#10 – rester calme

 

Résister
(dernière carte postale de sconfinication-réclusion)

 

il y a pas mal de choses qui semblent évoluer – la relation qu’on entretient avec les avions;  celle qu’on nous oblige à adopter vis à vis du travail (sa version -l’aversion qu’on peut en avoir – virtuelle, distancielle, présentielle – logicielle progicielle et tout ce que tu veux – entre présence et distanciation (immondice technocratique) on a vite choisi ? je veux dire les collègues qu’on agonit, ne plus les voir, quelle  bénédiction… ne plus les entendre, quelle aubaine – oui, les autres qui faisaient avancer la barque aussi dans le même sens que vous ? on les oublie, on les appelle, on les joint ?) ; les vacances (où est-ce qu’on va ???); le monde d’ici : qui où quand ? ; les chroniques, les épisodes, les billets; les connexions, les consommations, les évaluations, les entretiens annuels, les comparaisons, les autres, les uns, les âges ? qui, les salariés ? les prestataires ? les auto-entrepreneurs? les ubérisés à quatre sur une 508 ?

(j’apprends à ce moment la mort, la disparition, l’envol de Jean-Loup Dabadie scénariste dialoguiste qui me faisait l’effet de Jean-Claude Carrière, quelque chose de Claude Sautet et une certaine vraie qualité française) – ah le monde, la vie, les gens…  – ses/les chansons (« attends je sais des histoires… »)

 

c’est un peu ce genre de choses qui aurait tendance à occulter ce à quoi on était en train de penser : la mort rôde, d’un certain sens – un texto tout à l’heure de l’ami apap qui m’informe de la disparition d’un être connu de lui (on en avait parlé il y a quelques semaines, ainsi les choses se délitent-elles – un coma prolongé, la maladie épidémique) de moi aussi de plus loin – l’homme ainsi que moi était asthmatique – à risque, la cinquantaine je crois – pour JLD quatre vingt un balais le rire la joie en un sens et Romy Schneider – il a fallu que ça tombe sur cette maison au moment où j’y écris une autre histoire de l’agent

juste après voilà que j’apprends la mort d’Albert Memmi, quatre vingt dix neuf ans, mais je n’ai rien lu de lui – cependant tellement proche…- la paix sur son âme

on ferait mieux de boire un verre à sa santé peut-être – c’est fait –
« alors on boit un verre/ en regardant loin/ derrière la glace du comptoir/ et on se dit qu’il est bien tard/ il est bien tard… »

 

dans la cuisine à côté cuit doucement la sauce tomate des pâtes du soir – on avait été se promener quelque part où il y a des milliers de ce genre de plantes qui fleurit en mai

on ne sait jamais comment ça va tourner (par exemple, tout à l’heure – raconté ailleurs, mais on s’en fout) – on frappe à la porte on me tend un paquet (oui, c’est moi, oui) on s’en va (on était une femme qui conduisait un fourgon banalisé et blanc et qui livrait avec icelui des colis chronopost) j’ouvre le petit livre Les oloés de madame Savelli (merci) dans lequel je retrouve (outre un certain nombre d’ami.e.s) Maryse Hache (à laquelle le livre est dédié, de même que ce billet – et d’ailleurs tous les billets de cette maison[serait-elle]témoin)

c’est chez publie.net – une bonne maison – je ne me perds pas vraiment, mais entre ici, là et là-bas sans compter ailleurs et ici même, j’ai des difficultés – la mémoire qui flanche (je ne me souviens plus très bien) (c’est une chanson) (non, je n’ai pas oublié…)

je parlais du travail, mais c’en est fini, mon petit – non, en effet, je n’ai jamais grandi, je me souviens encore de mes premières années, un autre continent, de l’autre côté de la mer, je cherche à me souvenir mais longtemps (parce que j’avais à l’âme cette image de France – un peu comme le Fossoyeur du poète « avec à l’âme un grand courage/il s’en allait trimer aux champs« ) longtemps j’ai conservé cette image de ce pays comme quelque chose d’incivilisé (étais-je rapatrié ?), une partie de moi-même était sauvage (elle l’est toujours) (par exemple, laisse-moi deux jours au soleil, je deviens noir), elle n’avait pas droit de cité – ces idées-là qu’on ne disait pas, à l’école de A. où le directeur faisait violence à ses élèves (le monde n’était pas si différent, des choses étaient permises, d’autres sans doute moins – aujourd’hui, on interdit une claque, alors c’était bénin) – les moments d’incompréhension (ça valait mieux) les moments de rigolade (dieu merci (ah ! ma grand-mère…) ma famille m’aimait de la même eau que j’avais pour elle) ceux de la panique – la neige, les pleurs, les attentes – non, tous les jours disparaissent ceux qu’on aime et puis, va le monde, coure la jeunesse, sourient les jeunes femmes – il fait beau aussi parfois – « c’est fini, la mer, c’est fini…« 

ces choses-là

 

 

il s’agit d’une chronique (c’est à dire que le temps (qui, certes, ne fait rien à l’affaire) prend part à ce qui est ici raconté) : jamais je n’avais vu ce film – c’est une erreur que je rattrape – il  en serait ainsi sans doute quelques centaines…

