/Verrière, Serre, Envers, Mer.
Il y a des maisons qu’on visite en rêve, l’une d’elles m’a laissé un heureux souvenir de verrière. Unique accès par la façade arrière, pourvue d’une serre, la villa surplombait un paysage qu’elle masquait entièrement. Mais déjà tous ces indices en « ère », homonymes d’air et d’erre – espace, vent, circulation, enveloppaient le lieu d’un halo singulier. Nous savions la mer derrière, même cachée, et qu’un chemin très raide, que la maison ne révélait que sur son autre versant, permettait de descendre à pied vers une crique en contrebas. L’arrivée était en bout de route et par une verrière. Transparence et obstruction, comme souvent en rêve. Or toute transparence semblait ici disposée vers la façade arrière, la seule, puisque l’autre qui possédait la vue ne se laissait pas voir ou peut-être depuis un point inaccessible au large, point qu’on dit imaginaire. Au débouché de la route donc une sorte d’étrangeté, le charme d’un bâtiment à demi ruiné posé sur un sol sec, poussiéreux. Tout était à refaire. L’idée même de jardin retournée comme un gant, associée à cette serre vide qui dessinait une fermeture en agrafe, l’aboutissement du bâtiment construit sur un dénivelé du sol rattrapant ainsi par l’arrière et comme de justesse son ancrage. De la maison nous percevions surtout les cheminements, ayant rapidement compris son plan en U, mais toujours dans cet envers où nous circulions assez avidement d’un espace vers l’autre. Une grande pièce cuisine au rez-de-chaussée, ouverte sur la cour. Des montées, des descentes larges et lumineuses. À l’étage un couloir entièrement vitré et la vue traversante vers son double, symétrique, de l’autre côté d’une cour intérieure. La serre à l’extrémité semblait démesurée, en largeur comme en hauteur, et quelques fragments d’objets dont l’utilité n’était plus identifiable rappelaient, nous l’avions oublié, une ancienne occupation, un autre état des lieux. Or c’était précisément cette alliance du verre, du sable, du ciment, de la pierre, de la poussière même avec le vide qui saisissait et rendait heureux, par la capacité du lieu à rester tel quel c’est à dire inhabité, à soutenir une conversation avec un interlocuteur aussi abstrait que le ciel, à évoquer par ses composantes les plus matérielles, mais comme intellectuellement, la mer invisible présente. Il suffisait que nous le sachions, que chaque verso a un recto, que, tandis que nous habitons l’espace, un imaginaire même décousu, même plat comme une image ou sonore comme une allitération, œuvre en permanence à revers pour l’enfler comme un ballon, assurer sa qualité, sa profondeur, nous contenir sans qu’il soit nécessaire de le meubler d’aucune autre manière.
Virginie Gautier