Une chambre à soi

 

Comment faire pour n’y pas penser ? On est là, on va, on vaque, le cinéma les courses le travail le blog les amis les anniversaires, les meubles les cadeaux, le pain marcher dans les rues, le soleil, et puis voilà, un cinglé, un fou une ordure qui ose donner sa vie pour une cause et prendre celle de vingt-deux autres la leur ôter briser ce qui ne tient à rien, ici à Manchester sur le boulevard Voltaire à Paris ou rue Bichat, pour des idées – mais sont-ce vraiment des idées ? – pour qu’on entende comme si on était sourd, on est sourd oui, on continue quand même, donner tort raison faire comme si de rien n’était, des morts partout, sur la promenade des Anglais, ailleurs tellement ailleurs tous les jours, tous les jours, tous les jours. On ne va pas cesser, on ne va pas céder, on va plutôt continuer à tenter de décrire la beauté des choses et du monde, et de ces films qu’on aime. On prie, peut-être, on essaye d’invoquer quelque puissance, le hasard la chance, on devient superstitieux, on jette en pensée derrière ceux qui partent un peu d’eau d’un verre dans lequel on a fait glisser une pièce, on tente de s’essayer à demander sans y croire que les choses se distinguent, qu’il soit enfin fait une place à la paix… Mais souvent, souvent, souvent il fait un froid de tombeau

 

La maison(s)témoin c’est exactement ce vers quoi veut aller Manana (Ia Shughliashvili, formidable) : elle s’en va. Sa famille reste sa famille mais elle, elle s’en va. Personne ne sait pourquoi, mais c’est juste parce que c’est devenu insupportable. Elle loue un petit appartement deux pièces banlieue de Tbilissi (c’est en Géorgie, une république de l’union soviétique socialiste -1917-1989, 72 ans d’union : morte enterrée oubliée – située entre la mer Noire et la mer Caspienne, au nord de la Turquie, ce n’est plus l’Europe sans doute, mais est-ce déjà l’Asie, on se perd en conjectures ou peut-être pas, enfin, moi ici, oui), elle s’en va et laisse mari enfants parents vivre dans l’appartement qu’elle aussi occupait, mais c’est fini, trois générations et bientôt quatre sous le même toit : insupportable. Personne n’est sûr de savoir ce qu’elle fait, mais ce qui est sûr, c’est qu’elle le fait

Elle continue son métier (elle enseigne, sans doute les lettres, elle s’occupe de ses élèves

qui d’ailleurs le lui rendent bien) elle s’en va, s’installe, et continue de vivre (marché, courses, correction des copies cahiers

Il y a probablement quelque chose de la religion en Géorgie et il s’agit de chanter : alors on chante (des merveilles, par quatre fois dans le film, des merveilles, des pures merveilles).

Servie par un scénario en acier du plus bel alliage (une merveille aussi), une mise en scène qui ne trouble pas (ici, on pose l’image

des deux réalisateurs, Nana  – Ekvtmishvili – et Simon -Gross, c’est un s tzette en allemand, il doit être quelque chose comme pas loin de l’allemand, j’imagine – on accepte ce genre d’image pour mettre au point quelque chose – le chapeau, la montre, l’épaule nue les regards… la lumière : tout cela censé décrire probablement la réalité des actes et des métiers…) (on ne demande rien à la mise en scène, sinon de ne pas (trop) se montrer), une histoire de famille comme on aime (ici une espèce de conseil…

qui tente de faire revenir Manana sur sa décision…) des moeurs sans doute légèrement différentes mais la réalité de la vérité, la place des femmes au monde, la force du désir et celle du destin (un film formidable).

Je voudrais seulement revenir sur un trait transversal du cinéma : on peut, par exemple, s’interroger sur la place des portes, des raccords, sur les scènes de lit ou de disputes, sur celles qui montrent des acteurs en train de procéder à leur toilette, à leurs besoins, les ablutions ou les lavages de dents ou d’autres parties du corps, toutes catégories qui permettent d’envisager les choses d’une distance féconde à l’interprétation ou à la compréhension de ce que désiraient montrer (ou faire passer) les réalisateurs, producteurs et autres collaborateurs de création (j’adore ça, moi, les collaborateurs de création : c’est pas complètement nouveau, mais ça sent bon son technicien de surface son agent de production ou sa force de vente – la nausée technocratique, voilà tout). Ce sont des topiques, sans doute, ou des tropismes (j’adore ça aussi, la topologie, c’est un de mes sports favoris) et l’une de celles que j’adopte en regardant les films, c’est celle du repas. Alors je conseille de s’attarder sur cet aspect particulier de la mise en images (ou scène, si on préfère) : elle apporte, ici comme ailleurs, de très nombreuses voies de compréhension. Lorsqu’on attend la petite amie du fils cadet, on regarde les biscuits sur la table

