onze visites

dans la maison sans tiroirs, je ne me suis pas assis

la maison sans image, j’en ai regardé le plâtre, la peinture, le béton

dans la maison sans rideau, je n’ai pas cherché le ciel

la maison sans table, j’y ai posé mes heures à venir

dans la maison sans histoire, chaque porte n’ouvrait que sur elle-même

la maison sans fantôme, j’en ai touché les murs

dans la maison sans nourriture, j’ai enfoncé mes poings dans les poches

de la maison sans recoin, j’ai traversé le vent

dans la maison sans poussière, la lumière tombait

la maison sans mots, j’y ai laissé une heure

dans le vide sans maison je suis entré

Prémices

Un pré en bordure d’un bois. Identique à lui-même sauf les variations de couleurs en traversant les saisons. La neige qui lisse les contours. La pluie qui s’accumule à former flaques et mares. Décor sans drame. Un ligne de pas de part en part. Un cadavre de corneille. Les cônes de terre remuée d’une taupe. Un ruban de nombres, jaune, déroulé. Des bras tendus dans plusieurs directions avec des mouvements de balayage. Une pelleteuse.

En les attendant…

En les attendant, je passe d’une pièce à l’autre, je traverse presque les cloisons, rien ne protège, rien n’enveloppe, tout est papier, mousse, nuage, ils voient leurs meubles, leurs images, leurs heures d’or, pas de paroi pour les arrêter, pas de miroir pour les réfléchir, rien qui fasse douter leur rêve et je parlerai sans penser, récitant, portant mon regard au-delà de leur yeux pour flotter derrière leur tête, j’attendrai lorsqu’ils parleront et je répéterai leurs paroles pour qu’ils se sentent compris, il y aura une heure de mots et rien qui relie, ils s’en iront, deux d’entre eux reviendront en cherchant à remplir le vide. Je partirai ailleurs, près d’un autre champ.

Visiteuse 37

Je viendrai ici et puis il s’en ira. Je serai seule et la maison si grande qu’il n’y aura pas de place pour moi. Sans musique et sans mots, je fonderai. Il faudra des années mais je finirai par ne plus être. Les peintures auront passé, il y aura quelques taches sur le plancher, l’ombre des meubles sur les murs. Il y aura tellement de rien que nul ne voudra venir dormir ici de peur d’être aspiré. Ils refermeront la porte derrière eux sans se retourner mais attentifs au claquement du pêne dans la serrure. Les vitres seront cassées, les moisissures gagneront. Par plaques le crépi tombera. Les murs seront longs à s’effondrer. Même après le passage de la pelleteuse le vide restera.

Chapitre I

Oui, cela pourrait commencer ainsi, ici, comme ça, d’une manière un peu lourde et lente, dans cet endroit neutre qui n’est plus tout à fait la rue mais pas encore la maison. Oui cela commence ainsi devant le cinquième pavillon du lotissement des platanes. Une femme est en train d’allonger le bras vers le portail. L’autre bras, le long du corps, est prolongé par une feuille de papier dépliée, sur laquelle est inscrite la liste des visiteurs présumés pour les prochains jours. Dans presque deux ans W.M mourra ici. La femme qui se tient devant l’entrée de la maison témoin est une employée qui s’occupe des visites. Elle récitera tout à l’heure son compliment et répondra sans réfléchir aux questions qui lui seront posées. W.M n’est pas encore entré dans ces pièces où il passera les deux dernières années de sa vie, il n’a pas encore accroché dans l’entrée, face à un miroir, ce tableau dont il ne dira rien à quiconque et qui représente trois corbeaux sur un paysage sombre. Nul n’a lu le titre du tableau: quatre corbeaux. W.M n’est pas encore mort, et la vengeance qui l’emportera, patiemment et minutieusement ourdie, n’a pas encore été ourdie.

Vous qui entrez ici

Vous pensez passer entre ces murs, regarder et puis vous en aller, avancer, contourner d’autres maisons et cette nuit dormir comme des bêtes. Vous laisserez ici trois cercueils d’air vicié par votre organisme, trente-sept cheveux, des écailles de peau sèche, et la poussière qui tombe de vos habits permettraient de dessiner vos errances minuscules de la dernière semaine. Je cherche avidement la sueur et le sang, l’extase halètée, le piétinement des pieds, les chocs des verres, le glissement des tiroirs. Je vous garde en moi, mes fantômes. Quelques-uns d’entre vous resterons ici parce qu’ils auront été trompé sur le souvenir d’un rêve. Ils porteront leurs choses et je les prendrai sur moi. Leurs larmes, leurs hurlements, les mots rejoindront les vôtres. Vous resterez ici.