Boîte en forme de cœur

Louer des appartements pour qu’à chaque voyage on ait, en choisissant un environnement spacieux, accueillant, chaleureux, et vivant, avoir l’impression d’être un peu chez soi dans un lieu qu’on découvre pourtant. Un catalogue en ligne me permet d’en visiter dans le détail l’ensemble des pièces, de jauger le confort, la luminosité, le volume des espaces, leur circulation, le voisinage également, à l’aide des photographies de l’extérieur prises depuis les fenêtres, les images manquantes de l’intérieur sont souvent révélatrices des défauts cachés de l’appartement, mais généralement le nombre important de photographies permet de se faire une idée plutôt juste de l’appartement.

Il y a quelques semaines, je découvre que l’appartement, où a vécu, entre 1991 et 1992, Kurt Cobain, le chanteur du mythique groupe Nirvana et sa compagne Courtney Love, est à louer, dans le quartier de FairFax à Los Angeles, à la semaine ou au mois sur airbnb.

La salle de bain de cet appartement est l’endroit où Kurt Cobain aurait écrit le titre Heart-Shaped Box (boîte en forme de cœur), issu de l’album In Utero. Quelque mois plus tard, Cobain et Courtney Love, alors enceinte de leur fille Frances Bean Cobain, décident de quitter les lieux à cause d’une fuite d’eau qui aurait abîmé les écrits et les guitares du chanteur.

« She eyes me like a pisces when I am weak

I’ve been locked inside your Heart Shaped box for weeks

I’ve been drawn into your magnet tar pit trap

I wish I could eat your cancer when you turn black »

De quoi cette maison a-t-elle été le témoin ?

 

De blanc et de bleu

Dans la chaleur d’un été lourd et orageux, une fin de journée nonchalante, trouver un peu par hasard sur le présentoir d’une agence de voyage placé sur le trottoir devant sa vitrine, une brochure épaisse, un catalogue d’appartements estivaux à louer sur la Costa del Sol en Espagne. En attraper un, un peu par désarroi, et la rapporter chez soi. En la feuilletant s’étonner de l’uniformisation de ces appartements.

Des pages et des pages d’images stéréotypées sur papier glacé, présentant les mêmes vues d’appartements, avec une chambre sommaire, propre et fonctionnelle, un ou deux lits, une table de nuit de part et d’autre du lit, un vase disposé de chaque côté pour la symétrie, et sur une table en face du lit, un poste de télévision, la chambre qui s’ouvre sur une terrasse par une large baie vitrée, une fenêtre coulissante pour faire entrer la lumière, donne sur un balcon qui surplombe une piscine à partager avec les autres vacanciers de la résidence. Les murs sont le plus souvent blancs, parsemés de quelques cadres, le plus souvent des aquarelles représentant des paysages marins.

Regrouper l’ensemble de ces centaines de photographies de chambres et de piscines, leur uniformisation si poussée, afin de tenter de comprendre, dans cet exercice de regroupement, ce jeu de patience, faits de recoupements et d’associations, de rapprochements et d’incises, ce qui nous fascine tant dans ce motif répété des différentes pièces et leurs similitudes inquiétantes, cette vacance qu’on interroge dans ses moindres détails jusqu’à la vacuité, au point de s’y perdre en faisant du surplace dans un aplat de blanc et de bleu.

Se faire une idée

Ce n’est pas le propre de la maison-témoin d’y trouver, posés sur la table basse, une pile d’ouvrages d’art qu’on ne lira jamais, achetés exprès pour en imposer à notre entourage et surtout les visiteurs de passage, livres précieux, aux volumes conséquents. Devant la cheminée, le livre d’art devient meuble, rivé à la table basse. Des livres qui font table-basse comme on fait tapisserie, pour meubler, impressionner le visiteur, qui ne prend même pas le temps d’ouvrir le pesant ouvrage d’art. L’Age d’or du paysage sous les Song, Paris de Nuit de Brassaï et Paul Morand, Les graffitis obscènes de Picasso, The Rise of David Bowie (1972-1973), de Mick Rock, Les oushebtis de la XVIIe dynastie. Avantage de la table basse : on ne sait jamais si le livre est lu, regardé ou montré. En général, on feuillette seulement les premières pages pour se donner une contenance, comme on visite la maison pour se faire une idée.

En visite dans la maison-témoin, une de ces maisons closes, tout nous parait invariablement uniforme, comme sur une image en papier glacé, un catalogue de vente par correspondance. Est-ce que cela existe encore aujourd’hui avec Internet ? Souvenirs dépassés, tout ce qu’on n’aura jamais, l’inaccessible et ses accessits. Linge de maison, mobilier décoration, équipement, vêtements (femme, enfant, homme) et bien sûr dans la lingerie, l’image de ces femmes à moitié nues posant pour des culottes ou des soutiens-gorges. Souvenir d’un ami qui découpait ces images et qui, en les collant à l’envers sur un carnet, obtenait l’image d’un couple s’embrassant, une série de baisers.

Cuisine équipée sur mesure

Il existe des catalogues de cuisines équipées, dont on choisit l’ensemble des éléments sur mesure. Découvrez un catalogue unique de vraies cuisines tendances : cuisine brillante, cuisine matte, cuisine esprit bois. Ce catalogue interactif met à votre disposition une sélection de cuisines contemporaine, design, moderne. Dans la maison-témoin, la cuisine est équipée pour correspondre parfaitement à l’image qu’on veut donner aux clients potentiels, sur mesure. Confiez vos rêves à l’un de nos 200 concepteurs de cuisine en magasin. Avec nos 100 modèles et 10 000 combinaisons différentes, vous êtes certains de pouvoir composer avec lui la cuisine idéale, celle que tout le monde va vous envier !

Couleur d’ambiance : neutre, chaud ou froid ? Je choisis neutre. Pour l’aménagement de la pièce, ma préférence va vers un design moderne, original avec une forme de L. et un îlot central. Pour les matières et les coloris, je retiens clair et mat. Avec une surface et coin repas pour 4 personnes. Une cuisine aux tons neutres qui jouent avec les matières (façades acryliques brillantes, plan granit aspect cuir, bois, inox…). Conception et réalisation de niches décoratives sur mesure pour donner un peu de vie à l’ensemble. Et l’implantation d’un îlot central pour la convivialité et l’espace repas.

Dans ce décor aseptisé, si des aliments devaient être exposés dans les placards (boites de conserve, bouteilles de toutes tailles, pots de confiture, de condiments) ou sur les étagères (fruits, légumes, herbes aromatiques) pour donner à l’ensemble un cachet supplémentaire, un supplément d’âme, voire ajouter de la vraisemblance, ils seraient similaires à ceux des vitrines des restaurants japonais, une pâle imitation de la réalité, en plastique coloré. J’imagine parfois qu’un vendeur aura un jour eu l’irrépressible envie de manger son sandwich entre deux visites de clients, et n’aura pas pris le temps de sortir de la maison pour le faire, laissant sans s’en rendre compte quelques miettes sur la table de travail, miettes qu’un visiteur en les voyant trouvera sales, indécentes et déplacées, dans cet univers aseptisé, où tout est rangé, calme et propreté.