Rimbaud fait salon

J’ai beaucoup hésité. Le tableau de Rimbaud, offert par l’ami Alain Delatour, est toujours resté à proximité de l’horloge.  Je l’ai  placé dans une autre pièce que le séjour, dans le salon, à un endroit où il fait presque face à la pendule. C’est important : René Herment, l’horloger, est mort en 1896, soit cinq ans après Arthur, cette proximité d’époque m’a toujours fasciné.

Et puis, ce Rimbaud adulte qui fait la gueule est placé juste derrière le canapé et j’ai horreur de ces sièges mous où on passe le temps à s’avachir le postérieur autant que l’âme.

RimbaudDelatour

Horloge encore, tentative de roman

 » Le hasard apporta une horloge comtoise chez l’aubergiste qui le recevait. Le livreur, un homme aux cheveux blancs, aux gestes lents, disposa devant lui le châssis de bois, la pendule et le balancier. Nicolas, que d’habitude la compagnie des hommes faisait fuir, ne perdit pas une miette de l’installation. Il donna même quelques judicieux conseils pour maintenir l’ensemble dans une parfaite verticalité et éviter tout frottement sur les parois de bois qui pourraient à la longue provoquer une imprécision et une usure prématurée des engrenages. Vous êtes du métier ? s’enquit l’artisan. Non, j’ai simplement du goût pour la technique, répondit Nicolas, […]Le vieil homme regarda la pendule déposée dans un coin de l’atelier. Un meuble de bois peint d’une seul pièce laissait voir à travers la vitre de son ventre le mouvement lent d’un balancier en bois doré, orné dans la partie supérieure d’un thermomètre à mercure, et, dans la partie inférieure, d’un baromètre à cheveu qui, suivant le temps, faisait sortir soit un homme muni d’un parapluie, soit une femme portant une ombrelle à son bras. La pendule, tout en haut, possédait une aiguille de fer pour les jours, tandis que celles en laiton indiquaient l’heure et les minutes sur des chiffres romains. Le cadran, commandé par l’artisan, indiquait son nom, René Herment, et le bourg où il avait ouvert sa boutique. C’était la première fois qu’il proposait pour ses clients les marques de sa profession, associées à son identité. Une fierté. Le mécanisme était rustique et l’horloge était massive, ornée de dorures bon marché, mais il lui semblait qu’elle avait été le reflet de toute sa vie, depuis qu’il s’était installé ici en 1858 après son alliance avec une fille de la région. Personne alors ne misait sur lui, qui avait inscrit à la rubrique profession en bas de l’acte de mariage « commerçant ambulant ». Il s’était établi, avait honnêtement accompli son métier et pouvait à présent s’enorgueillir de son expérience. Cette pendule, qu’ils avaient montée ensemble était la première d’une série que l’artisan avait achetée pour partie en pièces détachées en prévision des futures foires à venir, la mode était à de tels cadeaux de mariage, et voir son nom marqué sur la pendule entrer dans l’intimité d’intérieurs de jeune mariés où elle allait rythmer le temps et les naissances à venir, donnait au vieil homme l’illusion qu’il avait su trouver sa place ici, avoir un rôle. C’était cet hommage que Nicolas voulait lui rendre : chaque homme doit trouver sa place, chaque société doit lui laisser saisir sa chance.  »
(extrait d’un texte en cours)

Horloge, Rimbaud et champagne !

Oui, je me suis dit qu’il serait plus aimable d’apporter une bouteille de champagne pour la pendaison de la crémaillère. Seulement, en plaçant la bouteille dans le frigo et les petits gâteaux dans un placard, je me suis posé un tas de questions : qui va vérifier les dates de péremptions des aliments ? Comment faire pour les courses ? Chacun y va ? On fait liste commune ? Personnellement, je préférerais une liste. D’ailleurs, je la commence, n’hésitez pas à la compléter : oranges, pommes, poires, courgettes, endives (j’ai une recette d’endives au jambon qui a fait ma réputation, vous m’en direz des nouvelles), gruyère, camembert, comté (pour Christine Jeanney), beurre, pain de mie, lait, sucre, sel, huile, vinaigre, œufs.

Horloge et Rimbaud

Lorsqu’on m’a proposé d’habiter dans la maison témoin, j’ai tout de suite accepté. Mais c’est très intéressé. En fait, je ne sais pas encore si je vais vraiment y demeurer, mes colocataires sont tous très sympathiques et ça promet de bonnes soirées en perspective. J’ai surtout sauté sur l’occasion pour ramener des meubles, en l’occurrence un portrait de Rimbaud offert par un ami et une horloge comtoise.

La difficulté, c’est bien sûr l’horloge. Avec ses 2m35 de hauteur, je ne peux pas la glisser dans la voiture, même en rabattant les sièges. Quant à laisser le hayon arrière ouvert pour qu’elle dépasse, c’est vraiment trop risqué pour cette vieille dame en bois de cent trente ans d’âge. J’ai donc loué une camionnette chez Intermarché.

J’ai eu un peu de mal pour trouver l’adresse, le progrès du GPS ne prend jamais en compte les aléas du trajet, déviations, travaux et autres routes coupées pour cause de course cycliste (un lundi de Pentecôte, il y en a qui ont de ces idées, je vous jure!). Enfin bon, me voilà arrivé.

Je ne savais pas trop ou décharger l’horloge, ni où l’installer. Il est vrai que je débarque dans cette maison témoin, certains y ont déjà leurs marques et je ne voudrais pas imposer cette horloge qui risquerait de dénoter avec la décoration en place, sans compter qu’elle fait pas mal de bruit avec son balancier et elle sonne toutes les heures et demi-heures, de jour comme de nuit !
(Quant à la possibilité de la laisser en l’état de non-fonctionnement, je tiens à prévenir mes aimables colocataires qu’il n’en est pas question, c’est un point incontournable pour la réussite de notre cohabitation). Bref, en attendant toute suggestion sur l’endroit où je pourrais l’installer, je l’ai laissée dans un coin du garage, Il est presque vide, il y a juste un cric pour l’instant. Je l’ai placée contre un mur, elle ne gêne pas, on peut rentrer la voiture.

Afin de regrouper toutes mes affaires, j’ai aussi déposé au pied de l’horloge le portrait de Rimbaud. De dimensions modestes (40X50 cm, il sera facile à accrocher sur l’un des murs : là aussi, j’attends les suggestions de mes aimables colocataires. Je suis désolé, je n’ai pas photographié le tableau (ni l’horloge d’ailleurs), aussi il faudra vous fier à ma description pour l’instant : inspiré de la célèbre photographie de Carjat, il représente le poète à l’âge adulte, avec un air maussade. Ceci dit, les couleurs sont vives et chatoyantes et il peut être du plus bel effet dans n’importe quelle pièce.

Bien, il ne me reste plus qu’à prendre congé et à ramener la camionnette chez Intermarché.

Ah, j’oubliais ! Après le garage, il me faut aller à la cuisine…