(elle arrive, gaie pimpante enceinte…), ou lorsqu’on se retrouve vingt ou trente ans plus tard lors d’une réunion d’amis de fac

ou lors du repas normal, quotidien, semblable à tous les autres (la place de Manana est vide, au premier plan)

mais tout le monde (tout son monde) est là.

 

Une famille heureuse (My happy famyli) de Nana et Simon, 2016.

 

 

 

 

Tzanko

 

Rien n’oblige non plus à tout aimer, d’un bout  l’autre, d’un film : quelques parties, quelques autres, ici ceci – une actrice – là, celà – un acteur, un décor, une lumière, un plan – parfois on tombe en accord complet avec ce qu’on nous montre, parfois, en désaccord assez total et tout prend cette couleur (le film « L’homme aux mille visages » – Alberto Rodriguez, 2015 – par exemple sera jugé à cette aune – une voix off d’un bout à l’autre à vous faire regretter de n’être pas sourd, des acteurs qui en font des kilos (mais pas des tonnes non plus), une histoire tirée d’une « vraie » comme si chacun savait ce que ça pouvait bien vouloir dire, un Paris de wtf cartes postales nulles, enfin non définitivement même s’il peut, parfois, s’y trouver quelque chose). Un film est aussi, pourtant, tout un (c’est un prototype, réalisé durant quelques années de la vie de personnes, une image une histoire une idée et surtout peut-être une musique, celle qu’on entend, celle qu’on nous suggère, celle qu’on nous inflige). La maison(s)témoin n’a plus guère que cette vision-là du monde : des films. On tente, ici, de ne pas trop en faire dans la gross-ièr-e artillerie lourde US – d’autant moins qu’à présent, le coeur d’Hollywood va se mettre à battre pour le peroxydé (souviens-toi de mac carthy sans majuscules pour l’immonde, et résiste) : aujourd’hui, un film produit en Bulgarie, deux maisons de production, l’une du cru, Abraxas Film, l’autre grecque Graal Film, ce qui interroge un peu (une production grecque et les noms des maisons…), qui se base aussi sur une historie réellement arrivée à quelqu’un paraît-il : le Mac Guffin (ah Sir Alfred…) est tombé du ciel sur une voie de chemin de fer, et voilà toute une vie malmenée, traînée dans la boue, dépecée, réduite à peu… Il se posera dans la salle à manger (je ne sais pas bien s’il y en a une ici) : c’est un coin-repas, mais aussi dans la cuisine – qui n’est pas américaine, donc. 

 

C’est un homme simple et bègue, son prénom est Tzanko, il élève des lapins, travaille pour la société nationale locale de chemin de fer (c’est Stephan Denolyubov qui l’incarne).

Son père lui a offert une montre (la marque de cet objet

donne son titre au film – Glory) sur laquelle est gravée son prénom.

L’homme travaille et voilà qu’un jour, il trouve sur son chemin de fer (son travail consiste à vérifier le bon état des voies, dans une commune sans doute assez éloignée de la capitale, Sofia, qu’on ne verra guère – c’est bien dommage) un tas de billets de banque. Un très très gros tas (en un mois, l’homme gagne, dira-t-il, 350 lev; le tas de billets – de cent et de cinq cents lev – doit représenter probablement une vingtaine d’années de salaire, au bas mot). Mais l’homme est honnête et rend à l’Etat ce qu’il pense qu’il lui appartient : cela fait de lui un héros.

