Ca se passe il y a trente ans dans une ancienne boucherie chevaline transformée en une espèce de loft où vivent, semble-t-il, Marc et Anna (incarnés par Michel Piccoli et Juliette Binoche -celui-là au moment des faits (du tournage si tu préfères) tape les soixante piges, elle en a 22) elle l’aime, il l’aime mais ne veut pas le lui dire (c’est une espèce d’histoire d’amour). Il se trouve que je mène (en secret relatif) un travail sur « Le Cercle Rouge » (Jean-Pierre Melville, 1970) et que j’ai trouvé de vagues ressemblances entre ces deux films – à quinze ans d’écart, une histoire de malfrats. Dit comme ça c’est assez réducteur mais, en réalité, la comparaison est extrêmement flatteuse (en réalité, pour les deux films). Tout ça pour dire que, puisqu’il faut bien mettre ce film quelque part, eh bien ce sera dans le salon (puisque cette boucherie, c’est d’un salon, au fond, qu’il s’agit) même si très souvent on sort, on en sort, on n’arrête pas d’en sortir (on le met aussi en extérieur). J’ai pensé aussi aux films de Claude Sautet (surtout parce que Michel Piccoli et Serge Reggiani étaient des acteurs que ce dernier réalisateur aimait à employer (on aurait bien aimé voir, par exemple ici, François Périer mais non) (ce dernier de 1919 avait soixante sept ans au moment des faits…) (il y a « Max et les ferrailleurs » qui va bien comme un gant aussi à ce trait d’union que j’essaye de composer) (on pourrait rebaptiser ce »mauvais sang » en un « Marc, Alex, Hans et les autres« ).
Denis Lavant c’est Alex l’alter ego du réalisateur disons (25 ans, Alex Dupont en a 26…) (Alex Dupont est l’un des hétéronymes comme on dit maintenant du réalisateur) (ce mot est venu avec la mode qui s’est attachée à Fernando Pessoa et à sa valise, là, enfin sa malle) (ici comme on voit, Alex s’en va avec sa valise, rouge)
Marc (Michel Piccoli, donc), Charlie (Serge Reggiani – il est de 22, il a 64 ans) (ils jouaient aussi tous les deux dans « le Doulos » (Jean-Pierre Melville, 1962)) et Hans (Hans Meyer, un médecin qui soigne les bobos des uns et des autres, il habite au dessus de la boucherie) sont des amis de longue date (quelques coups tordus, genre « Le trou » (Jacques Becker, 1960) (parce que dans « Casque d’Or » (Jacques Becker, 1952) Reggiani a trente ans) (enfin aussi) (enfin je me perds, et je vous perds, j’ai l’impression) (on verra Reggiani/Charlie taleur).
Ici Marc et Hans dans le salon.N’importe, l’image est belle, le film est assez beau, juste pèche un peu le scénario ( le MacGuffin (cher à Philippe Diaz – d’ailleurs un homonyme produit le film) (on a interverti les liens entre les hétéronymes) ne tient pas bien); l’ambiance de la Comète de Haley date un peu – surtout que le réchauffement climatique commence à se faire sentir à présent – à peine mais quand même – à titre personnel et subjectif évidemment, le 13 mars 1986, au passage de cet objet céleste (dit-on) tonton inaugurait dans d’anciens abattoirs qui n’avaient jamais servi à ce pour quoi ils avaient été construits un musée de sciences) (enfin le temps passe, mais le sang rouge reste…)
Il y a notamment des courses formidablement généreuses : la première c’est Lise (Julie Delpy)(elle aime Alex mais lui la quitte, il veut changer de vie) elle court c’est magnifique (elle lui court après mais il la sème)et c’est du cinéma comme on l’aime. Vraiment, comme on l’aime. L’autre course magique elle aussi est celle d’Alex – il met la radio (on pense à l’Air NU, évidemment), indique que la musique qui s’épand est toujours la bonne et marque « Ecoutons et laissons nous dicter nos sentiments… » et ici une minute vingt de parfaite grâceou de grâce parfaitedont ne rendent que peu compte les images fixes(Jean-Yves Escoffier, à l’image, nous a quitté à Los Angelès, en 2003, emporté par une crise cardiaque…) travelling merveilleux dans la nuit chaude du presque hiver (puisqu’on est, si on en croit la narration, en mars – il neigera un peu plus tard, aussi).
On ne parle pas d’Anna mais elle est là, tendre et douce sans doutepour elle a lieu ce combat de coqs, certeset la troisième course, magnifique elle aussifin du film sur le tarmac, Charlie (il y a là une espèce de Milou et j’ai pensé à « Milou en mai » (Louis Malle, 1990) avec le même Michel Piccoli qui y joue Milou – la scène des écrevisses…)et Anna qui court, court et presque s’envoleraitFormidable cinéma dans cette pure tradition française qu’il a de découvertes, d’inventions, de prises de risques…