule attendrissant.

Elle n’est pas très grande, blanche rehaussée de gris doux et sage, le gris imitant le bon ton, elle est carrée, surmontée d’un petit triangle abrité par un auvent roux, triangle habillé d’un panier fleuri et soutenu par deux petits putti sans ailes, gentiment déhanchés et posés sur le vide. Le rez-de-chaussée s’ouvre par une porte cintrée, de même largeur ou étroitesse que les deux fenêtres qui l’encadrent. Le premier étage, légèrement moins haut pour respecter les règles, reproduit la même disposition. L’étroite porte fenêtre centrale ouvre sur un balcon arrondi supporté par deux autres putti, qui se regardent en se balançant, ou le prétendant, sur de lourdes guirlandes. Il y a des volets sages, des petits carreaux aux fenêtres et deux lanternes. Elle est délicieusement prétentieuse et un peu sotte, mais avec mesure.

Je ne vois jamais personne entrer ou sortir par la porte ouverte sur une ombre mystérieuse, les volets du bas sont ouverts, ceux du haut entrouverts pour que la chaleur ne rentre point. J’imagine deux petits vieux, Philémon et Baucis, endormis sur un grand lit derrière la porte fenêtre, ou attendant, souffle retenu, que leur fin vienne à eux en souriant.

Et il y a presque toujours l’un ou l’autre des visiteurs pour la regarder vaguement rêveur.

L’autre jour, pendant que sa petite femme, charmante la petite femme, et pleine de projets, furetait de pièce en pièce, l’époux, ou non, qui lui avait délégué le choix, très chic l’époux, plutôt assorti à notre maison témoin, juste un peu trop chic, peut-être, comme son auto, est resté planté sur le seuil, semblant s’ennuyer un peu, et avant de la suivre quand elle est sortie en disant nous allons réfléchir, m’a demandé si je pensais que la petite maison, là, en face, était en vente.

Lui ai souri et dit que je ne croyais pas.

 

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