Je pose ça là

Il y a sûrement des gens qui ont eu l’idée d’écrire à des endroits imprévus. Qu’est-ce qui m’empêche de faire ça. Laisser des petits mots ici ou là. De petites phrases, écrites sur des rubans de papier. À laisser tomber, à essaimer. Dans les vitrines des magasins de chaussures. Dans les boîtes aux lettres des sous-préfectures. Sur les appuis de fenêtre. Des tas de choses atterrissent sur les appuis de fenêtre, des canettes vides, des mégots, alors pourquoi pas des petits mots, ça n’aurait l’air de rien, mais est-ce que ce serait vain ? (rime pauvre). En tout cas ce serait un signe. Une sorte de prise de position. Quelque chose qui trafique l’habituel, le grand gourou catégoriel. Je ne suis pas sûre pour ce qui est de le ronger de l’intérieur. Pour ce qui est d’entrer avec les codes-passeport dans la structure pour en gratter les fondations, plus tard, en modifier les équilibres. Même avec l’intention cachée de secouer, en attendant, il faut faire allégeance, ce qui revient à transformer le digéré en interlocuteur valable, incontournable. On pourrait faire sans. Sans se soucier. Faire sans cahier des charges. Déboussolés, déboussoler. On se déboussole soi, on déboussole le reste, j’aimerais ça, c’est peut-être contagieux, je ne sais pas. Ajouter sur les présentoirs des cartes postales déjà écrites qui disent qu’on n’est pas des enclumes, qu’on a besoin de faire de l’air, qu’on pourrait écarter les bras, bref que les présentoirs qui tournent leurs clichés ventres à terre et leurs chiens à lunettes méritent d’être remués. Laisser des mots sur les tables en terrasse ou au dos du ticket de caisse. Laisser des mots dans les poches des manteaux essayés des galeries commerciales. Au rayon bricolage, entre les tournevis, laisser des mots. Écrire là où ça n’est pas normal d’écrire, j’aimerais ça. Je reçois un mail avec un appel à candidater dans une résidence d’écriture. Je ne répondrai pas. Il y a un dossier à remplir, c’est loin, je suis trop vieille pour ça. Et cette histoire de repérage-déboussolage, ça me perturbe. Je lis résidence, j’entends assignation à résidence. Pourquoi ne pas secouer, secouer, dire : la résidence d’écriture accueille tout le monde sans distinction, le but du jeu étant la désérésidenciation. Un nouveau mot. Qui ne rapporte rien au scrabble, et puis il y a trop de lettres. Mais dans ce que j’imagine, y’aurait jamais trop de lettres. On écrirait partout, dans les maisons témoins, celle-ci, et même les vraies. On viendrait visiter (« Spacieuse, accueillante et lumineuse, découvrez une de nos réalisations« ), on prendrait l’air intéressé, et puis négligemment on poserait des rubans de phrases dans les fausses jardinières et sous les abat-jours. Si on se faisait prendre, on dirait juste Je pose ça là.

3 réflexions au sujet de « Je pose ça là »

  1. oh que j’aimerais… tu me donnes des idées
    (bon avec les tricotages tu le fais un peu)

  2. c’est un peu comme les commentaires – ici ou là – c’est une idée – un peu comme celle qui consiste à poser ici là ailleurs un livre –

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