Perlimpinpin aux Batignolles

 

 

On dit souvent qu’il n’y a pas que le cinéma dans la vie, et c’est vrai (on c’est moi, je reconnais, mais tout de même, je ne suis pas (si) seul) : il y a aussi la chanson (et l’agent, bien sûr…). Toutes les chansons du moment où elles sont ce qu’elles doivent être (alors j’aime d’abord Ella et Amalia, puis Cesaria (beaucoup), puis d’autres encore, comme évidemment Barbara, et le film du jour (une merveille qui aime et la chanson, et le cinéma) lui donne à vivre, pour qui, comment quand et pourquoi ? On le sait) (et aussi Georges (qu’elle chantait à ses débuts), Jacques (avec qui elle jouait au cinéma) et d’autres encore). On aura donc deux images (plus une d’elle) et une chanson, ici, dans le square des Batignolles (à côté de ce square et de la gare du Pont Cardinet, tant et tant de dimanches passés aux renseignements téléphonés, si tu savais…). On sait bien que rien ne change (puisque tout devra changer) : l’enfance a quelque chose de terrifiant, c’est sa naïveté, sa foi, sa croyance, son obligeance, son amour dédié à, parfois, d’abominables innocences. J’ai aimé mon enfance tout aussi bien, le bleu et le blanc, le reste du monde que je ne connaissais pas, ni les guerres, ni les tortures, ni les terreurs, non, le soleil oui, et la mer bleue au bout de l’avenue. Et j’aime, comme la vieillesse, l’enfance. Vivre. Je lisais tout à l’heure quelque chose à ce sujet, cette aigre façon d’envisager le temps, c’est à rire, les gens il faudrait ne pas le connaître – c’est ce qu’on fait, le plus souvent, et c’est tant mieux pour nous. Je garde par devers moi les douleurs en mes os, celles engendrées par la perte de la mémoire et de celles et ceux qu’on a aimé-e-s, parler de poésie, n’en plus parler, et offrir quelques fleurs, et toutes les chansons.

« Dites-le moi du bout des lèvres/Moi je l’entends du bout du coeur… » dit-elle, chante-t-elle. Quelle merveille, ici ou dans la chanson interprétée par Lou Casa dans le film (Mathieu Amalric, 2017). Et puis Jeanne Balibar dite Brigitte, espiègle (elle passe sur le pont Royal, et moi j’aime le pont Royal, tu comprends…)

gaie et profonde, opiniâtre et tenace, forte et sensible, comme la chanteuse, tout comme elle. C’est vrai, il n’y a pas que le cinéma dans la vie mais heureusement, parfois, il arrive qu’il soit là.

Paroles et musique de Barbara. Lire, écouter, entendre, vivre.

Pour qui, comment quand et pourquoi ? Contre qui ? Comment ? Contre quoi ?
C’en est assez de vos violences
D’où venez-vous ? Où allez-vous ?  Qui êtes-vous ? Qui priez-vous ?
Je vous prie de faire silence

Pour qui, comment, quand et pourquoi ?
S’il faut absolument qu’on soit
Contre quelqu’un ou quelque chose
Je suis pour le soleil couchant en haut des collines désertes Je suis pour les forêts profondes

Car un enfant qui pleure,
Qu’il soit de n’importe où,
Est un enfant qui pleure,
Car un enfant qui meurt
Au bout de vos fusils
Est un enfant qui meurt.
Que c’est abominable d’avoir à choisir entre deux innocences 
Que c’est abominable d’avoir pour ennemis les rires de l’enfance 

Pour qui, comment, quand et combien ? Contre qui ? Comment et combien ?
À en perdre le goût de vivre,
Le goût de l’eau, le goût du pain,  et celui du Perlimpinpin
Dans le square des Batignolles 
Mais pour rien, mais pour presque rien,
Pour être avec vous et c’est bien 
Et pour une rose entr’ouverte,
Et pour une respiration,
Et pour un souffle d’abandon,
Et pour un jardin qui frissonne 

Rien avoir, mais passionnément,
Ne rien se dire éperdument,
Mais tout donner avec ivresse
Et riche de dépossession,
N’avoir que sa vérité,
Posséder toutes les richesses,
Ne pas parler de poésie,
Ne pas parler de poésie
En écrasant des fleurs sauvages
Et faire jouer la transparence
Au fond d’une cour aux murs gris
Où l’aube n’a jamais sa chance.