Peu importe, nous ne sommes pas tenus à l’exhaustivité – ici on parle de ce qui arrive et de ce qu’on aime – voilà tout – on peut aussi agonir ce n’est pas interdit – c’est (un peu) du temps de perdu et on n’en a pas tant que ça – et plus ça ira, moins on en aura – sans doute mais à nouveau peu importe :  ici le numéro 165 – je l’aime beaucoup – si je me souviens, quand tout fut dans la boite (juin 1969) je me préparai à entamer ma vie professionnelle – j’avais d’autres choses en tête – à goodyear pour deux mois, puis quatre ans de plus jusqu’au bac – double terminale – les femmes ? l’amour ? les voitures ? – non, c’est un beau moment d’alors…

 

 

Il y a les choses :

  • des chemises qu’elle (Hélène) achète pour lui (Pierre) un cadeau – trois longueurs de manche, oui;
  • la commode adjugée à 1800 qu’il (Pierre) emporte lors d’une vente aux enchères à la Rochelle (elle (Hélène) la voulait peut-être);
  • les cigarettes, la prochaine allumée à la cendre de la précédente;
  • la lettre qu’il (Pierre) écrit (à Hélène) dans le début de la deuxième journée, un bout de  table, le stylo, l’enveloppe (tout est là – c’est l’image d’entrée de billet – elle est fausse); la poste, le téléphone et le message (j’ai adoré le message « viens immédiatement » : j’adore – c’est que c’est ça, l’amour c’est immédiat, c’est tout de suite et on ne discute pas : on est);
  • les voitures (« monte dans ton Alfa, Roméo » disait – peut-être bien – la  (fo) bébé méprisante à ce Jack producteur Palance): l’Alfa Giulietta (Massina ?) de Pierre, la mini Cooper de l’amie d’Hélène, la bétaillère (qui cale) de l’éleveur de cochons (Bobby Lapointe), le conducteur du poids lourd qui bouche la route, les motos des gendarmes, l’ambulance DS break; la machine à écrire, les pommes croquées

(parfois, c’est quand même du lourd, certes), ainsi que les cerises

il y a le volet de la maison de l’île de Ré (fatalement), le bateau, le vélo

mais après

des choses, le verre de vin qui se renverse, celui de whisky et d’autres encore…

Et puis il y a les grands rôles (les premiers disons) et les seconds – mais on s’en fout : enfin, non, mais on les traite de la même manière (c’est parce qu’on les aime) : c’est ça, le cinéma quand il est grand – bien fait – bon – il y a trois choses d’abord : l’histoire, puis l’histoire, puis l’histoire – c’est certain – mais après il y en a d’autres  : notamment les rôles, premiers deuxièmes énièmes – je suis assez désolé, je n’ai pas d’images de ceux-ci mais si, ici l’ami de Pierre (c’est Jean Bouise (il est de 29) qui interprète le rôle)

et Pierre c’est Michel Piccoli – il est de 25 : dans le film, il a quarante quatre ans – le réalisateur, Claude Sautet, en a un de plus – ce n’est pas pour s’identifier – il y a au générique – un peu comme toujours – Isabelle Sadoyan qui est la femme « dans la vie » de Jean Bouise)

ce sont deux journées de la vie de Pierre qui sont évoquées : il vit séparé de sa femme – Catherine (c’est Léa Massari (8 ans de moins que Piccoli), dans un rôle qu’on aimerait endosser) (parce que c’est le beau) (ce rôle, trop bien, trop vrai, trop humain – mais jamais trop : le cinéma, c’est ça : jamais trop) – il vit avec Hélène (Romy Schneider (13 ans de moins que Piccoli) – il a un fils Bertrand (Gérad Lartigau, 17 ans de moins que Piccoli) qui fabrique des objets qui ne servent pas à grand chose, il y a le père de Pierre qui vient le taper (100, 120 comme tu peux), les parents d’Hélène qu’on ne verra que peu, les auto-stoppeurs, la postière, la vendeuse, les médecins, les infirmiers, les gens partout – la course, la vie, les couleurs, les passages

Mais d’abord il y a le générique de début – une merveille à rebours – et ce plan formidable

c’est ainsi qu’il commence

se poursuit

et encore jusqu’à laisser la voiture de Pierre loin, si loin : un petit point qui s’efface…

J’ai pensé à ce mot du (wtf) locataire du moment du palais du faubourg saint-honoré pour qualifier l’Europe où lui-même se meut : « vieux continent de petits–bourgeois se sentant à l’abri dans le confort matériel » (*) (on cite ses sources) et qui, en effet lui va comme un gant avec sa bobonne peroxydé ainsi que celui de Washington, sa piscine, ses affidés et ses sicaires – le film date de mille neuf cent soixante dix, l’étriqué dans l’âme n’était même pas né…

Une merveille , pas une ride, sans doute – un cinéma magnifique, montage au cordeau, musique (Philippe Sarde) inoubliable, dialogues argentés (Jean-Loup Dabadie), les années soixante dix commencent…

(*) : revue NRF n°630, Paris mai 2018

 

 

Les Choses de la vie, un film de Claude Sautet.