la baignoire

Là non plus la femme n’a rien dit – j’ai envie de la secouer pour qu’elle abandonne cette grâce indifférente, parce que, certainement, elle n’en pense pas moins, mais quoi ? et comment puis-je rebondir, moi? -, mais je l’ai vu passer de l’éberluement à un petit sourire flatté en s’imaginant dans cette baignoire juste un peu hors normes.. ah bon elle est du genre je voudrais pouvoir, je voudrais avoir…

Mais, enfin, il y a eu le fou rire des deux gamins, le petit voulant grimper dedans, la mère se précipitant

et puis lui, derrière, et sa petite moue

Alors, comme d’habitude c’est à lui que j’ai parlé, que j’ai précisé que, bien entendu, les appareils, comme le carrelage – elle a relevé la tête tous en soulevant son fils pour l’arracher à ce nouveau jouet – sont en option, qu’ils peuvent consulter, sur le livret, dans l’entrée, les différentes possibilités.

Et elle est sortie de son mutisme, enfin… il faut croire que la salle de bains la touche plus intimement, qu’elle se permet une opinion, qu’elle ose ne pas se conformer aux derniers diktats, et d’une voix un peu hésitante, comme quand on avance un orteil pour tester la température de l’eau, la fermeté du support

  • j’aimerais bien une teinte plus douce.. ou peut-être plus lumineuse… faire entrer l’air… j’ai vu chez une amie un lavabo jaune, je sais c’est assez peu habituel… mais pour les carreaux, qu’en pensez-vous et unis, bien sûr, avec juste une rangée un peu sous le plafond, oui une rangée rose, mais pas rose jambon, rose ocré… oui ce serait bien
  • je ne suis pas tout à fait certaine que la palette proposée le permette, mais cela me paraît vraisemblable, attendez je vais chercher la documentation
  • et pour la baignoire, un truc ancien avec des pieds.. je sais qu’on refait cela

Bon elle n’est pas complètement insensible aux tendances – hé ma fille ! Qui l’est ? – simplement c’est une autre école…

Je sors, en pensant elle est ferrée et la petite fille me suit, nez levé vers moi… Si ça continue je vais la garder.

regarder

Je la regarde cette femme qui regarde, et je vois à travers elle les petits manques, défaillances, ne l’aurais pas vu sans elle ce défaut dans le revêtement… décidément, c’est pas comme si le charme de cette boite à chaussures (suis méchante là mais c’est une vengeance, en être là, à persuader.. et puis c’est idiot, elle n’attend que des habitants, du goût, de la vie,  cette maison… vais penser à elle comme à une toile blanche) comme si le charme de cette toile blanche, donc, suffisait à faire oublier les disgrâces, même les plus légères.. c’est peut-être une femme qui ne peut aimer une maison que si elle est parfaite, ou (oui elle a l’air sympathique) que si les disgrâces n’arrivent qu’en vivant les lieux et en deviennent chers.
et zut il faut que je persuade enfin la direction de résilier le contrat d’entretien.. suis sure que dans le quartier on trouverait une femme pour passer tous les matins.
J’aime bien les visiteurs réservés, qui se taisent et observent, parce que j’ai toujours l’espoir – une illusion sans doute, mais il m’en faut – qu’ils commencent à se voir légitimement présents, qu’ils prennent possession de l’espace
bon l’espace justement, elle le balaie du regard, trop petit ?
Il est temps que j’intervienne.. leur laisser la bride libre, surtout quand, comme elle, ils semblent allergiques à toute intervention, intrusion dans leur vision de leur corps, leur famille, leurs meubles dans ce vide.. mais les tenir, tout de même, les tenir
– Vous voyez….

celle qui est chargée de faire visiter