Une voie de garage

C’est une pièce qui n’existe dans ses proportions que pleine de sa fonction première, accueillir dans son volume réduit mais adapté, les dimensions d’un véhicule, de préférence une voiture. Les moins grands laissent à peine la place aux chauffeurs et à leurs passagers pour descendre du véhicule, une fois à l’intérieur, la voiture garée, et l’habitude est alors vite prise, de faire descendre l’ensemble des passagers, dans l’allée du garage, ceux-ci abandonnant le chauffeur pour entrer à la maison par l’entrée, le chauffeur garant le véhicule en longeant le plus possible le mur de droite, afin de libérer le maximum de place pour pouvoir sortir de son côté. Le garage est un endroit à taille réduite, la place pour quelques étagères où les plus bricoleurs rangeront leurs outils, et s’il reste un peu de place à l’avant de la voiture, on essayera d’y caler une machine à laver, un lave-linge, ces instruments domestiques volumineux et bruyants qu’on préfère éloigner de nos intérieurs et qu’on associe à la machine garée là, parce qu’ils roulent des mécaniques.

C’est aussi le lieu pour faire dormir un chien car dehors dans le jardin cette pauvre bête prendrait froid, mais impensable vue sa taille de le faire dormir dans la maison. Quand la voiture est garée, au moment de sortir du garage pour rejoindre la cuisine (on entre rarement directement du garage dans le séjour), la porte n’est pas encore fermée, on entend l’air du ventilateur du moteur qui se met à rugir, sans attendre qu’on ait le dos tourné, la voiture est chez elle, on se sent presque de trop, l’air chaud empli l’espace réduit de sa touffeur suffocante.

Il faudra couvrir le mur d’affiches, reproductions de tableaux de peinture classique, d’affiches de films, ou de paysages, ceux-là mêmes qu’on aura traversés avec le véhicule qu’on vient de garer. Et se souvenir que dans notre enfance, les parents de nos amis qui possédaient un garage si grand, ou si long, qu’on aurait pu y garer plusieurs voitures, accueillaient des anniversaires et ce qu’on appelait encore des boums. Et rêver à ceux qui pouvaient s’enfermer là pour y jouer des heures entières leurs morceaux débutants à la guitare, basse, batterie, en échafaudant, dans la touffeur d’après-midis de bruit et de fureur adolescentes, de musiques improvisées, de reprises approximatives. Et s’évader avec eux, dans le garage de notre mémoire.

cric

Le cric dans le garage est un cric fantôme, tout comme les livres fantômes du séjour, c’est qu’ici les perspectives sont inconscientes, elles frisent d’autres dimensions temporelles et gestuelles, et des silhouettes s’engouffrent. Tout à coup, tu les vois, dans le coin qui sert d’atelier, ces lignes qui cernent les outils, dénoncent ceux qui manquent (mais qu’est-ce qui ne manque pas dans la maison[s]témoin ? ce pourrait être le lieu même du manque, l’endroit exact où il est aspiré, et un tourbillon invisible, irréversible, happerait constamment vers son œil ce qui n’est plus de mise, plus atteignable, ici pas de trace de fuite d’huile sur le sol, seul le fantôme de son contour d’absence, et dans le vide de l’air, l’irisation d’essence, violet et jaune en dégradés).
L’odeur du citron synthétique lutte de toutes ses forces pour faire place nette et éradiquer ce magma. Mais il ne pourra rien, tu es entré avec tes ombres.

atelier