pas de côté, épisode 17

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Tant que tu ne vois pas tes limites, tu ne peux pas espérer les dépasser. Il y a cette discussion entre un professeur d’université blanc et James Baldwin dans I’m not your negro. Lui, le blanc, estime que nous sommes tous frères en humanité, au-delà de notre couleur de peau ou de nos croyances. Baldwin, le noir, sait que c’est un mythe. Il le sait dans sa chair, dans son expérience de vie, dans ce qu’il a vu et vécu. Il voit les limites, ce qui est le présupposé pour les dépasser. Le blanc prétend qu’elles n’existent pas. C’est pourquoi son raisonnement reste circonscrit à l’intérieur. C’est pourquoi rien ne change.

Dans une discussion avec un écrivain anthropologue où les questions posées le sont toutes par de jeunes hommes, le présupposé, qui est aussi le point de départ d’un livre de l’écrivain anthropologue, est le confinement. Pas « un » confinement, mais « le » confinement. C’est-à-dire, lorsqu’il l’explicite, celui d’intellectuels qui se sont trouvés reclus, empêchés de sortir de chez eux, forcés de remplir une attestation. On appelle ce confinement « le » confinement, le seul et unique, car il est écrit par ceux qui savent écrire. Y’a-t-il des livres sur un hôpital en temps de confinement, ou un hypermarché en temps de confinement, ou une épicerie, ou une station-service, ou un service de nettoyage en temps de confinement, des livres qui montreraient un autre confinement que celui qu’on a « tous » connu (dixit la discussion autour de l’écrivain anthropologue) ? C’est la limite. Tant que cette limite ne sera pas vue, donc que l’expérience de vie de soignants, d’éboueurs ou de caissières en temps de confinement comptera pour rien, tant que ce qui est vu et vécu par une partie de la population sera ignorée, il n’y aura pas de dépassements possibles, pas d’après, pas de demain. Tant que les discussions entre jeunes mâles blancs intellectuels leur sembleront admissibles et dignes de déboucher sur un échange d’idées, tant que de jeunes mâles blancs intellectuels trouveront pertinent de discuter entre eux d’une situation mythique car inopérante pour une partie de la population, il n’y aura pas de monde d’après. Tant que ces jeunes mâles blancs intellectuels ne s’arrêteront pas une seconde pour se poser quelques questions pratiques (Pourquoi avons-nous tous ici environ trente ans — Qu’est-ce qui fait que nous sommes tous blancs autour de cette table — Pourquoi n’y a-t-il pas de femmes parmi nous — Pourquoi discutons-nous entre membres d’une même classe sociale), demain ressemblera à hier.

Au moins, quand je parle de ma maison d’enfance ici, j’en connais la délimitation, qui ne s’exerce pas uniquement dans l’espace au sol occupé, ni dans l’espace sensoriel ou mémoriel évoqué, mais qui se trouve aussi ancrée dans mon âge, mon genre et ma classe sociale. Ça devrait servir à ça, écrire. À délimiter. Pour pouvoir ensuite, plus tard, grâce au luxe de ce temps disponible passé à y penser, tracer des portes qui puissent préfigurer une sortie éventuelle.

Tracer des zones, faire exister les zones, pour ensuite pouvoir les traverser, ce serait l’idée.

Au minimum, mettre en place la possibilité que cette traversée puisse avoir lieu (ce que fait Miró en quelque sorte).

Savoir d’où on parle pour mieux comprendre à qui.

Pour résumer, faire un pas de côté ?

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2 réflexions au sujet de « pas de côté, épisode 17 »

  1. Oui, certains écrivains, cons finis, nous bassinent avec leur « approche » de « l’écriture » en ces temps de fenêtres et portes plus ou moins condamnées.
    Un éboueur aurait vidangé tout ça, un infirmier ouvert les pansements. Mais c’est comme l’ENA : devenue « Institut national du service public », il est sûr que son « recrutement » sera nettement plus « populaire » qu’avant.
    Merci pour cette réflexion ! 🙂

  2. je lutte, je ne veux pas être de ceux qui pensent du mal des intellectuels, c’est idiot autant qu’ils le sont eux, les intellectuels qui savent, qui sont sensibles à la douleur humaine et qui de temps en temps voient fugitivement les autres (et alors pensent pour eux, de leur hauteur… ça s’applique aussi à des politiques — souvent pleins de la certitude d’être le peuple tant qu’ils ne l’écoutent plus trop)… ouille… dois être de mauvaise humeur moi

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