Contre qui, comment, contre quoi ? Pour qui, comment, quand et pourquoi ?
Pour retrouver le goût de vivre,
Le goût de l’eau, le goût du pain, et celui du Perlimpinpin
Dans le square des Batignolles.
Contre personne et contre rien,
Contre personne et contre rien,
Mais pour une rose entr’ouverte,
Mais pour une respiration,
Mais pour un souffle d’abandon
Et pour ce jardin qui frissonne

Et vivre passionnément,
Et ne se battre seulement
Qu’avec les feux de la tendresse
Et, riche de dépossession,
N’avoir que sa vérité,
Posséder toutes les richesses
Ne plus parler de poésie
Ne plus parler de poésie
En écrasant les fleurs sauvages
Et faire jouer la transparence
Au fond d’une cour aux murs gris
Où l’aube aurait enfin sa chance

Et vivre vivre passionnément et ne se battre seulement

qu’avec les feux de la tendresse

Et riche de dépossession n’avoir que sa vérité

Posséder toutes les richesses
Rien que la tendresse pour toute richesse…

Terrasses

Ca ne sert à rien, ça n’a pas de prix, ou alors ça s’achète à la tonne,  ballast parfois, sable, grain, caillou, quelque chose comme un morceau de minéral, je ne sais pas exactement où il se pose, il y avait un type, on l’appelait « foxie » qui un jour demanda pour une composition (c’était des compositions dans ce temps-là, la seconde, t’as qu’à voir) (il avait une tête de renard probablement) « vous êtes un grain de sable de Fontainebleau, racontez comment vous en êtes arrivé là », du sable, à Fontainebleau, ah ouais, foxie, tu déconnes ou quoi ? oui, mais n’importe c’était ainsi, je suis un peu dans cet état-là, où est-ce donc que cette saleté de fleuve prend sa source, au mont Gerbier des Joncs ? plateau de Langre (ils ont réinventé un nom pour situer l’endroit où et cette façon de poser quelque chose pour l’histoire a tendance à me faire gerber), les traces de l’écume qui suivent les motoscafi, quelque chose comme ça, moi la géographie je ne hais point, mais elle m’insupporte parfois, se souvenir de ceci, de cela, Ischia là où repose Visconti tu sais, ou Capri, voilà tout.

villa malaparte

Tu sais pourquoi, Ischia, c’est que là-bas, c’est presque la même vue, tu sais bien, elle s’appelle Amalia  ou alors il n’y a qu’un l, ou alors c’est du côté de la rue de Mouzaïa, à Paris – non, là, il n’y en a pas, mais l’auteur du livre (je ne l’ai pas lu) vit là, je crois, on le croise parfois chez kim-, ou alors je ne sais pas, mais (Amalia, « Coimbra », « Alfama ») je me suis retrouvé ici.

villa amalia

C’est le but ultime, la raison de vivre, le type est là, ce sont des choses qui arrivent il marche, devant lui le golfe, il avance avec son chapeau, noir, frappe  et la pierre roule et s’en va à la mer, ça ne sert à rien, on ne me voit pas, il paraît qu’il fallait une scène de nu au film tourné là (pas étonnant quand on connaît ce producteur), mais je crois qu’il y avait une erreur de distribution, dans ce film-là, Brigitte Bardot ne va pas, « montez dans votre Alfa, Roméo » ne lui va pas, Palance pourtant est splendide (ça finit mal),  il paraît que le propriétaire de cette maison, celui qui l’a fait bâtir avant de la donner à la République de Chine à sa mort s’appelait ainsi en référence à Bonaparte, Curzio ce n’est pas un prénom, Malaparte ça n’est pas un nom,  et « La peau » un autre film adapté d’un de ses romans, cynisme et terreur, on a beau être caillou, on n’en a pas moins  mal pour ce qu’ils endurent, tous…

terrasse mépris

Ca ressemble un peu, cynisme, il marche, terreur, elle regarde, les petites pierres s’envolent un peu, l’eau, la mer le soleil, la terrasse, les yeux dans les yeux, sans doute la laisse-t-il, un peu larguée, peut-être, mais tu vois comme ils sont tous les deux tournés vers le large ? il fait beau, il fait chaud, il y a peut-être Fritz Lang dans son propre rôle et  dans les parages, à quoi pensent-ils donc ? il y a sans doute bien d’autres personnages de l’histoire, il y a, surtout, un coeur de pierre et ce sentiment de profond mépris pour ce qui est fait aux actrices, peut-être, on est pris de vertige mais, nous autres, nous n’en avons cure, nous sommes aux terrasses ce que les poussières sont aux maisons, ici au coin d’une porte se trouve une demi-cheville (est-elle rouge ?) oubliée là par un ouvrier et que n’a pas vu la bonne (« oubliée par une ouvrière et que n’a pas vu le bon » ça vous a une autre allure) non, je ne rentre pas, non, dehors à l’air (j’ai toujours souffert de ne pouvoir respirer) et le temps passe et les flots bleus à l’été