#8 Résister – ne pas lâcher – tenir

POUR LA MAISON(S)TÉMOIN DU TREIZE MAI

 

je t’en raconte une petite d’hier (c’était le 8 mai) (elle sera peut-être bien dans la maison/témoin mercredi si la blessure se tait) : le voisin a taillé ses haies toute la journée d’hier, neuf heures du matin, neuf heures du soir – à moins le quart de 9 du soir, on est allés le voir pour lui demander gentiment de cesser qu’on puisse un peu respirer, un acte de civisme par exemple pour un jour férié où il sait parfaitement ne pas avoir à faire de travaux de jardinage pour respecter un peu son voisinage, il a enlevé son casque pour dire « j’ai le droit de faire ce que je veux, aller voir en mairie – et d’ailleurs vous n’habitez même pas ici »

– c’est pour dire que le chemin est long, difficultueux et que cette humanité-là n’a sans doute au fond que ce qu’elle mérite – par exemple, ses gouvernants… on ne va pas aller dans l’amertume ou la haine pure et simple mais enfin parfois la route est longue…

ce matin en ouvrant les volets le voisin de l’autre côté plus loin là-bas m’a dit avoir entendu toute la journée le taille-haie ainsi que l’altercation du soir – ne pas s’en faire, la « nature » humaine a des ratés parfois – certes –  le type est peut-être fou, ce voisin « mais je travaille moi », huit mai, neuf heures du soir – c’est quel numéro cette maison[s]témoin, qu’on aille voir un peu les voisins ? on a oublié, le monde est tel qu’il est, les gens vont retourner au travail – le travail des Indiens, en Inde tsais, c’est soixante douze heures hebdomadaires, le travail qu’on demande c’est de l’esclavage ni plus, ni moins (cette pourriture de Modi) – cafés fermés parce que c’est de la sociabilisation, du lien entre les humains – on évite les embrassades, on ne se parle plus, on ne se voit plus – cinémas théâtres fermés : on a la télé non ? comme culture on n’a pas trouvé mieux pour se divertir – c’est plus facile d’ici ? je ne crois pas, les artistes font le trottoir parce que la « tête » de l’État décide de prolonger les droits jusqu’en aôut 21 – cent mille intermittents, un millions et demi de laissés pour compte – reprenons comme avant, fabriquons des voitures, des avions, dans le ciel déjà les petits pipers s’envolent (ah, des armes, oui, des armes) – résister, mais pourquoi faire ? j’ai entamé une série, pourquoi faire ? rien ne va plus, tout est dans l’air – la propagation virale, la propagande du même tonneau, les claviers qui ne répondent plus, internet et les transhumanistes (cette ordure de Musk) : ils ne seront plus qu’un milliard et alors ? pour les autres, pour nous : rien – on attend, on essaye de voir ? c’est un jour anniversaire, mais ils le sont tous (un quarteron de généraux à la retraite) – on ne nous avait pas prévenus que ça durerait tant que ça : on s’est réunis sur les bords du canal, on s’est retrouvés et on s’est embrassés, on préfère mourir heureux que malheureux, les obligations, les injonctions – ce gel, ces masques, ces gants (ah non, les gants non) on ne voulait pas de ce monde-là, le précédent était déjà trop dégueulasse et on y retourne en pire ? j’ai attendu huit semaines, et puis le monde est resté comme il était, j’ai regardé derrière moi, ça vaut la peine de vivre, non,sans rire, ça vaudrait la peine, sans les autres, vraiment ? Agent, sujet, objet, les mains dans les poches, attendre que les clients sonnent, le rendez-vous le premier depuis, on va voir ? On verra…

une initiative d’un master d’université, vers Marseille-Aix ou quelque chose, une espèce de site collaboratif – j’ai vaguement regardé, l’image du Frioul m’a plu, celle du bateau sans doute moins, c’est égal pour le Pandémonium

en arrivant (cabine A500)
je prendrai les Zattere jusqu’à la douane, un signe sans un geste à la fortune et à ses deux esclaves, j’aurais à l’esprit Hercule, les écuries, les pommes du jardin, jusqu’à la Salute, je m’inclinerai sans bouger, en face au café sur la terrasse, des gens aux lunettes de soleil – il fera beau, tu sais – je resterai un moment à l’ombre – le matin je suppose, mais il fera beau – à rebours, j’irai voir un peu, de loin, l’île, un taxi emporte les clients, sur le mol certains ôtent les voiles noirs des gondoles, l’eau claire, je marcherai au soleil, un peu comme avant, un peu comme quand on avait l’âge de ne pas se faire de souci ou d’avenir noir – les mains aux poches, peut-être que je rentrerai dans cette église où Vivaldi faisait jouer ses airs, une pièce de cent lires (je me souviens des escudos et des moments passés sur les bords du Tage, sous les arcades de la place, avec ce libraire assis sur son petit tabouret pliant, qui se lève tout à coup et marche mains au dos veste fermée de deux boutons, lui et ses cheveux peignés et blancs et gris – il attend un peu peut-être

) une pièce de cent lires glissée pour allumer cette lumière qui pense à mes morts mais seulement pendant quelques heures – le temps que se consume une petite chandelle, comme celles posées, parfois, au coin de l’Orillon- Saint-Maur, près de la statue de saint-Joseph, alors que je ne crois ni à dieu ni à diable, ni aux Beatles ni à Zimmerman comme disait l’autre – je ressortirai et au soleil il sera midi

 

peut-être une autre histoire – à un autre moment – en arrivant à Lisbonne