L’Etat en l’occurrence, ce sera le ministère des transports, lequel dispose comme il se doit d’une cellule de communication, kornaquée par une femme sûre d’elle (Julia) et très au faîte de son pouvoir – interprétée par Margita Gosheva, déjà croisée dans le précédent film des deux réalisateurs (tout comme Stephan Denolyubov), Kristina Grozeva et Petar Valchanov, intitulé « La leçon », 2014 : il semble qu’il s’agisse là des deux premiers numéros d’une trilogie; ils sont aussi les coproducteurs du film.

L’homme, Tzanko, s’en va à la capitale recevoir le prix de son honnêteté (une montre – digitale – qui ne fonctionne pas…). Car le ministère veut récompenser cet acte valeureux (ici, Tzanko et le ministre)

(d’autant plus que ledit ministère est englué dans une histoire, semble-t-il assez banale, de pots de vin, concussions et autres prises illégales d’intérêt – vols, achats reventes, trafics…).

C’est le début de l’engrenage : tous se servent de Tzanko, sans exception, et lui sera proche d’y perdre la vie. Discours lénifiant du ministre

Tzanko qui cherche sa montre (Julia la lui a perdue)

en fait part à un journaliste qui l’utilisera : le ministre se fâchera, excuses, prisons, battu à mort…

On ne dévoilera pas la fin (par habitude idiote, sans doute, et puis un film se doit aussi d’être vu, peut-être) mais elle ne nous plaît pas.

Du tout. pourtant le reste est d’une assez belle facture : mais une esthétique assez télévisuelle (emprunte de gros voir de très gros plans, suivis caméra à l’épaule…moderne ?) mais le milieu de la communication comme on dit est dépeint avec des réalités sans doute assez proches de celles qui ont lieu (l’image d’entrée de billet montre la cellule de communication du ministère qui rit du bégaiement de Tsanko). On ne sait pas d’où vient l’argent – mais on sait où il retourne et ceux qu’il fait marcher… A voir, probablement.

 

Glory, 2015, Bulgarie-Grèce, 2016, Kristina Grozeva et Petar Valchanov

Le sourire

 

Non, rien n’est simple (mais on y revient) (voilà qui a l’air de fonctionner comme il faut) (On remercie toute l’équipe, mmes C.Jeanney et R. Lecomte, mr.G.Vissac pour le boulot de désinfection de la maison(s)témoin) (On y revient) (on a du retard…) (on remet sur le métier la même ouvrage d’il y a quelques semaines) (depuis que le temps est passé, on reprend un dimanche, depuis ce temps-là outre-atlantique – comme on disait du temps où on n’était plus dans l’organisation du traité de l’atlantique nord – un autocrate tente de gouverner la fédération des Etats-unis d’Amérique, mais dans la rue et ailleurs, on voit des milliers et des milliers de personnes, et on tente quand même de faire barrage à l’ordure et l’avilissement).

Il s’agit d’une histoire de mariage et de repas ( les repas, au cinéma – et pas seulement, dans la vie -, c’est quelque chose de signifiant, un peu comme les génériques : transversalement, on compare, par exemple, celui du « Festin de Babeth » (Gabriel Axel, 1987) avec celui de « Festen » (Thomas Vinterberg, 1998)). Ce film-ci est assez librement composé (il s’agit peut-être d’une litote pour dire que la mise en scène est parfois approximative). Deux frères (ici à l’image)

R PV DS 3

cuisinent pour une fête de mariage assez enlevée (ça se passe en Egypte, je ne me souviens plus exactement, je suis désolé j’ai oublié). Durant cette fête de mariage, on apprend qu’un mauvais bougre veut s’emparer de cette entreprise pour y installer quelque chose de neuf, de clinquant, performatif et financièrement avantageux : quelque chose d’exactement contemporain, pour tout dire. On danse cependant

on s’amuse, c’est drôle et vivifiant

ça tournera au drame, mais là n’est sans doute pas l’important : encore que si, certainement, mais comme ça se passe dans le monde musulman, ça vous a quelque chose de tellement libre que le drame – qui est partout, c’est entendu, non seulement au Moyen-Orient (comme on dit) mais aussi ailleurs (aux Etats, au Canada, au Carroussel du Louvre, j’en passe parce que je ne veux pas plomber non plus trop le truc) – le drame passe après l’amour

quel que soit l’âge… On remarque que le père des deux cuisiniers (lui qui a fait la boutique, tant et si bien que la rue où elle se trouve porte son nom, un peu comme Emile Littré, ici, à Paris, a été dépossédé de la sienne par un potentat de l’édition) se trouvera aussi dans l’embarras de l’amour (son grand âge l’oblige à user de substances qu’il ne parviendra pas à dominer), mais la morale, à la fin, triomphera quand même.

