Ils se réunissaient dans le séjour, regardaient la télé, se chamaillaient parfois, riaient, entendaient avec un léger sourire (mais ils étaient muets) les paroles du prétendu « père »
et puis il y a eu la deuxième guerre, c’était la troisième, c’était un moment où les tours jumelle avaient été détruites -le « centre du commerce mondial » ainsi dénommait-on ce couple d’immeubles de grande hauteur-, où il fallait que l’occident (comme on a pu haïr l’abject groupuscule qui portait ce sobriquet…) se réveille et montre (nous y avons été) au reste du monde que les choses devenaient intolérables (on a vu, à Abu Grhaïb par exemple, ce qu’il en était de cet occident-là), et qu’il fallait en finir avec Saddam Hussein et sans doute surtout ses deux fils. Abbas Fahdel nous montrait la vie quotidienne qui précédait l’invasion étazunienne, à présent dans ce deuxième volet, on entend comment la guerre est venue disloquer la société, comment tout ou presque a été détruit…
(ici lors de la présentation du film au Forum des images, l’année dernière). Il a donc fallu plus de dix ans pour qu’ici on envisage que le monde, en Irak comme partout, je le crains, est simplement peuplé de gens qui ne veulent que la paix. Je le crains parce qu’il n’est pas rare qu’on entende, un peu partout, les bruits de la guerre…
(la nièce du cinéaste, « nous avions du mal à en croire nos yeux, mais nous étions contents » dit-elle, après que les fils du raïs aient été montrés morts à la télé…).
La vie n’est jamais facile, nulle part, quand même en temps de paix. Jamais. Elle n’est jamais simple non plus. On parcourt Bagdad, on va ici chercher des rations de farine ou d’huile, là conduire les enfants à l’école : plus personne au fond n’est à l’abri, et la guerre intense ou sporadique, la guérilla urbaine, les voyous qui se servent, les repris de justice, meurtriers violeurs laissés en liberté, armés, la loi du plus fort, du plus injuste, du plus cynique ou pervers, voilà telle qu’en elle-même, la vie laissée là comme ailleurs (en Lybie, ailleurs encore…) par cet occident-là…
Tu sais, il lui en fallut du courage, à ce type (dans les divers reportages, on le voit sourire, on le voit parler vivre en français…) pour filmer et dérusher et monter et montrer enfin ces quelques heures.
Du courage et de l’amour pour les enfants : ici, Haïdar, le neveu du cinéaste, cette personne magnifique et convaincue…
Les enfants, ce sourire, cette malice joyeuse, les jeux avec le jet dans la cour, le plaisir du rire, la discussion qui pourrait aussi tourner très mal (une séquence au marché, avec Haïdar qui défend, dans un lieu baassiste
la mémoire de ceux qui sont morts sous les coups de Saddam, tendue, et lui magnifiquement sincère…), le temps passe, c’est vrai aussi, mais la culture, détruite, annihilée,
(les images sont ce qu’elles sont, tant pis)
archives télévisuelles, filmiques, cinématographiques,
tout est mort, tout est dévasté, mais quand même est-on là, on regarde ce gâchis, cette guerre et ce sang qui sans cesse abreuvent les haines, la tragique fin du film est là, oui, Haïdar on ne t’oubliera pas, certainement pas, mais c’est parce que c’est là, devant nous
et si quelqu’un demande pourquoi il y a encore des artistes sur cette terre, et pourquoi le chemin est encore éclairé, on pourra lui répondre qu’il existe encore des gens et des choses, encore des enfants et des rires, et que ça, ça ne finira jamais
« Homeland, Irak année zéro », en deux parties, film d’Abbas Fahdel (on a fait les mêmes études, lui et moi, dans le même lieu, avec les mêmes profs-sauf que j’y passais quelques années avant lui : en souvenir de Claude Beylie, pour ma part)