Abbas (au travers des oliviers)

 

 

 

C’est un cinéaste iranien – il tournait dans son pays, on l’en a chassé, il est mort à Paris – dans « son » pays des histoires de gens normaux, différents semblables, qui parlent une langue douce différente belle – j’ai là une photo prise par le robot de la région où est tourné ce film : cette photo dit pas mal de choses, je la pose ici, dans cette maison, c’est une espèce de carte postale, quelque chose qui viendrait d’un pays que je n’ai jamais vu (je le regrette tellement, si tu savais) (mais j’ai lu  « L’usage du monde » quand même (Nicolas Bouvier, dessins de Thierry Vernet, au seuil sûrement) en vrai l’espace et le continent

du côté de Koker (dédiée à l’ami O.Hodasava)

oui, on reste là et on regarde (le militaire sur le toit consulte son portable, il n’y a (à peu près) aucun doute) – deux films (celui du jour (1994), plus « Et la vie continue » (1991) au début « La vie et rien d’autre » mais il y avait le Resnais au même titre) illustrent le tremblement de terre subi par le pays en 1990 qui a fait selon les sources cinquante mille morts, plus, moins, terreur – tout ça se passe vers Koker (Kiarostami a indiqué qu’il préférerait, si c’était possible, qu’on considère « Le goût de la cerise » comme le troisième s’il fallait absolument et à toute force faire une trilogie de Koker avec son travail) (la « trilogie » cette merveille de notre ère…)

 

Un plan est une entité

la caméra tourne et on ne l’arrête pas – ici, le héros descend une pente, au fond des oliviers : au travers d’eux marche sa promise (on ne la voit pas mais on sait qu’elle est là-bas)

il est dit fixe (le plan) si la caméra ne bouge pas (on voit la jeune fille entre les deux rangées d’oliviers de gauche)

ici la caméra fait un léger panoramique de bas en haut pour garder dans le plan la jeune fille qui s’en va – le garçon (Hossein, il remplace ai pied levé un acteur qui bégaie quand il parle à une femme) lui court après (il lui fait la cour, si tu préfères)

lui a disparu; elle a disparu (elle se nomme Tahereh,comme dans la vie, comme Hossein se nomme Hossein dans la vie) : seule la caméra continue son pano – on aperçoit le bout du champ (le champ, dans le cinéma, c’est important) on découvre l’ampleur du paysage

un moment plus tard : les deux jeunes gens sont à l’image  – la jeune fille à gauche au fond, le jeune homme entre la deuxième et la troisième rangée d’arbres – la chanson « Orly » de Brel dit « je suis là/je la suis » : c’est ça (le pano bas/haut continue)

puis est doublé d’un droite/gauche : on suit la jeune fille, son promis a disparu dans les oliviers – l’ampleur du champ est majestueuse, avoue –

le revoilà – on n’en pas encore parlé mais on l’entend dire des mots au loin; une musique qu’on dit classique (un basson sans doute, des violons, quelque chose d’assez gai) accompagne l’image (entrée dans le champ de l’arbre, gauche cadre, sublime : le témoin le plus proche de l’explication…) –

il la suit mais la rattrape – il lui parle – il lui demande de lui répondre – elle avance

elle prend le chemin à droite, il la suit, il la rattrape, elle s’arrête et se retourne vers lui

légèrement recadrés

si loin de nous : c’est leur secret – personne qu’eux ne sait – la musique est joyeuse, le revoilà qui revient – elle s’en va, suit son chemin

il ne marche pas il court – elle prend le chemin sur sa gauche, puis sur sa droite –

il ne court pas, il vole (il y a Brel encore, qui fait « je volais, je le jure /je jure que je volais… ») – bientôt elle aura disparu –

le chemin ? quel chemin ? à travers champ – la musique le(s) suit – on la distingue encore devant les arbres au fond – que leur joie demeure –

il revient s’approche

bientôt happé

par les oliviers

fin du plan/fin du film/générique

quelle splendeur

 

Au travers des oliviers, un film d’Abbas Kiarostami

 

 

 

Les visages (Behnaz et Jafar)

 

 

 