Ici, en cette maison(s)témoin, donc, entre « Le ruisseau, le pré vert et le doux visage » (Yousry Nasrallah, 2016), témoignant de la gaieté et de la joie de vivre d’un peuple espiègle et cultivé, aimant manger rire et danser…

Jusqu’au bout du monde

 

(ce n’est pas tant que ce film ait besoin qu’on en parle-grand prix du jury à Cannes cette année ça va plutôt bien pour lui – sans compter la pléiade de vedettes -elles sont cinq qui tiendraient seules chacune un film à bout de bras et hors de l’eau-, mais c’est cette façon de parler le français qui fait avancer le truc : le cinéma des US des fois ça va bien) (on ne parle guère du cinéma indien, tu vois, philippin ou je ne sais pas trop ces industries d’autres pays – a-t-on le droit de dire « je ne sais pas trop » j’ai peur que non, il faudrait chercher, j’ai pas le temps je ne sais pas où et les semaines succèdent aux précédentes) (en même temps, c’est aussi une affaire un peu sotte que de parler d’un film qu’on a vu : il faudrait faire l’inverse) (tant pis) 

Ce sont donc cinq rôles, un premier disons

gaspard-ulliel

(Gaspard Ulliel, Louis) et quatre autres (seconds ?). Les voilà tous autour de la table, on ne voit guère Vincent Cassel -il est en bleu – c’est le fils à Jean-Pierre- il jouait dans la haine il y a vingt ans -ici Antoine)

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il s’agit d’une famille (point de père : est-il seulement celui des trois, ou y a-t-il un secret ?), on reconnaît la mère (Nathalie Baye, en brune : Martine) puis sa fille ( Léa Seydoux, en tatouée dite Suzanne) au fond le fils par qui le scandale n’arrivera pas (Gaspard donc), l’aîné des enfants donc Vinz, et un peu de dos la bru (Marion Cotillard, Catherine). Il y aura bien un petit rôle de silhouette dans la scène de lit mais on l’oublie bien qu’il soit au centre du mutisme qui s’emparera de Louis – ou alors celui-ci (son mutisme) était déjà programmé (mais auquel cas il n’y aurait point de film). Louis vient annoncer sa mort prochaine à sa famille qu’il n’a pas vue depuis douze ans. Il ne l’annoncera pas (n’y parviendra pas, probablement), mentira sans doute en disant qu’il reviendra souvent, puis s’en ira. Unité de temps, de lieu, d’action (on passe sur les flash back qui mettent en scène Louis, un peu Antoine, un peu pas mal Pierre -son ami d’enfance, amant, amour, qui vient de mourir).

C’est un film qui reprend la trame d’une pièce de théâtre écrite par Jean-Luc Lagarce (librement adapté, dit-on)

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mort du sida en 1990. Ressent-on quelque chose de ce théâtre , sans doute (le carton de début dit « quelque part, il y a quelque temps » sans autre forme de précision), une espèce d’huis-clos, quelque chose de la contrainte, de l’autobiographie ? Peut-être, mais en sortant de la salle (où était-ce ? sur le quai de Seine, vu que le film est co-produit par cet exploitant-prod-distrib), je me disais que le pacte qu’on a avec un film était rompu : on sait que Louis va annoncer sa maladie sa mort prochaine qui lui vient d’elle – ou invente-t-on ? je ne sais plus exactement…- , mais puisqu’il vient dans ce but revoir sa famille (comme une dernière fois) tout tient sur cette annonce, une espèce de suspens peut-être; comment va-t-il s’y prendre – on voit bien ses réticences et ses difficultés, il en parle avec son amant-ami-mari au téléphone (est-ce bien un homme au bout du fil, je ne sais pas bien : il faudrait réentendre pour déterminer l’indice qui nous conduit à le savoir, ou le croire) – mais d’annonce, point.

