Maison fermée

La maison est fermée. Plus personne ne sort, plus personne ne rentre. Normal : c’est le Confinement, saison 2, épisode 1. Une série avec des personnages récurrents qu’on est las de voir, peu de personnages nouveaux (normal : que personne ne bouge, c’est le motto). Peu d’événements, que pourrait-il bien se passer ? Tout se qui se passe est soit virtuel, soit interdit. La maison est fermée et on ne sait pas très bien qui se trouve à l’intérieur : on n’a pas pensé à faire l’appel avant que tout soit figé dans le permafrost du confinement.

Si quelqu’un s’approchait d’une fenêtre, il pourrait peut-être voir qui est resté dans la maison, mais personne ne peut s’approcher des fenêtres, ce n’est pas prévu dans la liste des dérogations, ce n’est pas essentiel.
(À l’horizon même de la vision par ma propre fenêtre, le sommet d’une grue dépasse le toit d’un immeuble comme la tête d’une immense girafe.) La maison est fermée et l’entropie est à l’œuvre. Qui sait ce qu’on y retrouvera quand elle pourra à nouveau être ouverte… La girafe en tout cas aura mangé toutes les réserves de muesli.

Le volet métallique

De retour d’une visite dans une maison non-témoin, une maison comme on dirait une maison d’enfance, l’agent se gare loin de l’agence. Le soleil se couche. Pas de place de parking. Tout est loin de tout. L’agent court, il court comme s’il en allait de sa vie, il court pour arriver, pour arriver avant quoi ?

Les deux vitrines d’annonces sont éclairées, de part et d’autre de l’entrée dont le volet métallique est fermé.

Le volet de l’agence est un modèle à lames pleines en acier, fabriqué dans les années 80 par Douville. L’agent ignore l’histoire complète de ce volet roulant, il s’agit d’une cloison invisible en quelque sorte. Le matin on ne la regarde pas, on l’ouvre. Le soir on la ferme, et on s’en va. Les passants ne voient pas du tout ce volet, ils regardent distraitement les annonces, d’une vitrine à l’autre, et c’est tout.

La société Douville a fermé, mais a rouvert ailleurs sous le même nom, ou presque. L’adresse indiquée sur le volet est désormais fausse, de même que le numéro de téléphone. Combien de façades et de noms cette société a-t-elle emprunté depuis 1927 ? Les fluctuations économiques peuvent-elles renverser une fabrique de volets métalliques ? Un vendeur de pierre ? L’agent engage la clé dans la serrure de marque Prefer (banlieue de Milan, depuis 1941 — drôle de date pour créer une entreprise en Europe — et puis ça commence à faire beaucoup d’objets non-témoin, il faut que la journée se termine vite).

Le bruit caractéristique, bruyant, qu’on ne peut décrire que par une tautologie : « un bruit de volet métallique qui s’enroule » ; comment faire autrement ? À l’ouverture, rythme et variations sonores proches de l’eau qui sort d’une bouteille, et donc en plus métallique et claquant. Et l’inverse à la fermeture, une bouteille que l’on remplirait.

Bref, l’agent ouvre le volet, et entre dans les bureaux sombres, déserts.

Il s’arrête sans allumer la lumière, regarde autour de lui et se demande : qu’est-ce que j’étais venu chercher ?

Convaincre, 2

Orion’s Hydrogen Winds, par Adam Evans, CC BY
Vous avez déjà visités de nombreuses maisons, appartements, jardins, lieux encombrés de vies et figés dans leur rapport à l’Univers. Regardez la position du soleil par exemple, « salon exposé plein-sud » vous dit-on, c’est pour vous faire plaisir, avec la lumière du jour, mais c’est pour mieux vous cacher l’impossibilité de changer cette exposition, vous ne verrez jamais le nord, la sérénité de son ciel éclairé par ce sud toujours vendu, sur-vendu. Ici, dans cette maison, le pouvoir est tout autre pour vous, la situation est inversée, vous n’êtes plus dépendant des astres mais vous les commandez, vous pouvez imaginer le soleil où vous voulez, la constellation d’Orion et ses vents d’hydrogène en août par la fenêtre de votre chambre et l’étoile du soir par la fenêtre du matin si vous voulez. Car nous construisons partout et tout le temps, sur tous les sols, sous tous les ciels, partout dans le monde, où que vous posiez la première pierre, nous vous suivrons pour construire la maison de votre avenir dans l’orientation de vos désirs. Avec cette maison, c’est vous qui organisez l’Univers entier à votre guise — explique l’agent immobilier à ces peut-être futurs acheteurs qui arborent la moue de ceux qui en ont déjà entendu d’autres et des pas mûres et qui, de toute façon, ne regardent jamais le ciel la nuit.