Deux plans constituent le premier quart d’heure du film; l’un, cette jeune femme

qui veut devenir actrice – prétend-elle, ainsi que Pereira – qui se filme dans une grotte où elle va mettre en scène sa pendaison : la vie, sa vie ne peut plus durer si elle ne parvient pas à son désir (aller étudier à Téhéran la comédie) et elle demande à la star de l’aider à y parvenir en venant convaincre ses parents (quand j’écris star, je pense à Norma Jeane, et je me demande si, recevant ainsi un petit film d’une apprentie, mais bientôt concurrente quand même, elle aurait agi de la même manière – elle aurait demandé à Billy Wilder ou John Huston – non Billy, oui, Billy – de l’emmener aux frontières du Mexique pour retrouver cette jeune fille)

Le deuxième plan, sur la star (Behnaz Jafari, magnifique), qui regarde le petit film envoyé (l’esthétique de cette image – les trois quarts de l’image noire, une bande animée, contre plongée, jeune femme, bientôt le plafond de la grotte, la corde, la branche fichée dans un creux) dans la voiture, c’est le soir, c’est la nuit (alors j’apprends que Jafar Panahi, le réalisateur et acteur, est né à Mianeth, en Azerbaïdjan iranien – équidistance de Tabriz, 100 kilomètres peut-être au nord est, et Téhéran, cent kilomètres peut-être au sud-ouest), ils s’en sont allés tous les deux à la recherche de cette jeune fille.

« Le goût de la cerise » (Abbas Kiarostami, 1992) racontait aussi l’histoire d’un type qui veut se suicider (personne ne veut l’aider : c’est formellement interdit, le suicide, c’est vieux comme le monde…) : le suicide de la jeune fille (Marzyeh Rezaei) leur sera caché, il faudra enquêter. Arrivée au village

mais avant de passer le col, connaître le code

on le lui indique, on cherche à les aider parce qu’ils viennent de la ville : ils apportent certainement des faveurs du pouvoir central, ce sont des intellectuels (la pire des insultes : le qualificatif  « écervelée » pour dépeindre Marzyeh), des saltimbanques, des gens qui sont encore plus inférieurs que les inférieurs des inférieurs – ils ont du pouvoir, une voiture, une image : ils passent à la télévision… Non, la jeune fille n’est pas là. Au cimetière, cette merveille

allongée dans sa tombe (on rit un peu jaune quand même…) mais la jeune fille n’y est pas.

Il faut attendre, passer la nuit non loin de la maison d’une pestiférée (lépreuse peut-être, honnie en tout cas, laissée seule et abandonnée peut-être : elle était comédienne puis danseuse puis a vieilli et le shah étant foutu dehors, elle le fut tout autant…) Shahrzad (Kobra Saeedi) l’une des actrices les plus populaires du cinéma iranien d’avant la révolution (1978)

pour comprendre la condition de ceux qui tiennent à leur liberté.

Lui, le cinéaste, dort dans sa voiture : là-bas, dans la petite maison « minuscule » elles danseront. La plupart des comédiens sont dans leurs rôles (Jafar joue Jafar, Behnaz joue Behnaz, la vieille femme (donnons son nom : Fatemeh Ismaeilnejad) joue ce rôle-là, le (grâââve) frère de Marzyeh est joué par Mehdi Panahi… une affaire de famille, un groupe, qu’il faut soutenir. En parler, faire exister ce cinéma, iranien au plus haut, cette merveille : en maison(s)témoin oui.)

Un plan enfin, sans doute joli

de cette femme qui peint, de loin.

Et puis, pour la fin, (sous le lien le dossier de presse) il y aurait d’autres histoires à raconter (mais d’abord aller le voir) bien sûr, cette dernière, pour la fin : le voile blanc de la jeune fille qui va courir accompagner la star qui marche seule sur la route (cette reconnaissance et cet amour) et qui, la rejoignant, toute petite, bientôt elles disparaîtront derrière ce tournant (encore un plan séquence de peut-être six minutes – une merveille encore, mais le film en est plein – le cinéma comme on l’aime), et son voile a disparu, elle est, au loin, toute petite, avec son amie, marchant vers la suite de l’histoire.

 

 

Trois visages, un film (magnifique) de Jafar Panahi.