On dira c’est l’incommunicabilité qui est mise en scène. Bof. Mais en français, en tout cas. Ca rappelle un peu ce qu’on disait des personnages du nouveau roman à une époque (qui brisait, parfois, le pacte avec le lectorat). Ca rappelle aussi ces films qui disposent d’une fin qualifiée d’ouverte (c’est au spectateur comme il l’entend de finir). Ca ne me plaît pas. Ca n’a pas d’importance, c’est vrai, mais c’est dommage (les acteurs, même Vinz/Toineau, ont quelque chose qui indique une direction forte et maîtrisée) parce que ça n’aide pas à croire en ce cinéma-là, or le cinéma, c’est l’art de l’illusion par excellence, et donc de la foi…

Cuisine équipée sur mesure

Il existe des catalogues de cuisines équipées, dont on choisit l’ensemble des éléments sur mesure. Découvrez un catalogue unique de vraies cuisines tendances : cuisine brillante, cuisine matte, cuisine esprit bois. Ce catalogue interactif met à votre disposition une sélection de cuisines contemporaine, design, moderne. Dans la maison-témoin, la cuisine est équipée pour correspondre parfaitement à l’image qu’on veut donner aux clients potentiels, sur mesure. Confiez vos rêves à l’un de nos 200 concepteurs de cuisine en magasin. Avec nos 100 modèles et 10 000 combinaisons différentes, vous êtes certains de pouvoir composer avec lui la cuisine idéale, celle que tout le monde va vous envier !

Couleur d’ambiance : neutre, chaud ou froid ? Je choisis neutre. Pour l’aménagement de la pièce, ma préférence va vers un design moderne, original avec une forme de L. et un îlot central. Pour les matières et les coloris, je retiens clair et mat. Avec une surface et coin repas pour 4 personnes. Une cuisine aux tons neutres qui jouent avec les matières (façades acryliques brillantes, plan granit aspect cuir, bois, inox…). Conception et réalisation de niches décoratives sur mesure pour donner un peu de vie à l’ensemble. Et l’implantation d’un îlot central pour la convivialité et l’espace repas.

Dans ce décor aseptisé, si des aliments devaient être exposés dans les placards (boites de conserve, bouteilles de toutes tailles, pots de confiture, de condiments) ou sur les étagères (fruits, légumes, herbes aromatiques) pour donner à l’ensemble un cachet supplémentaire, un supplément d’âme, voire ajouter de la vraisemblance, ils seraient similaires à ceux des vitrines des restaurants japonais, une pâle imitation de la réalité, en plastique coloré. J’imagine parfois qu’un vendeur aura un jour eu l’irrépressible envie de manger son sandwich entre deux visites de clients, et n’aura pas pris le temps de sortir de la maison pour le faire, laissant sans s’en rendre compte quelques miettes sur la table de travail, miettes qu’un visiteur en les voyant trouvera sales, indécentes et déplacées, dans cet univers aseptisé, où tout est rangé, calme et propreté.

l’îlot central

Entre la cuisine avec sa table de petit déjeuner et le coin-repas avec son îlot central, la maison hésite entre deux styles distincts, deux manières de vivre offertes aux adeptes du cuisiner tranquille et du petit déjeuner en catimini, qui n’exclut pas le must de nos cuisines contemporaines, l’îlot central, ici uniquement à fonction de table surélevée avec tabourets hauts, et qui n’est plus central que du coin-repas.

Quelque chose d’une tour de contrôle des calories, voir de haut les menus dans l’assiette, que certes on mange encore ensemble, on s’assied à la même table, mais on se surveille. L’îlot central comme quart operator, celui qui divise  les portions, et qui dans la lumière forte d’un laboratoire transforme l’ordinaire pain quotidien, le frichti de nos grands-mères, le repas qui tient au ventre, l’avachissement sur un coin de table des fins de repas en un acte maîtrisé du corps, la bouche qui escompte ses bouchées, la colonne vertébrale roide, un certain inconfort du siège précipitant la durée du repas, le vingt-minutes chrono accordé à la nécessité de se nourrir, la lenteur de la satiété remplacée par l’esthétique du décor, on se met en scène mangeant, on mange dans le magazine de déco, on est contemporain, c’est-à-dire sain, sobre et rapide, traitant la nutrition comme on gère l’agenda, coincée entre un rendez-vous et un loisir structuré. L’îlot central, que seule cette position de surplomb sur le repas serait désormais la manière de manger.

Christine Simon